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Intervention de Eva Sas

Séance en hémicycle du lundi 10 octobre 2022 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEva Sas :

Monsieur le ministre délégué, en introduction, je voudrais regretter votre absence d'écoute non pas des oppositions, mais des problèmes du pays. Vous avez lancé les dialogues de Bercy, mais ceux-ci se sont rapidement transformés en dialogue de sourds. Aucune de nos propositions, aucune des préoccupations des Français que nous vous avons transmises, n'a été réellement prise en compte : ni l'urgence d'investir pour que les Français puissent isoler rapidement leur logement, ni la situation tendue des collectivités locales qui sont obligées de fermer des équipements de proximité, tels que des gymnases et des piscines, ni la situation dramatique de l'hôpital public. Il aura fallu mener ardemment le combat sur les superprofits et sur les jets privés pour qu'enfin vous preniez quelques mesures, insuffisantes, en la matière. Pourtant, nous sommes force de proposition. Les membres du groupe Écologiste – NUPES ont déposé 162 amendements pour faire évoluer la première partie du projet de loi de finances. Hélas, vous semblez rester fermé à toute évolution.

Si, pour ce nouveau quinquennat, votre parti a choisi un nouveau nom promettant un nouveau souffle ou un nouveau départ, le changement semble bien cosmétique. Vous confirmez avec une certaine obstination, à travers ce projet de loi de finances pour 2023, les mêmes choix, ceux de l'orthodoxie budgétaire aveugle et des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus aisés. Ce faisant, vous privez la France de recettes fiscales pourtant indispensables pour financer les services publics et la transition écologique, comme l'illustre la suppression de la CVAE. Présentée comme une mesure de compétitivité et d'attractivité territoriale en faveur des PME, elle n'est rien d'autre qu'un cadeau fiscal supplémentaire aux grandes entreprises, puisqu'à peine un quart de la réduction d'impôts profitera aux TPE (très petites entreprises) et aux PME (petites et moyennes entreprises), et un coût pour la France, d'un montant de 8 milliards d'euros en deux ans.

Puisque, nous dit-on, la France est à l'euro près, nous ne pouvons pas nous passer de ces 8 milliards d'euros. Cette somme représente trois fois plus que les aides publiques aux particuliers pour l'isolation des logements, quatre fois ce que demandent les hôpitaux publics pour boucler leur budget, huit fois ce que demandent les associations pour la lutte contre les violences faites aux femmes.

Nous vous proposons, de notre côté, de nombreuses sources de recettes fiscales supplémentaires, en réduisant, en premier lieu, les niches fiscales néfastes au climat, comme le tarif réduit de l'électricité pour les aéroports, ou le tarif réduit du charbon pour les entreprises énergo-intensives. Nous proposons également de supprimer la flat tax sur les revenus du capital pour qu'enfin, ils soient imposés à même hauteur que les revenus du travail. Nous proposons surtout d'instaurer un impôt de solidarité sur la fortune climatique, pour faire contribuer les plus gros patrimoines à la solidarité et les responsabiliser concernant leur empreinte carbone – puisque le patrimoine des soixante-trois milliardaires français émet autant que celui de la moitié de la population française. Nous le proposons parce que c'est juste et nécessaire, pour financer nos services publics et la transition écologique.

Monsieur le ministre délégué, vous êtes en train de rater le virage écologique. Les Français ont subi cet été des records de température, des sécheresses, des feux de forêt à répétition ; ils vivront cet hiver la flambée des prix de l'électricité. Il est plus que temps de mettre les moyens pour les protéger des effets du dérèglement climatique et de la flambée des prix de l'énergie.

Le virage écologique implique d'extraire les investissements dans la transition écologique du calcul du déficit public, pour assouplir un peu la règle absurde des 3 % qui nous empêche d'investir pour l'avenir, mais aussi de remplacer le PIB par les nouveaux indicateurs de richesse, c'est-à-dire des indicateurs de santé, d'éducation, d'inégalité de revenus et d'empreinte écologique, pour retrouver les véritables objectifs de nos politiques publiques : améliorer la qualité de vie de toutes et tous et leur garantir un environnement sain.

Le virage écologique implique peut-être surtout un plan Marshall pour l'isolation des logements. En France, 4,8 millions de ménages vivent dans une passoire thermique, c'est-à-dire un logement à étiquette énergétique F ou G. Que faites-vous pour ces ménages qui paieront le prix fort cet hiver ? Vous l'avez constaté vous-même, MaPrimeRénov' est un échec pour les rénovations globales – à peine 2 500 logements ont pu sortir du statut de passoire thermique. Pourtant, vous ne prévoyez que 2,5 milliards pour ce dispositif, alors que selon le rapport pour une réhabilitation énergétique massive, simple et inclusive des logements privés d'Olivier Sichel, que vous avez vous-mêmes commandé, il en faudrait 9 ! À votre rythme, il faudrait plus de trente-sept ans pour traiter la question des passoires thermiques en France. L'isolation, qui permet de baisser durablement la facture de chauffage des Français et de les protéger durablement du froid en hiver et de la chaleur en été, doit être une priorité.

L'autre priorité est d'investir massivement dans le secteur ferroviaire et les transports collectifs, pour offrir aux Français des solutions alternatives à la voiture et à l'avion. Nous l'avons dit, nous assumons d'être les Robins des bois des transports, de prendre à l'avion pour donner au train, en imposant une écocontribution sur les billets d'avion, comme le proposait la Convention citoyenne pour le climat, pour augmenter de 1,5 milliard le soutien de l'État à la SNCF, développer des RER métropolitains, une interconnexion européenne, ou encore la commande centralisée des aiguillages. Notre responsabilité est de proposer des options alternatives au véhicule individuel, en nous appuyant sur une pluralité de solutions adaptées à chaque territoire, comme le covoiturage, le bus et le TER. Ce ne sera pas possible sans financement supplémentaire.

Le virage écologique implique aussi une fiscalité fondée sur le bonus-malus, qui récompense les comportements allant dans le sens de nos objectifs écologiques et décourage la surconsommation d'énergie et de ressources.

Les écologistes sont souvent taxés de taxeurs ; à tort. Ainsi, nous vous avons proposé de baisser certains impôts, à commencer par la TVA sur le train et sur les transports collectifs, sur les produits bio et sur les services de réparation. À l'inverse, oui, c'est vrai, nous assumons de vouloir l'augmenter sur les billets d'avion et les produits de luxe. Nous vous avons également proposé d'inclure les yachts et les jets privés dans l'assiette de l'impôt sur la fortune immobilière, alors que les 10 % de Français les plus aisés émettent autant que la moitié la plus pauvre des Français. Tout le monde doit contribuer à l'effort climatique, à commencer par ceux qui émettent le plus.

Le virage écologique implique enfin de redonner aux collectivités locales la possibilité de mieux protéger nos concitoyens. Actuellement, elles sont prises à la gorge par la flambée des prix de l'énergie. Ce sont nos services publics de proximité qui sont en jeu : l'ouverture des gymnases, des piscines, des équipements culturels. Les collectivités locales ont besoin qu'on les soutienne en accélérant les décaissements du fonds vert pour le climat, pour la rénovation thermique des bâtiments, car seuls 375 millions d'euros sont prévus pour cela dans le budget pour 2023.

Elles ont besoin, surtout, de retrouver des marges de manœuvre fiscales. Nous vous proposons de leur permettre, si elles le souhaitent, d'augmenter la taxe d'habitation pour les résidences secondaires et la taxe de séjour. Dans un palace, le montant de la taxe de séjour s'élève au maximum à 4 euros par nuit, alors que la chambre coûte plus de 1 000 euros. Pourquoi refusez-vous de l'augmenter ? Pourquoi protéger encore et toujours les plus riches ?

Vous protégez les plus riches et vous sacrifiez les plus pauvres. Comment justifiez-vous, monsieur le ministre délégué, le budget que vous proposez pour l'hébergement d'urgence ? Dans l'arrondissement parisien où je vis, plus de 400 personnes dorment dans la rue. Comment voulez-vous qu'on comprenne que vous fermiez, avec l'adoption de ce budget, 7 000 places en hébergement d'urgence, ouvertes pendant la crise sanitaire, en plus des 7 000 places déjà fermées depuis le mois de janvier ?

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