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Intervention de Éric Charbonnier

Réunion du jeudi 19 octobre 2023 à 9h05
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Éric Charbonnier, directeur de la Tête de réseaux associatifs pour le développement agricole et rural (Trame) :

Il est vrai que la Trame porte la dynamique des collectifs et du développement collectif en agriculture. Nous avons eu l'occasion d'animer des projets avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), les instituts de recherche et des écoles d'ingénieurs. Ces projets ont mis en lumière l'intérêt du collectif et la manière dont le collectif d'agriculteurs permet d'accélérer les transitions agro-écologiques.

Nous avons notamment rédigé un document sur les parcours des pionniers qui sont dans les transitions et la manière dont ces gens visionnaires le font en lien avec des collectifs et dans le cadre de dynamiques collectives. Je pense notamment à des groupes tels que les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), les groupes d'étude et de développement agricole (Geda) et les Civam, mais il y a aussi des dynamiques de territoire qui accélèrent le mouvement et le changement en s'appuyant sur le collectif comme lieu d'information et de sécurisation. Le collectif est aussi un lieu d'apprentissage.

Les changements de pratiques qu'on demande aujourd'hui aux agriculteurs constituent un véritable changement de paradigme par rapport à deux ou trois générations d'agriculture intensive, laquelle ne fonctionnait pas du tout avec les mêmes leviers en termes de développement. Il y a des changements profonds à mener, y compris en termes de croyances et de valeurs sur la manière dont on cultive, dont on nourrit les sols et dont on fait de l'élevage. Ces changements-là ne se font pas du jour au lendemain. Il est nécessaire d'avoir un accompagnement fort et une sécurisation, ce que le groupe permet.

Nous avons expérimenté avec l'Inrae ce qu'on a appelé des collectifs d'organisations apprenantes. Il s'agit de lieux dans lesquels les agriculteurs peuvent se retrouver pour échanger sur leurs difficultés, sécuriser leurs changements de pratiques et apprendre des autres : des intervenants, des experts, etc. On se rend compte que ces agriculteurs-là procèdent aux changements plus rapidement.

Pourquoi est-ce que ça n'a pas été aussi rapide qu'on l'imaginait ? Pourquoi est-ce que les changements de pratiques ne sont toujours pas à la hauteur de ce qu'on attendait ? Il s'agit de changements profonds qui demandent du temps. On parle beaucoup des agriculteurs, mais il faut également que les accompagnateurs soient formés.

À titre personnel, en tant qu'accompagnateur et formateur, j'ai participé aux formations Écophyto qui ont été rendues obligatoires pour les conseillers il y a une dizaine d'années. Il s'agissait de formations de cinq jours, dont quatre jours et demi de technique et une demi-journée avec un apport sociologique sur la posture et la manière d'aider des agriculteurs à changer de pratiques. Force était de constater que les conseillers auraient dû passer beaucoup plus de temps sur cet aspect des choses qui n'était étudié que pendant une demi-journée.

Ils ont tous l'expertise technique. En revanche, il leur manque des connaissances en termes de compréhension des mécanismes humains qui font que les agriculteurs vont pouvoir évoluer vers un changement de pratiques. Or, les conseillers ne sont pas formés sur ce point, alors que ce sont eux les acteurs principaux du changement. Il y a donc un manque en la matière. Nous participons à ce changement-là, mais notre spectre d'action est limité par rapport aux chambres d'agriculture et aux instituts techniques. Il est donc nécessaire d'agir sur cet angle mort.

J'ajoute que l'Inrae travaille actuellement avec nous pour la publication d'un article sur la notion de diagnostic sociotechnique. C'est une manière de regarder la pratique du changement, en se focalisant non pas sur l'agriculture et sa ferme, mais plutôt sur le territoire. Quels sont les freins aux différents endroits et pour les différents acteurs qui bloquent l'évolution des pratiques ? Ils peuvent se situer non pas dans la ferme, mais au sein du territoire : un manque d'expertise locale, de fournisseurs, de débouchés, etc. Il est important de prendre en compte ces aspects-là, qui montrent que la transition agro-écologique et la diminution des produits phytosanitaires ne dépendent pas uniquement des agriculteurs. Elles dépendent en fait de tout un appareil qui est beaucoup plus vaste et complexe.

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