Intervention de Ludovic Guinard

Réunion du mardi 24 octobre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Ludovic Guinard, directeur général adjoint d'Interfel et directeur général délégué du CTIFL :

Vous dressez un constat d'échec quant à l'atteinte de l'objectif, mais il faudrait d'abord se demander si cet objectif a été fixé de manière cohérente au regard des moyens disponibles. Le fait est qu'il y a quinze ans, lors du démarrage d'Écophyto, nous ne disposions pas encore des informations relatives aux difficultés de transfert.

Permettez-moi d'illustrer ce sujet important par quelques exemples. En réalité, la question de fond ne porte pas sur les substances actives en tant que telles, mais sur leurs usages. Ainsi, les 75 molécules employées dans la filière fruits et légumes se déclinent en 336 usages. Autrefois, une même solution permettait de traiter plusieurs problèmes. La logique s'est inversée : désormais, nous devons avoir plusieurs solutions pour un seul problème. Ce changement de braquet est colossal, d'autant plus qu'il a été difficilement anticipé, pour de multiples raisons. Les scientifiques ont eu tendance à considérer que la méthode de la substitution serait très facile à mettre en œuvre, de même que la reconception des systèmes. Or, ces présupposés ont été démentis par les faits.

Les acteurs scientifiques de la filière n'ont pas pêché sur l'observation et l'anticipation des solutions. Nous alertons sur ces difficultés dans les commissions réunissant les chercheurs, les acteurs de la filière et l'État. Nous avons largement anticipé les problèmes à venir.

Au sein de notre filière, nous avons lancé une analyse de distorsion sur deux produits. En matière de produits phytosanitaires, la distorsion doit être perceptible non pas sur la quantité, mais sur la qualité. De fait, deux molécules peuvent avoir un rendement très différent. Une molécule peut aussi couvrir plusieurs usages, ou bien être réservée à un seul usage. Il faut donc une analyse fine par filière.

Par ailleurs, en examinant les données du ministère, nous avons constaté que les déclarations ne correspondent pas forcément aux dérogations accordées dans d'autres États membres. Il est donc nécessaire de se déplacer pour identifier précisément la nature des dérogations consenties à des producteurs d'autres pays et comparer celles-ci avec les dérogations accordées aux producteurs français.

Notre travail a montré que l'analyse de distorsion de la concurrence n'est pas réductible à des chiffres moyens et globaux : elle doit être complétée par une approche in situ des différents terrains et de la qualité des molécules employées.

Deux questions se posent : la capacité à transférer rapidement les solutions existantes, d'une part, et la nécessité d'élaborer des solutions complètes à plus long terme pour répondre aux défis du changement climatique, d'autre part. Il nous est demandé de mener ces deux combats de front, alors qu'ils s'inscrivent dans deux temporalités différentes et que les moyens nécessaires ne sont pas les mêmes. Il faut donc commencer par déterminer les délais et les moyens à mettre en œuvre pour être en mesure de proposer des solutions aux professionnels. C'est à cette condition seulement qu'un plan peut être construit avec des chances de succès. À l'inverse, le fait de se fixer un objectif de réduction de 50 % sans s'être interrogé sur les moyens nécessaires pour y parvenir pose problème.

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