La viticulture est très diverse, dans son fonctionnement, mais aussi du fait du climat propre à chaque région : les besoins de protection du vignoble ne sont pas les mêmes en Méditerranée, dans la Loire et sur la façade Atlantique.
Depuis 2015, on observe une diminution très marquée de l'utilisation des produits, notamment les plus dangereux, les CMR. Elle est drastique dans certains vignobles : dans le grand Sud-Ouest, de Cognac à Bordeaux et autour de Toulouse. Dans le Bordelais, par exemple, on est descendu en dessous de 10 % d'utilisation des produits CMR et la part des produits bio et de biocontrôle atteint 65 % en 2022. C'est une révolution qui s'est faite en cinq ou six ans.
Il est vrai que l'objectif de 50 % – encore faut-il savoir de quoi on parle en y faisant référence – n'est sans doute pas atteint, mais ce que l'on a réussi en si peu de temps est déjà un exploit étonnant. Cette transition, endossée par l'ensemble de la viticulture, est attendue par la société – mais nous faisons partie de la société et nous avons les mêmes attentes que nos clients.
Si nous ne sommes pas allés plus loin, c'est faute d'alternatives. Tandis que certaines molécules ont disparu, d'autres, qui pourraient être disponibles plus vite, n'arrivent pas parce que les autorisations de mise sur le marché (AMM) prennent du temps, particulièrement pour les produits bio et de biocontrôle. Il faudrait faire évoluer la réglementation pour accélérer ces AMM et, en attendant, étendre les possibilités d'AMM provisoires. Un autre enjeu, très technique, est la reconnaissance mutuelle d'AMM. L'Europe est divisée en deux zones, nord et sud ; la France appartient aux deux. Ainsi, lorsque nos amis espagnols autorisent un nouveau produit, celui-ci ne peut pas entrer en France s'ils n'en ont pas demandé l'homologation pour la zone nord.
J'en viens à l'enjeu assurantiel. La société nous demande de traiter moins et nous le souhaitons aussi, mais cette prise de risque est assumée à 100 % par le producteur. En 2023, certaines entreprises, bio mais pas seulement, auront quasiment tout perdu. Si ce problème assurantiel n'est pas traité, des viticulteurs vont réintroduire des CMR. Être certifié n'est pas un objectif si cela signifie mourir économiquement.
Je fais partie de la task force « viti » qui travaille sur l'anticipation de l'éventuelle suppression de molécules. Lorsqu'une molécule est retirée du marché, nous avons besoin de temps pour trouver des alternatives. Nous avons identifié trois grands dangers, le mildiou, le black-rot et la flavescence dorée – qui provoque en trois ou quatre ans la perte de toute la parcelle : si nous perdions la famille des pyréthrinoïdes, c'est une partie du vignoble, en bio comme en conventionnel, qui disparaîtrait.