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Intervention de Alain Krakovitch

Réunion du jeudi 9 novembre 2023 à 10h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Alain Krakovitch, ancien coordonnateur du plan de restructuration du fret de la SNCF, directeur général de Voyages SNCF :

Au début des années 2000, la conscience environnementale n'était pas ce qu'elle est de nos jours, mais celle du rôle écologique du fret était nette. Je suis entré au fret de la SNCF dès mon stage de fin d'études – j'y ai même fait mon service militaire –, qui était consacré à l'étude du principe des autoroutes ferroviaires. Il s'agissait d'en prévoir le niveau de saturation à l'horizon 2020 et d'en évaluer l'intérêt, en tenant compte – ce que nous ne savons toujours pas faire – de son coût d'ensemble, économique mais aussi sociétal.

Par la suite, j'ai travaillé auprès de M. Marc Véron sur la restructuration du fret, notamment sur la mise en œuvre d'un plan d'organisation de la production.

Avant les années 2000, la production de la SNCF était très peu dédiée. De nos jours, les TGV, les TER et le fret ont chacun leurs propres moyens de production et leurs propres conducteurs. À l'époque, le parc de locomotives n'était pas dédié à telle ou telle activité, et le fret était surtout une entité d'animation commerciale ne maîtrisant pas sa production. Celle-ci était sous la responsabilité de directeurs régionaux, chacun étant placé à la tête d'autant de petites SNCF et gérant toutes les activités.

Au début des années 2000, la nécessité d'une gestion globale est devenue évidente. Mathématiquement, un optimum global est plus efficace que la somme des optima locaux, pourvu qu'il soit bien géré. Nous avons donc décidé de dédier des moyens de production – locomotives et conducteurs – au fret, qui, en l'absence de moyens dédiés, était un peu la dernière roue du carrosse, des voyageurs bloqués en pleine voie ayant plus de voix qu'un train de marchandises dans la même situation. Ainsi, l'une de mes premières missions a été de dédier des locomotives à la partie combinée du fret.

Le trafic de fret était alors en baisse, de 17 % de 2000 à 2003. Le fret routier a été dérégulé dans les années 1990. Entre 1995 et 2000, le maillage routier augmente de 27 000 kilomètres, dont 1 500 kilomètres d'autoroutes. Par ailleurs, la part de l'industrie manufacturière dans l'économie a fortement baissé en France depuis vingt ans, passant de 15,7 % en 2000 à 10,1 % en 2017, soit deux fois moins qu'en Allemagne. Pour le seul premier trimestre de l'année 2003, Fret SNCF accuse un déficit est de 267,8 millions. De 1997 à 2003, le trafic est passé de 52 milliards de tonnes kilomètres à 46 milliards, soit une baisse de 11 %.

Obtenir des garanties sur l'autonomie comptable et organisationnelle de l'activité fret était une condition préalable à la validation d'un plan fret, pour disposer des moyens de renouveler les quatre cents locomotives dont nous avions besoin. Le plan Véron – qualifié de plan de la dernière chance – obéissait à une double logique de performance et d'urgence face à l'arrivée de la concurrence. Son objectif, ambitieux, était de redresser la qualité de service pour les clients et de nous désendetter rapidement pour acheter les locomotives. Nous avons donc dû réaliser une transformation de nos systèmes de production, de pilotage économique et de politique clients, et nous concentrer sur les marchés rentables.

Il fallait d'abord procéder à une profonde transformation informatique. Le logiciel de gestion de la production, vieillissant, était incapable d'appréhender la complexité du saut de qualité de service nécessaire. Il fallait aussi passer de l'indicateur de nombre de trains calés – ceux qui ne vont pas au bout – à l'indicateur de satisfaction de nos clients fret, comportant notamment une gamme d'offres, des engagements réciproques et un interlocuteur unique

Nous sommes entrés dans une organisation industrielle visant à la régularité, avec les mêmes trains circulant tous les jours de la semaine sur des parcours constants, ce qui permettait d'assurer un suivi. C'est le principe du tapis roulant : des locomotives circulant sur de grands axes de façon systématique, avec ou sans wagons de fret. Il s'agissait avant tout de regagner la confiance des clients en assurant la régularité.

Ce tapis roulant a été complété par une desserte fine, assurée par une dizaine de zones de fret localisées autour de bassins de trafic homogènes et bénéficiant de moyens dédiés. Leur rôle était de collecter les lots de différents clients afin d'optimiser les coûts de collecte et de massifier les flux vers les grands axes. L'idée était de gérer le trafic des locomotives de façon distincte du remplissage des wagons. La disponibilité du parc nous a permis d'assurer la qualité de service que nous avions imaginée et, grâce aux moyens de production dédiés à la circulation sur les grands axes, la productivité et la régularité se sont améliorées. Des centres de gestion de flux coordonnaient le trafic entre les grands axes et les zones de fret, en affectant les commandes et en réservant les places dans les trains intertriages.

La deuxième grande mission, après la réorganisation de la production et de la vision commerciale, a consisté à se recentrer sur les trafics rentables au détriment des flux défavorablement concurrencés par la route. Nous avons pris la décision d'augmenter les prix pour les trajets où la route était plus chère. Notre priorité était de rouler avec des trains complets et de massifier le trafic en optimisant le réseau des gares de triage. Le nouveau schéma directeur s'appuyait sur un plan de transport comportant des services sur mesure pour les produits industriels lourds ou dangereux – appelés « organisation spéciale » –, d'une part, et, d'autre part, des trains composés de groupes de wagons – le « multi-lots multi-clients ».

En dépit de ces efforts de rationalisation et du financement des quatre cents locomotives précitées, les résultats n'ont pas été suffisants. Dès 2007, un nouveau plan de sauvetage a dû être engagé, juste avant la crise de 2008 qui a fait très mal au fret.

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