Vous le savez, les travaux conduits par Éric Woerth et Laurent Saint-Martin ont permis de renforcer les moyens d'information, de contrôle et d'évaluation en matière financière, conformément à l'esprit originel de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001. Derrière la technicité des débats, se posent des questions assez simples : où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Le rapport y répond de manière claire, en proposant une analyse de la trajectoire, des conditions de financement et de la soutenabilité de la dette, non pas uniquement de l'État, mais de l'ensemble des administrations publiques.
Chacun le constate, la parenthèse de l'argent gratuit s'est refermée. Les banques centrales, pour contenir l'inflation, sortent des politiques monétaires accommodantes qu'elles ont conduites pendant une décennie. L'ère des taux zéro est révolue. Cette réalité s'impose aux ménages, aux entreprises, mais aussi aux États. Ce que je tiens à souligner, c'est que lorsque le taux d'intérêt de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à dix ans oscille entre 2,6 % et 2,8 %, les enjeux inhérents à la contraction de dette nouvelle ne sont plus les mêmes. Notre débat doit donc évoluer lui aussi.
La maîtrise de la dette n'est pas une question que nous pouvons remettre à plus tard, parce qu'avec plus de 3 000 milliards d'euros de dette publique, plus tard, c'est trop tard. Avec une charge de la dette qui dépassera 51 milliards d'euros l'année prochaine, plus tard, c'est trop tard.
Il existe une notion de finances publiques qui, en des termes experts, traduit l'idée selon laquelle un État ne peut être comparé à un individu, dans la mesure où sa durée de vie est illimitée : c'est ce qu'on appelle la contrainte intertemporelle des administrations publiques. Je sais que certains sont tentés d'en conclure qu'il suffirait de ne rien faire pour voir la courbe s'aplanir au fil du temps et laisser le problème disparaître année après année, comme par miracle. Cette conclusion me semble constituer une erreur d'analyse à trois égards.
Dire que l'augmentation de la dette n'est pas grave, c'est d'abord accepter de la transmettre en héritage. C'est faire payer aux générations futures le prix de l'inaction. Bien sûr, la dette existera toujours, parce qu'un État aura toujours besoin de financer de grandes transformations, de grands investissements ou des mesures exceptionnelles pour affronter les chocs. Mais ce qui serait insupportable, ce serait de laisser à nos enfants un État aux marges de manœuvre totalement amputées par la dette, un État qui devrait faire face à des engagements financiers tels qu'il ne serait plus en mesure d'agir pour la croissance et pour le plein-emploi.
Dire que ce n'est pas grave, c'est ensuite faire mine d'oublier que chaque euro d'intérêt remboursé à nos créanciers est un euro en moins pour l'école, la transition écologique, la justice, la police ou l'armée. Bref : c'est faire mine d'oublier que la dette obère notre capacité d'investissement, qui constitue la vocation même de l'action publique et politique.
Dire que ce n'est pas grave, c'est enfin faire preuve de légèreté face au péril de la crise des dettes souveraines. Il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'au défaut de paiement de l'Argentine il y a plus de vingt ans pour en trouver un précédent : il suffit de balayer l'histoire européenne des dix dernières années – la Grèce au bord de l'effondrement, l'Italie et l'Espagne à la merci de l'explosion des taux.
Contrairement à ce que certains prétendent, il ne s'agit pas de culpabiliser les Français. La dette n'est pas une faute. Elle est simplement le produit de nos choix et des moyens que nous avons mis en œuvre pour surmonter les crises. Mais sa maîtrise est une responsabilité collective. Maîtriser la dette, c'est faire preuve de responsabilité budgétaire. C'est ce que nous faisons : le déficit public a été ramené de 9 % du PIB en 2020 à 6,5 % en 2021, il s'établira à 5 % cette année et nous reviendrons sous les 3 % d'ici à la fin du quinquennat.
Maîtriser la dette, c'est aussi conduire une politique de croissance et d'emploi. C'est bien le cœur de notre stratégie et nous l'assumons : augmenter le taux d'emploi pour augmenter le volume d'heures travaillées et ainsi améliorer notre capacité à créer de la richesse et à la redistribuer. Si maîtriser la dette, c'est réduire l'endettement par rapport au PIB, c'est aussi augmenter le PIB par rapport à l'endettement : c'est en agissant sur les deux grandeurs que nous trouverons le chemin de la soutenabilité.
Permettez-moi maintenant de dire où nous en sommes. Au 30 juin dernier, la dette publique, incluant celle de l'État, des organismes de sécurité sociale, des collectivités locales et des organismes divers d'administration centrale (Odac), s'établissait à 2 916,8 milliards d'euros, soit environ 112 % de la richesse nationale. Elle est constituée en grande partie d'obligations mais aussi, dans une moindre mesure, d'emprunts bancaires, en particulier dans le secteur public local.
S'agissant de la trajectoire, c'est-à-dire du cap que nous avons fixé et des points de passage à respecter, nous avons déjà eu l'occasion d'éclairer l'Assemblée au début du mois d'août, lors de la présentation du programme de stabilité transmis chaque année à la Commission européenne. Nous le faisons à nouveau avec la présentation du projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2023-2027. Celui-ci prévoit une réduction du ratio de dette publique par rapport au PIB à partir de 2026. Ce dernier, après s'être établi à 112,8 % en 2021, atteindrait 111,7 % en 2025. Il baisserait ensuite pour atteindre 110,9 % en 2027.
Je l'ai indiqué au début de mon intervention : nos conditions de financement n'ont plus rien à voir avec celles dont nous bénéficiions il y a encore quelques mois.