Intervention de Bruno Millienne

Réunion du mardi 7 novembre 2023 à 17h20
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Millienne, rapporteur :

La proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP traite d'un sujet sensible, qui demeure clivant : l'ouverture à la concurrence des réseaux de transport public en Île-de-France et plus spécifiquement du réseau des bus de la Régie autonome des transports parisiens, la RATP, à Paris et en première couronne.

En préambule, j'indiquerai ce qu'elle n'est pas, pour que nous nous concentrions sur le fond du texte au lieu de rouvrir des débats déjà tranchés par le législateur.

La présente proposition de loi n'introduit pas l'obligation d'ouvrir à la concurrence le réseau de bus en Île-de-France. Le processus d'ouverture à la concurrence du réseau exploité par la RATP, notamment en ce qui concerne les bus, est engagé depuis la loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports. Cette décision a été prise dans le respect du droit européen, dont le cadre en la matière a été fixé par le règlement du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, dit règlement « OSP ».

Ce dernier laisse le choix aux autorités nationales, en matière d'exploitation des services publics de transport de voyageurs, de recourir soit à un opérateur interne émanant de l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM), soit à l'attribution de contrats de service public après mise en concurrence. Si je le rappelle, c'est parce que j'entends trop souvent l'excuse facile du « C'est la faute à l'Europe ! » – je crains d'ailleurs de l'entendre à nouveau cet après-midi.

Nous avions le choix d'ouvrir ou non à la concurrence. Nous avons fait celui que je considère être le bon. Il permet aujourd'hui à la RATP d'exporter son savoir-faire partout en Europe, et offrira demain un réseau de transport plus performant et plus efficace.

Outre le fait que tel n'est pas l'objet de la présente proposition de loi, revenir sur la décision d'ouverture à la concurrence du réseau de bus, comme le prévoient de nombreux amendements déposés, serait un déni de réalité. L'ouverture à la concurrence du réseau de bus est bel et bien engagée par Île-de-France Mobilités (IDFM). Dès le mois de février 2022, l'allotissement du réseau de bus en treize lots, à Paris et en première couronne, a été décidé par IDFM ; les premiers avis de concession ont été publiés dans la foulée.

La présente proposition de loi ne vise pas non plus à reporter l'ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP. Elle permet seulement à IDFM d'échelonner le calendrier d'ouverture effective à la concurrence sur une durée maximale de deux ans à compter de la date initialement prévue. Dès la fin de l'année 2024, les premières délégations de service public (DSP) seront attribuées ; elles seront mises en service au deuxième trimestre 2025.

J'en viens à ce que prévoit la proposition de loi et aux raisons pour lesquelles nous sommes réunis.

Ce texte s'inscrit dans la continuité de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), qui a défini le cadre légal du volet social de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP. Il vise à le compléter et à le consolider. En effet, plusieurs difficultés ont été soulevées depuis un an, s'agissant notamment du calendrier d'ouverture à la concurrence prévu par la loi et des garanties sociales accordées aux salariés concernés par l'ouverture à la concurrence.

Sur les difficultés calendaires, nous sommes convenus au printemps dernier, lors de l'examen de la proposition de loi visant à surseoir à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP présentée par Stéphane Peu, que la bascule vers l'ouverture à la concurrence en un jour, le 1er janvier 2025, n'était ni réaliste ni souhaitable. Quelques chiffres suffisent à mesurer l'ampleur du processus : 19 000 conducteurs, 315 lignes, 4 800 bus et 1 300 points d'arrêt.

Outre le défi structurel que constitue l'ouverture à la concurrence du réseau de bus le plus dense de France, celle-ci aurait eu lieu dans le contexte de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024. Indiquer ainsi à 19 000 conducteurs quels seraient leur nouvelle affectation et leur nouvel employeur au 1er janvier 2025 paraît totalement irréaliste. Chacun imagine l'inquiétude et, potentiellement, la désorganisation qu'entraînerait un tel chevauchement de calendriers.

Le compromis élaboré à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Peu consistait à prévoir un délai supplémentaire de deux ans, pour permettre à IDFM d'échelonner le calendrier d'ouverture à la concurrence du réseau de bus jusqu'en 2026. À défaut d'avoir examiné ce texte en séance publique dans le cadre de la niche parlementaire du groupe GDR, ce que j'ai vivement regretté, nous avons l'occasion d'adopter ce compromis dans la présente proposition de loi.

Par ailleurs, une mission de préfiguration sociale a été confiée à MM. Jean-Paul Bailly et Jean Grosset en février 2023 pour faciliter l'ouverture effective à la concurrence. Elle portait sur le volet social pour les salariés concernés et a associé toutes les parties prenantes à ses travaux. Ses recommandations ont été remises à IDFM au mois de juin. La présente proposition de loi, déposée au Sénat par M. Vincent Capo-Canellas le 29 septembre, en est la transcription législative.

La proposition de loi vise deux objectifs principaux : garantir les meilleures continuité et qualité de service public pendant et après la période de transition vers l'ouverture à la concurrence tout en préservant un cadre social exigeant pour les salariés concernés ; veiller à l'équité concurrentielle. J'ai auditionné les représentants des opérateurs, des usagers et d'IDFM, ainsi que ceux des organisations syndicales, qui demeurent opposées au principe de l'ouverture à la concurrence. Tous sont satisfaits des points d'équilibre issus de la mission Bailly-Grosset, qui figurent dans le texte.

L'article 1er répond aux inquiétudes relatives à la mobilité géographique obligatoire des salariés concernés par le transfert de leur contrat de travail, lequel aura lieu à l'échelle non de la ligne, mais du centre-bus. Cette règle de principe est complétée par un mécanisme d'appel à volontariat, confié à IDFM, visant à ajuster d'éventuels déséquilibres d'effectifs entre centre-bus.

Des dispositions spécifiques permettent aux conducteurs de bus de nuit de suivre leur ligne au sein d'un autre centre-bus, et de basculer à défaut sur des lignes de jour. Par ailleurs, l'article 1er prévoit l'extension du bénéfice des garanties sociales à tous les salariés transférés pour combler les angles morts de la LOM s'agissant des salariés affectés aux missions reprises en régie ou quasi-régie par IDFM.

La consolidation des garanties sociales et l'attention portée à la situation de chaque salarié caractérisent également l'article 6, qui vise à proroger les mandats des représentants du personnel à la RATP jusqu'à la fin de la période d'ouverture progressive à la concurrence du réseau de bus. Ainsi, le dialogue social ne sera pas interrompu pendant la période de transition.

L'article 4 permet à IDFM d'échelonner le calendrier d'ouverture effective à la concurrence pendant une durée maximale de deux ans à compter de la date initialement fixée par le législateur, à savoir entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026.

Le souci d'assurer la continuité du service public et de permettre à chaque opérateur de préparer au mieux l'ouverture à la concurrence du réseau de bus se retrouve à l'article 5, qui prévoit le report, pendant une période transitoire de quinze mois, de l'application du cadre social territorialisé (CST). Ce report concernera notamment la disposition du CST qui prévoit une amplitude horaire journalière maximale de onze heures pour les services en deux fois. En effet, l'amplitude horaire quotidienne maximale de travail en vigueur à la RATP étant de 13 heures, sa modification créerait un manque de 500 à 700 conducteurs. Il est donc indispensable de prévoir une période de transition pour permettre à chaque nouvel opérateur d'anticiper les besoins et de recruter des conducteurs.

Les articles 2 et 8 sont relatifs à IDFM. L'article 2 vise à élargir ses possibilités de recrutement à des salariés de droit privé, en raison de la diversification et de la complexification de ses missions dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des transports publics de la région Île-de-France. L'article 8 autorise la représentation, au sein du conseil d'administration d'IDFM, des organisations représentatives des employeurs, lesquels sont les premiers financeurs du réseau de transport public dans la région.

Ces articles vont dans le bon sens et ont reçu un très bon accueil de la part des parties prenantes que j'ai auditionnées.

Quelques remarques avant de conclure sur l'article 3 qui concerne la compétence de règlement des litiges éventuels entre IDFM et la RATP sur le calcul du nombre de salariés transférés, confiée à l'Autorité de régulation des transports, l'ART. Lors de leur audition, ses représentants m'ont indiqué que l'attribution de cette compétence à l'ART, dont la réputation et le professionnalisme ne sont plus à démontrer, pose problème. En effet, l'ART ne dispose d'aucune compétence sectorielle en matière de transport routier de voyageurs en Île-de-France. Sa compétence est limitée aux réseaux de transport souterrain de la région. Ses représentants considèrent que l'intervention de l'ART n'est pas légitime hors de ce domaine, d'autant qu'elle ne dispose pas des moyens humains et financiers pour élargir le périmètre de cette compétence, qui lui a été attribuée par la LOM.

De telles conditions d'exercice sont de nature, me semble-t-il, à mettre en péril les autres missions de l'ART et, plus globalement, sa crédibilité et son expertise, reconnues dans et hors de nos frontières. J'émettrai donc un avis favorable aux amendements CD2 et CD4 – sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement CD103 pour ce dernier – de M. Vatin, visant à laisser en l'état les compétences de l'ART, comme elle le demande.

En conclusion, je remercie nos collègues du Sénat de la qualité du travail effectué en première lecture, grâce auquel nous examinons un texte déjà très complet. Je tiens aussi à rappeler un principe essentiel : l'État n'a pas vocation à se substituer à IDFM – certains amendements suggèrent que leurs auteurs l'ont oublié. Notre rôle de législateur est de fixer un cadre, pas d'opérer en qualité d'AOM. La gestion opérationnelle de l'ouverture à la concurrence incombe uniquement à IDFM.

Les auditions que j'ai menées ont permis de détecter plusieurs points de crispation dans la gestion de la transition, s'agissant par exemple de l'information des voyageurs ou encore de la coordination des différents opérateurs, notamment en situation de crise. Ces doutes devront être levés au plus vite.

Dire que tout s'est parfaitement passé lors de l'ouverture à la concurrence du réseau de bus des moyenne et grande couronnes ne serait pas fidèle à la réalité. Dire le contraire ne le serait pas moins. Si le contexte ne sera pas le même dans les prochains mois, les leçons du passé devront néanmoins être retenues. Quoi qu'il en soit, l'État se tiendra aux côtés d'IDFM, dans son rôle : ce texte et notre présence en sont la preuve.

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