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Intervention de Sébastien Peytavie

Réunion du mercredi 8 novembre 2023 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Peytavie, rapporteur pour avis :

À nouveau, je suis contraint de commencer en déplorant l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, cette fois sur la seconde partie du PLF 2024 et pour la seizième fois au total. J'aurais aimé que nous puissions débattre sereinement de cet avis sur la mission Santé sans nous demander jusqu'au dernier moment si nous allions pouvoir examiner les amendements.

En multipliant le recours à l'article 49, alinéa 3, le Gouvernement perturbe considérablement nos travaux et nous prive de notre droit d'amendement. En tout cas, il réduit cette prérogative essentielle à la seule recherche d'un temps de parole, lui-même réduit à peau de chagrin. Il écourte la délibération démocratique et, en bridant l'expression de la volonté générale, empêche un débat en séance publique, comme il l'a fait l'an passé, sur des enjeux aussi cruciaux que ceux de la mission Santé.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le mentionner devant vous il y a un mois, lors de l'audition de la ministre Firmin Le Bodo, la mission Santé contient des mesures éparses et se voit allouer trop peu de crédits. Je donnerai d'ailleurs un avis défavorable à ces crédits.

Cette mission recouvre pourtant des enjeux majeurs pour notre pays, qui la dépassent largement. Ce sont ces enjeux que j'ai cherché à explorer au cours de mes travaux sur les nouveaux indicateurs et sur les nouvelles approches pour remettre la santé et le bien-être au cœur des politiques socio-environnementales et budgétaires. Pour cela, j'ai conduit de nombreuses auditions de décideurs publics mais aussi de statisticiens, de chercheurs, d'élus locaux ou encore de représentants d'institutions internationales, comme l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le constat est sans appel : il est grand temps de placer la santé et le bien-être au cœur de nos politiques publiques. La santé, définie par l'OMS comme un « état de complet bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité », ne constitue pas une politique parmi d'autres mais la matrice qui doit définir et guider l'action publique. N'oublions pas que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, reconnue dans le bloc de constitutionnalité de la Ve République, fait du bonheur de tous l'un des objectifs des institutions, notamment de l'État. Le bien-être et la bonne santé ne constituent-ils pas l'un des fondements de ce bonheur auquel nous avons toutes et tous le droit de prétendre ?

Or, s'il existe en France des politiques publiques de santé, comprenant notamment des dépenses publiques spécifiques ou encore une stratégie nationale, l'action publique ne répond pas à l'ambition de cette définition, qui suppose une impulsion politique décuplée et une réflexion plus globale qui s'étende notamment aux indicateurs et aux approches à adopter.

Pourtant, la France, grâce à la richesse des travaux produits par ses instituts et par ses chercheurs, telles Dominique Méda ou Florence Jany-Catrice, était motrice sur ce sujet il y a quinze ans déjà. En 2008, le Président de la République avait créé une commission à la renommée mondiale, dite « commission Stiglitz », se fondant sur le constat que les indicateurs statistiques sont importants pour concevoir et évaluer les politiques visant à assurer le progrès des sociétés. Cette commission a tout particulièrement remis en cause la pertinence du PIB comme indicateur.

Le législateur a poursuivi cette démarche et a adopté, en avril 2015, la loi dite « Sas » qui établissait de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, tels que l'indicateur d'espérance de vie en bonne santé. Cette loi prévoit la remise annuelle par le Gouvernement d'un rapport sur ces indicateurs. Mais que sont devenus ces efforts ? Le Gouvernement n'a pas respecté l'obligation fixée par le Parlement et a cessé, depuis 2019, de publier les rapports prévus par la loi Sas. L'omniprésence du PIB n'a jamais été réellement remise en cause et celui-ci demeure l'indicateur principal qui guide les politiques budgétaires et, en conséquence, l'ensemble de nos politiques publiques, révélant des stratégies excessivement court-termistes et financières.

Pis : notre pays est en train de passer à côté d'un véritable virage vers le bien-être alors que les initiatives foisonnent dans le monde, comme la loi sur le bien-être des générations futures adoptée au Pays de Galles en 2015 ou le budget dédié au bien-être adopté par la Nouvelle-Zélande en 2019. Ces politiques sont encore très mal connues dans notre pays, alors même qu'elles semblent très prometteuses. Il en va de même des travaux déployés au niveau international, tels que l'initiative du vivre mieux lancée par l'OCDE en 2011 ou les objectifs de développement durable adoptés par l'ONU en 2015. Pour sa part, l'OMS est pionnière sur le développement du concept One Health (Une seule santé). Ce concept promeut une approche intégrée de tous les aspects de la santé humaine, de la santé animale et de la gestion des écosystèmes, proposant une vision systémique et unifiée.

J'ai pu constater que ces mouvements trouvent un prolongement remarquable à l'échelon local, y compris chez nous, où les initiatives sont nombreuses et en pointe. La ville de Lyon, où a été ouvert en 2023 un Institut One Health, développe une approche originale de la santé et du bien-être associant chercheurs, élus et agents publics. Elle organise son propre système de mesure, faisant usage d'outils d'évaluation participative dans la perspective de faire émerger une boussole du bien-être qui permette d'orienter les débats et les choix budgétaires et de peser dans les rééquilibrages éventuellement nécessaires.

Toutes ces nouvelles approches et ces nouveaux indicateurs sont prometteurs et doivent nous interpeller. En 2022, le Conseil scientifique covid-19 soulignait d'ailleurs la pertinence d'une approche One Health et alertait sur l'urgence de passer d'une vision univoque de la santé à une vision intégrée, plus holistique. Certains concepts innovants peuvent nous y aider, comme le principe de transition vers la pleine santé développé par Éloi Laurent, qui actualise la définition de l'OMS. La pleine santé se définit ainsi comme un « état continu de bien-être : physique et psychologique, individuel et social, humain et écologique ».

Une réflexion collective et une impulsion politique majeure sont aujourd'hui nécessaires pour fixer l'amélioration de la santé et du bien-être comme un objectif mobilisateur pour notre société. Notre action, en tant que législateurs, est aussi indispensable qu'urgente pour inscrire la France dans le virage mondial vers la santé et le bien-être. Cette nécessaire impulsion devra ensuite se traduire par un travail non moins politique de définition des indicateurs pertinents répondant à cette vision intégrée de la santé et permettant d'atteindre les grands objectifs fixés. Il s'agira alors de faire vivre cette refondation de l'action publique, en la déclinant à l'échelon territorial mais aussi en la mobilisant dans nos travaux parlementaires. Nous pourrions par exemple, comme le suggère Marc Fleurbaey, prévoir l'intégration de nouveaux indicateurs de santé et de bien-être dans les études d'impact des projets de loi.

Enfin, c'est une restructuration profonde des politiques publiques qui semble nécessaire, tant le cadre actuel paraît inadapté. Il faut d'abord garantir la transversalité, l'interministérialité et la pluriannualité dans la mise en œuvre des politiques concourant à la santé et au bien-être, alors qu'aujourd'hui les administrations travaillent souvent en silo. De nouveaux outils législatifs, tels qu'une grande loi de programmation relative à la santé et au bien-être, pourraient être instaurés.

Surtout, c'est un big bang budgétaire de la protection sociale qui sera nécessaire pour se départir d'une approche court-termiste, financière et fondée excessivement sur le PIB. Les PLF et PLFSS sont désormais dépassés, parce qu'inadaptés aux changements structurels qu'appelle la société de demain. Ils doivent être rénovés pour mieux prendre en compte la santé dans la durée. Une meilleure articulation entre les deux textes ou une budgétisation guidée par la santé – health budgeting – pourraient y contribuer. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie lui-même, en tant qu'outil, doit faire l'objet d'une évaluation. En tant que membre de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, j'appelle à ce que nous nous saisissions du sujet.

Chers collègues, l'heure est venue de faire entrer notre État dans l'ère de la santé et du bien-être et d'intégrer la France dans le virage en cours au niveau mondial. Je le répète : la santé au sens large n'est pas seulement une mission du budget ; elle n'est pas une stratégie ; elle doit être l'élément cardinal qui guide toutes nos décisions. J'en appelle à votre engagement pour en débattre et pour accomplir ce projet au niveau national.

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