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Intervention de Christine Pires Beaune

Séance en hémicycle du lundi 10 octobre 2022 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Pires Beaune :

Tout change et rien ne change sur le fond.

Après cinq années difficiles, marquées par la crise des gilets jaunes – un conflit social majeur comme la France n'en avait pas connu depuis très longtemps –, une crise sanitaire mondiale, une crise économique profonde, une inflation record qui étrangle les Français et le retour de la guerre en Europe, nous discutons du premier budget du second quinquennat du président Macron. Ses orientations et ses priorités demeurent sinistrement identiques à celles des cinq dernières années. Seul l'arrêt de l'économie en raison de la covid-19 vous a contraints à changer timidement et temporairement de cap. C'est regrettable.

Nous n'en sommes malheureusement plus à mettre des qualificatifs sur votre politique de classe que l'on sait injuste. J'en veux pour preuve le creusement continu et irrémédiable des inégalités de revenus, mais surtout de patrimoine.

C'est logique quand on sait que le fil conducteur de ce premier budget du quinquennat demeure le même : cadeaux fiscaux à certaines entreprises, y compris à celles qui, profitant de la situation, se goinfrent ; sacrifice perpétuel des ressources de l'État ; soutien insuffisant aux ménages des classes populaires et moyennes et réduction de la sphère d'intervention de la puissance publique alors que les besoins sont immenses. Les collectivités, quant à elles, demeurent la variable d'ajustement devant l'inefficacité de votre politique en matière de rétablissement des comptes publics.

Tout change, rien ne change. À un détail près, monsieur le ministre : vous devez désormais composer avec les idées et les propositions de vos oppositions, faute d'avoir su convaincre, lors des élections législatives, une majorité de Français que votre politique était la bonne pour eux.

Vos précédents budgets étaient ceux de la brutalité. Celui qui nous est présenté est celui de la continuité.

Il est le budget de la continuité parce que la politique de l'offre demeure votre horizon indépassable, votre vérité universelle. Vous perpétuez votre politique de classe – pour ne pas dire de caste – en ne mettant toujours pas à contribution les plus aisés et les profiteurs de crise.

Vous vous offrez même le luxe de leur faire un cadeau supplémentaire avec la suppression de la CVAE en deux temps, qui fera perdre 3,8 milliards au budget de l'État en 2023, puis 7,6 milliards chaque année à partir de 2024. Sur la durée de votre quinquennat, cette seule mesure représentera la bagatelle de 34 milliards de pertes de recettes pour l'État. Vous le désarmez au moment où nous devons investir dans nos services publics, réaffirmer notre indépendance, planifier et investir pour la bifurcation énergétique et écologique.

À titre d'exemple, l'entreprise TotalEnergies, qui a réalisé un bénéfice de 5,7 milliards de dollars rien qu'au deuxième trimestre 2022, bénéficiera d'un cadeau de l'État de 6,7 millions d'euros en 2023 et du double de cette somme chaque année à partir de 2024 avec la suppression de la CVAE.

Cette suppression d'impôt, qui n'est pas un impôt de production, profitera davantage aux plus grandes entreprises. Elle s'ajoute aux 54 milliards de baisses d'impôts et de cotisations réalisées ces cinq dernières années : autant d'argent qui ne rentre plus dans les caisses de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités, tandis que, dans le même temps, vous souhaitez prolonger l'âge de départ en retraite pour réaliser une économie de 8 à 9 milliards d'euros sur cinq ans. Les Français doivent travailler plus longtemps pour payer vos cadeaux aux grands groupes. Voilà votre sens de la justice !

Pire encore, vous assumez une réforme du régime des retraites pour réduire son déficit, mais surtout – c'est ce qu'ont dit les ministres – afin d'obtenir des marges de manœuvre pour financer les dépenses indispensables de l'éducation, de la justice, de la santé et de la transition écologique. Vous amalgamez le financement de la protection sociale, assuré essentiellement par des contributions, et le financement des politiques publiques, assuré par l'impôt. Cela, le Président de la République ne l'a jamais exposé aux Français. C'est pourquoi il est essentiel d'organiser un référendum sur cette question de société.

Votre si chère théorie du ruissellement n'a pas fonctionné : en témoigne non seulement le pouvoir d'achat des Français, qui n'a pas attendu la guerre en Ukraine pour s'éroder, mais également l'endettement de la France, qui devra lever plus de 270 milliards sur les marchés en 2023, un bien triste record !

Le 26 septembre, Bruno Le Maire disait que la France était, je le cite, « à l'euro près », afin de justifier l'absence d'investissements dans les secteurs stratégiques et les services publics, et d'éviter tout soutien supplémentaire aux ménages les plus modestes.

Permettez-moi de vous dire que le Gouvernement semblait moins soucieux des deniers publics lorsqu'il supprimait l'ISF, instaurait la flat tax, baissait l'impôt sur les sociétés ou supprimait la taxe d'habitation et la redevance télé.

Des idées pour financer, dans la justice sociale, des dépenses nécessaires et essentielles, nous en avons ! Ces derniers mois, des secteurs entiers ont engrangé des profits indus sur le dos des ménages étranglés par l'inflation, sans que ces rentrées d'argent ne soient dues à une quelconque réorganisation ou à des décisions stratégiques. La guerre en Ukraine a parfois bon dos !

La liste de ces secteurs s'allonge – secteur énergétique, transport de marchandises, concessionnaires d'autoroutes, banques, entreprises du luxe –, tout comme s'allonge la liste des États qui ont instauré une contribution exceptionnelle à l'effort national – Royaume-Uni, Espagne, Italie et Allemagne, pour ne citer qu'eux. La liste des autorités appelant à une telle mesure s'allonge également, qu'il s'agisse du secrétaire général de l'ONU ou encore du chef économiste de la Banque centrale européenne (BCE). Pourtant, vous seul continuez à faire la sourde oreille en refusant d'instaurer une taxation exceptionnelle et limitée dans le temps des superprofits.

D'autres marges de manœuvre existent dans la réduction des niches fiscales inefficientes et injustes. Je pense notamment au crédit d'impôt recherche dont France Stratégie, la commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation (Cnepi) et la Cour des comptes n'ont pas manqué de souligner les limites comme les excès. Le constat est limpide : ce crédit d'impôt n'a pas conduit à améliorer la performance économique de la France pour les grandes entreprises alors qu'il coûte près de 7 milliards à l'État.

Pire encore : si la France en est à l'euro près, le locataire de l'Élysée, lui, ne s'embarrasse pas avec la sobriété, puisque le budget de la présidence de la République augmentera de 5,2 millions d'euros en 2023. Faites ce que je dis, pas ce que je fais !

Dans le même temps, les Français les plus modestes seront impactés par la reconduction du bouclier tarifaire dans une version plus modeste, qui laissera les prix du gaz et de l'électricité augmenter de 15 % en janvier et février 2023. Une fois encore, les Français qui se chauffent au fioul domestique ou au bois sont oubliés dans ce PLF : évidemment, ils vivent loin de Bercy ! Quand ils enfilent un col roulé, ce n'est pas un effet de communication, c'est qu'ils ne peuvent plus se chauffer. L'abondance, eux, ils ne l'ont jamais connue.

Les services publics, également, seront à l'euro près. Il y a pourtant urgence à les remettre sur pied. La crise de l'hôpital public est toujours là, malgré le Ségur de la santé. Ce n'est que l'arbre qui cache la forêt.

Seules quelques missions budgétaires connaissent une hausse de leurs moyens. Ainsi, le budget de l'éducation nationale connaît une hausse certaine des crédits qui lui sont alloués et les annonces gouvernementales selon lesquelles aucun enseignant débutant ne gagnera moins de 2 000 euros en septembre 2023 sont les bienvenues. Toutefois, il est à craindre que, compte tenu de l'évolution du SMIC et de l'inflation, le salaire des professeurs certifiés, par exemple, ne dépasse pas 1,2 fois le salaire minimum alors que, en 1981, ils débutaient leur carrière avec un salaire équivalent à 2,2 fois le SMIC.

Dans le même temps, les collectivités devront économiser 10 milliards sur cinq ans alors qu'elles sont le premier investisseur du pays. Elles ont à ce titre un rôle stratégique pour la relance de l'économie et pour favoriser la transition écologique. Cela s'ajoute aux difficultés auxquelles elles devront faire face en raison de la suppression de la CVAE dont elles bénéficiaient.

Monsieur le ministre, arrêtez de raisonner à court terme : ne commettez pas la même erreur qu'au moment de la crise de 2008. L'État, les entreprises, mais aussi les collectivités ont plus que jamais non pas besoin, mais obligation, d'investir dans la transformation écologique et énergétique.

Avant de conclure, je veux insister sur l'importance de l'amendement socialiste adopté en semaine dernière en commission des finances, qui vise à transformer en crédit d'impôt la réduction d'impôt dont bénéficient les personnes en Ehpad. Il poursuit un but de justice sociale et de lutte contre les inégalités. J'espère que les débats que nous aurons en séance permettront de graver dans le marbre cette avancée en faveur des plus modestes de nos aînés. Ce serait là l'occasion de démontrer enfin que, conformément aux engagements de la Première ministre, le Gouvernement et sa majorité souhaitent trouver des compromis.

Ces compromis, nous en sommes encore très loin. Vous n'avez eu de cesse de vanter votre action, votre bilan, d'avoir fait ce que personne avant vous n'avait fait et de faire toujours mieux que les autres. Vous avez vendu aux Français le message : nous ou le chaos.

Monsieur le ministre, les riches sont toujours très riches, et beaucoup plus riches, et les multinationales font des superprofits tandis que la majorité des Français craint la précarité énergétique, financière et sociale.

Ce n'est pas le si mal nommé Conseil national de la refondation (CNR) qui changera les choses. Il emprunte son abréviation au Conseil national de la Résistance sans avoir en commun avec lui, malheureusement, son audace ou son esprit.

Les priorités de votre budget sont les mêmes depuis plus de cinq ans et elles ne sont clairement pas celles de la majorité de Français qui souffrent.

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