Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, j'ai le plaisir d'avoir été désignée rapporteure pour avis de la mission Régimes sociaux et de retraite d'une part, du compte d'affectation spéciale Pensions, d'autre part.
À l'issue de l'analyse de ces crédits, j'ai souhaité approfondir nos réflexions en traitant dans la partie thématique d'un sujet fondamental, que nous avons paradoxalement peu abordé lors du débat sur la récente réforme des retraites, à savoir la natalité et la démographie, en lien avec le financement de notre système de retraite.
Tout d'abord, la mission Régimes sociaux et de retraite regroupe au sein de trois programmes un grand nombre de régimes spéciaux de retraite, alliant de petits régimes fermés aux plus conséquents tels que ceux de la SNCF ou de la RATP. Qu'il s'agisse du programme 198 Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres, du programme 197 Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins ou du programme 195 Régime de retraite des mines, de la SEITA et divers, tous se composent de régimes anciens, marqués par un fort déséquilibre démographique, que l'État compense financièrement au titre de la solidarité nationale.
Malgré la diminution tendancielle des crédits de la quasi-totalité des actions de la mission, ils seront en augmentation de 1,5 % par rapport à la loi de finances initiale 2023. Ils s'élèveront ainsi en 2024 à plus de 6 milliards d'euros. Cette augmentation s'explique par deux facteurs principaux, à savoir l'augmentation de 10 %, soit environ 75 millions d'euros supplémentaires en 2024, des crédits du régime de retraite du personnel de la RATP et le transfert à la mission des caisses de retraite du personnel de la Comédie-Française et de l'Opéra national de Paris, pour près de 25 millions d'euros.
Par ailleurs, le compte d'affectation spéciale Pensions regroupe depuis 2006 les crédits des régimes de retraite et d'invalidité dont l'État a la charge. Composé de trois programmes, à savoir le programme 140 Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité, qui regroupe plus de 95 % des crédits de la mission, le programme 742 Ouvriers des établissements industriels de l'État et le programme 743 Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions, le compte d'affectation spéciale voit ses crédits augmenter de 5 % par rapport à la loi de finances initiale 2023. Ils s'établissent à plus de 67 milliards d'euros. Cette augmentation s'explique principalement par la revalorisation des pensions annoncée par le Gouvernement pour 2024.
À l'issue de nos échanges, je vous inviterai donc à voter pour les crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.
S'agissant des aspects thématiques, les très nombreuses auditions que nous avons menées se sont avérées extrêmement riches et nous avons porté notre attention sur la natalité, la démographie et le financement de notre système de retraite. Présentée comme « indispensable à la pérennité du système », la récente réforme des retraites n'a malheureusement pas permis de mener une réflexion ambitieuse sur l'enjeu de la démographie française qui est pourtant indissociable de la notion d'équilibre dans un système de retraite par répartition. En effet, si la durée et le niveau des cotisations et des pensions jouent un rôle certain dans sa soutenabilité, un tel régime repose fortement sur le rapport entre le nombre d'actifs cotisants et le nombre de pensionnés. Dès lors, au regard des tendances démographiques actuelles, notamment de la natalité, notre système sera fragilisé à long terme.
Ce constat devrait nous conduire à cesser urgemment de reléguer la démographie et la natalité au rang de variables, pour les élever au contraire – aux côtés de la productivité que je n'aborderai pas directement dans ce rapport – au statut de levier stratégique de financement de notre système de retraite.
Sur les faits d'abord, je souhaite insister sur quatre constats issus des auditions que j'ai conduites et dont nous nous devons d'informer les Français.
En premier lieu, nous constatons que notre système de retraite est à ce jour à l'équilibre en théorie, mais qu'en pratique, des clarifications seraient utiles. En 2022, après quinze années de déficit, le système de retraite était excédentaire de 4 milliards d'euros. Si cet excédent est transitoire, les auditions ont mis en exergue les débats qui l'entourent d'ores et déjà. En effet, l'excédent actuel est permis grâce à des concours financiers publics complémentaires, de deux ordres, à savoir d'une part, des subventions, des transferts ou des impôts affectés au bénéfice du déficit des régimes spéciaux, comme le fait la mission Régime sociaux et de retraite, d'exonérations ciblées, d'avantages familiaux ou de périodes de chômage et d'autre part, des cotisations des fonctionnaires à des taux exorbitants, bien au-dessus du taux observé pour les salariés du privé. Ces crédits se retrouvent pour partie dans le compte d'affection spéciale Pensions. Au total, l'État contribuerait, hors cotisations de droit commun, au tiers du financement de notre système, interrogeant ainsi une partie de l'excédent affiché pour 2022.
En deuxième lieu, malgré l'allongement de l'espérance de vie, la part des dépenses de retraites dans le PIB diminuera, notamment sous l'effet de la réduction du niveau vie relatif des retraités. Nous savons que la population des plus de 65 ans ne cesse de croître et que le phénomène devrait s'accentuer sous l'effet de l'augmentation de l'espérance de vie. Dès lors, les dépenses de retraite augmenteront en volume, mais leur part dans le PIB devrait se stabiliser, voire diminuer. Alors comment est-ce possible ? Si le PIB devait augmenter, cette diminution serait notamment permise par la moindre augmentation des pensions. En effet, la pension moyenne devrait passer de 50 % du revenu d'activité moyen brut en 2021, à moins de 42 %, voire 35 %, à horizon 2070. En conséquence, le niveau de vie relatif des retraités par rapport à l'ensemble de la population diminuera fortement.
En troisième lieu, les recettes diminueront plus que les dépenses, occasionnant un déficit annuel durable de l'ordre de 0,2 à 1,6 % du PIB. Les déterminants de cette diminution, développés dans le rapport, sont divers à court et moyen termes, mais je tiens à alerter, à long terme, sur la baisse de la population active. Après avoir atteint son pic en 2036, la population active diminuera jusqu'en 2070, passant en dessous de son niveau actuel à près de trente millions d'actifs.
Enfin, en quatrième lieu, le constat principal réside dans la chute libre de la natalité française. Le nombre de naissances est au plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale, avec 726 000 naissances en 2022. Sur le plan conjoncturel, cette diminution peut s'expliquer par le creux des naissances du début des années 1990, raison pour laquelle les femmes en âge de procréer sont aujourd'hui moins nombreuses. Toutefois, sur le plan structurel, d'autres facteurs expliquent cette situation. Parmi les facteurs développés dans le rapport, je tiens particulièrement à alerter sur la déconstruction à l'œuvre de la politique familiale menée depuis de nombreuses années, qui porte atteinte à la confiance des familles.
Affaiblie depuis les années 1970, la politique familiale a été durement touchée entre 2012 et 2017. Après quoi, les courbes montrent que la natalité a fortement chuté. Pourtant, de nombreuses études démontrent que le désir d'enfant des familles est intact. Alors que la fécondité s'établit à 1,8 enfant par femme en 2022, le désir d'enfant s'élève quant à lui à près de 2,4 enfants. Si nous n'agissons pas, la chute de la natalité rendra insoutenable le système actuel, et ni l'immigration ni la récente réforme des retraites ne constitueront le salut de notre système.
Au regard de ces constats, mon rapport explore trois voies afin d'assurer la pérennité du système.
Le premier levier consiste à porter le taux de fécondité au niveau du nombre d'enfants désirés via une politique familiale réellement nataliste. Cela nécessite tout d'abord un soutien financier accru via une part fiscale pleine dès le deuxième enfant et la revalorisation des allocations familiales, permise grâce à une réorientation des dépenses actuelles.
Il conviendrait ensuite de soutenir l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des parents, notamment par le développement de solutions de garde d'enfants et par une réflexion autour du congé parental, tant sur sa durée que sur son niveau d'indemnisation.
Enfin, il importe d'organiser un accès simplifié au logement. Nous savons qu'il s'agit d'un sujet d'attention primordial pour les familles, notamment les plus modestes. Le parc de logements sociaux doit jouer pleinement son rôle, en étant étoffé et mieux géré, pour que ces logements soient prioritairement attribués aux familles françaises ; cela va sans dire. Par ailleurs, il en va aussi de l'accès à la propriété des jeunes couples que nous proposons de soutenir au travers d'un prêt public à taux zéro de 100 000 euros, transformé en don à l'arrivée du troisième enfant.
Le deuxième levier porte plus directement sur l'accroissement et la diversification des recettes. Le taux d'activité et d'emploi des plus jeunes et des seniors doit être véritablement rehaussé. En ce sens, mon rapport préconise d'encourager l'emploi des jeunes, sous toutes ses formes, au travers d'un dispositif de soutien aux entreprises et aux jeunes. Des dispositions comparables pourraient être mises en œuvre pour les seniors.
Par ailleurs, le financement de notre système de retraite impose la diversification de ses ressources. J'encourage à ce titre des réflexions sur une forme de capitalisation collective, à l'image du Fonds de réserve pour les retraites, qui pourrait constituer une piste intéressante dans l'esprit de notre système actuel.
Enfin, le troisième levier concerne le pilotage des flux financiers du système de retraite. D'abord, la consolidation par l'État d'un solde, avant subventions et cotisations exorbitantes du droit commun, semblerait pertinente. De même, les auditions ont été l'occasion de rappeler l'importance d'un contrôle de gestion ambitieux et exigeant afin d'éviter les situations telles que celle observée au sein de la branche famille, dont les comptes n'ont pas été certifiés par la Cour des comptes en 2022.
C'est à ces trois conditions, à savoir le sursaut et l'augmentation durable de la natalité, l'augmentation du taux d'activité et la diversification des recettes ainsi que le pilotage fin et ambitieux des flux financiers, que nous pourrons, chers collègues, préserver notre système de retraite par répartition, auquel nos concitoyens sont attachés.