Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mardi 14 novembre 2023 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Vos propos me touchent beaucoup, puisqu'ils sont semblables à ceux que j'avais utilisés pour conclure mon intervention à l'Assemblée nationale dans les jours qui ont suivi ces événements. J'avais ainsi évoqué le « logiciel européen », en indiquant que les solutions européennes sont caractérisées par un certain nombre d'éléments, lesquels consistent à dire qu'on ne peut défendre sa propre situation ni assurer sa prospérité et sa sérénité qu'à la condition de prendre en compte la stabilité, la sécurité et la sérénité du camp d'en face. De Frédéric II à Hitler, la France s'est battue très sévèrement avec l'Allemagne, sans aucun succès en termes de sécurité ; mais nous sommes finalement parvenus à tisser cette relation que vous avez évoquée sans la citer nommément. Il me semble que ces dernières années, le gouvernement israélien a manqué d'un tel logiciel, afin de prendre en compte l'idée que la stabilité et la sécurité d'Israël passe par la prise en compte des intérêts légitimes de la partie d'en face.

S'agissant des deux États, lors de mon intervention à l'Assemblée nationale, j'avais indiqué qu'il est à la fois trop tôt et trop tard pour parvenir à deux États. Les accords d'Oslo ont offert une possibilité mais nous l'avons laissée échapper. En revanche, il s'agit bien de la seule solution existante et des gestes devront être réalisés, demain, pour permettre d'y conduire. Si la colonisation en Cisjordanie était arrêtée, voire refluée, nous disposerions là d'un signe extrêmement fort. De même, si nous parvenions à obtenir la réorganisation d'une Organisation de libération de la Palestine (OLP) respectable, avec une autorité forte et si nous reconstituions l'unité de l'Autorité palestinienne, il existerait un interlocuteur. La communauté internationale, à commencer par l'Union européenne, produirait alors des efforts pour reconstruire quelque chose.

L'autre solution m'inquiète. Je sens bien que le gouvernement israélien actuel caresse l'idée de la solution par le vide, comme l'expulsion de deux millions de Gazaouis vers l'Égypte, qui n'en veut d'ailleurs pas. Les bombardements systématiques rendent cette zone invivable, quand s'organise par ailleurs, d'une façon extrêmement préoccupante, la précarité – pour ne pas dire la vulnérabilité – des populations en Cisjordanie, avec l'idée qu'elles seront très bien chez le roi Abdallah. Cette solution par le vide est à la fois inhumaine et chimérique.

Il reste donc l'idée de construire deux entités et de prendre le temps pour y parvenir. Pour ce faire, il importe, en premier lieu, de commencer à inverser les signes. Il est beaucoup question de trêve humanitaire et de cessez-le-feu. Cependant, depuis le 8 octobre, je ne vois pas quelle est l'attitude du premier ministre israélien et de son gouvernement. L'option militaire qu'ils ont choisie est inexistante. Clausewitz le formule bien lorsqu'il indique que la guerre est un mouvement ascensionnel vers les extrêmes, c'est-à-dire une escalade allant vers la guerre totale, qualifiée de « guerre absolue », sauf lorsqu'il existe des considérations politiques qui maintiennent ce qu'il appelle la « guerre réelle » à un niveau inférieur à la guerre absolue.

Dans la situation actuelle, on ne comprend pas l'objectif politique poursuivi par Israël. Je comprends la légitime défense : la violence insensée, mise en scène et terrifiante du 7 octobre ne pouvait pas entraîner une absence de réaction. Je pense que la question des otages est première et Dieu sait si Israël s'est historiquement beaucoup préoccupé des otages et a consenti des marchés incroyables, comme celui consistant à échanger mille Palestiniens pour un Israélien. Figurait également l'idée de détruire intelligemment le Hamas. Après tout, après le drame de Munich en 1972, les Israéliens ont eu une réaction précise, en indiquant que tous ceux qui avaient participé au commando disparaîtraient. De fait, ils les ont tous tués. Mais il s'agissait là d'une réponse proportionnée et adaptée à l'horreur du moment.

Aujourd'hui, je ne vois pas sur quelle solution cette guerre débouchera. Benyamin Netanyahou considère que le cessez-le-feu est inacceptable mais la guerre qu'il a choisie ne me paraît pas avoir un objectif clairement identifié ou compatible avec ce que la communauté internationale défend lorsqu'elle préconise la solution des deux États. Il m'est difficile, comme à M. Lecoq, de m'exprimer. Je vois mal ce que l'on peut opposer à l'orientation du gouvernement israélien, qui me paraît très profondément mauvaise et qui est la seule sur la table à ce jour.

Je cite fréquemment l'exemple de ce qu'il s'est passé à Philippeville, en août 1955. Des commandos du Front de libération nationale (FLN) avaient massacré plus de cent-cinquante personnes dans des conditions atroces, comparables à celles qui ont eu lieu le 7 octobre dernier. Soulevés par une colère que l'on comprend très bien, les pieds noirs se sont regroupés et ont tué en rétorsion pendant plusieurs jours environ cinq mille personnes, il me semble. À partir de ce moment, la guerre d'Algérie a cessé d'être le combat de quelques militants FLN derrière Ben Bella pour devenir l'affaire de tout un peuple. Ce type d'enchaînement est terrifiant et doit être arrêté.

Je ressens personnellement le risque qu'une telle escalade représente et l'éloignement qu'elle comporte par rapport à la seule solution légitime, celle des deux États, permettant à la communauté palestinienne et à la communauté israélienne de vivre sereinement et en sécurité. Tel est le seul objectif que nous devons poursuivre car toute ascension du conflit constitue une menace. Au Liban, le chef du Hezbollah a prononcé un discours extrêmement habile à sa manière, il y a huit jours, montrant bien qu'il ne souhaitait pas trop s'engager, manifestement tenu en main par ses maîtres iraniens. Malgré tout, les incidents se multiplient en ce moment à la frontière. La situation n'est pas du tout stabilisée. Lorsque je discute avec vos collègues diplomates, ils me font part de leur préoccupation quant à son caractère volatil dans l'ensemble du monde musulman et du monde arabe. Il faut aller au-delà du cessez-le-feu, pour réenclencher un système. En mon nom personnel, je considère que le discours de la France devrait être plus net et plus clair en ce sens. Or l'image a été difficile à interpréter, entre le discours sur le cessez-le-feu et l'appel téléphonique au président Herzog.

Français et Européens, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour redonner légitimité et crédibilité à cette solution d'apaisement entre les communautés palestiniennes et israéliennes, de laquelle pourront peut-être un jour sortir les deux États. Je le dis avec prudence mais avec conviction. Mes chers collègues, même si nous ne partageons pas les mêmes orientations politiques, nous vivons tous ce drame avec une conscience aiguë de l'extrême gravité de la situation.

Monsieur le directeur, je vous remercie d'être venu nous donner un éclairage très précis sur l'organisation de ce centre et sur les efforts de la France. Nous sommes fiers que la France ait mis au point cet instrument administratif et nous sommes extrêmement reconnaissants à tous les fonctionnaires qui servent sous votre autorité et qui jouent un rôle très précieux pour assurer le service public dans des conditions particulièrement admirables. En effet, comme vous l'avez indiqué, vous tenez un peu les deux bouts de la chaîne, entre la protection consulaire et l'action humanitaire.

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