Je vous remercie chaleureusement, monsieur le président, pour votre efficacité et votre bienveillance dans la conduite de nos débats. Je remercie également les membres de la commission d'enquête pour leur implication au cours des trente-neuf auditions, auxquelles se sont ajoutés nos déplacements à Bordeaux et à Sainte-Soline.
Tous les acteurs ont accepté d'être auditionnés, à l'exception des Soulèvements de la Terre. Ceci vous a amené, de manière inédite me semble-t-il, à faire application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Nous aurons ainsi démontré notre volonté d'écoute mais aussi notre intransigeance face au non-respect de notre institution.
La complémentarité des approches, qu'elles soient opérationnelles, juridiques – tant sur le plan administratif que judiciaire – ou sociologiques, et leur caractère parfois discordant, sinon contradictoire, nous ont permis d'entendre tous les points de vue, y compris ceux qui étaient très éloignés des nôtres. En tant que rapporteur, je me suis efforcé de restituer, aussi fidèlement que possible, les constats et analyses qui nous ont été présentés par l'ensemble des personnes auditionnées. Les éventuelles conclusions personnelles que j'en ai tirées sont expressément soulignées comme telles dans le rapport.
Les débats préalables à la création de la commission d'enquête ont fait ressortir les trois objectifs principaux qui lui étaient assignés. En premier lieu, cerner le profil des groupes et individus présents sur le théâtre de rassemblements en marge desquels ont éclaté des violences, afin de dissiper certains dénis et fantasmes. Il est une donnée objective et presque incontestée : l'extrême violence à laquelle les forces de l'ordre ont été confrontées, mettant parfois leur vie en danger. Je tiens à leur rendre hommage. Le rassemblement de Sainte-Soline marque le franchissement d'un cap dans la violence. La stratégie de confrontation est assumée, organisée, préméditée et ne peut avoir pour seule issue qu'un déferlement de violence.
Deuxième objectif, comprendre et rendre compte de l'organisation des structures impliquées, de leurs ressources matérielles et humaines, de leurs motivations, de leurs soutiens ainsi que de leurs modes opératoires.
Troisième objectif, déterminer les moyens nécessaires pour mieux prévenir et mieux réprimer les actions violentes, en évaluant la pertinence du cadre légal et règlementaire ainsi que l'efficacité des dispositifs de maintien de l'ordre. À cet égard, j'ai souhaité que nous nous intéressions non pas à la conduite des opérations de maintien de l'ordre – terme par trop ambigu – mais à leur déroulement et aux comportements de l'ensemble des acteurs.
Le rapport comprend trois parties. La première dresse le bilan humain, matériel et économique des violences commises en marge des manifestations, en exposant la mobilisation des forces de l'ordre et la réponse judiciaire qu'elles ont suscitées. Bien que la commission d'enquête ait été créée à la demande de deux groupes de la majorité, à aucun moment nous n'avons éludé le point de basculement que constitue le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution sur la réforme des retraites le 16 mars 2023.
La deuxième partie s'intéresse à la notion de continuum de la violence en décrivant les modes opératoires des activistes radicaux mais aussi leur profil, leurs motivations et l'organisation des groupuscules auxquels ils se rattachent. Il existe en effet, en marge des mouvements de revendication traditionnels, de nouveaux rapports à la violence, des formes de légitimation explicite ou implicite de son usage, corroborant une montée en puissance des éléments activistes radicaux qui n'est pas propre à notre pays. La formation d'un bloc radical au sein des précortèges et le développement des rassemblements spontanés, notamment dans la protestation contre la réforme des retraites, mais aussi l'affirmation de radicalités nouvelles au nom de la défense de causes environnementales me poussent à un constat alarmant : les frontières entre violence et non-violence, entre conflictualité et extrémisme, entre contestation et volonté insurrectionnelle sont aujourd'hui particulièrement perméables. J'emploie dans le rapport le terme de « brume » pour qualifier cette nébuleuse de la pensée très inquiétante qui nous a tous frappés. J'évoque également un glissement vers la violence dont témoignent les mutations de la désobéissance civile. Certains estiment que celle-ci peut désormais s'affranchir du principe de non-violence qui est pourtant sa caractéristique fondatrice.
Le rapport clarifie un point qui a pu faire naître des craintes ou des fantasmes : les violences n'ont pas été planifiées et orchestrées par des organisations activistes et radicales qui, sur le territoire national ou à l'étranger, en auraient assuré le pilotage centralisé. De même, il n'existe pas de lien organique entre activistes ou groupuscules violents et organisations plus traditionnelles telles que des partis politiques ou des syndicats. En revanche, il existe des passerelles. C'est le cas avec une partie du milieu étudiant ; nous l'avons vu à Bordeaux. C'est même le cas avec le milieu syndical – je pense à certains militants de la CGT Mines-Énergie. Si Sophie Binet, lors de son audition, s'est étonnée de mes remarques sur l'attitude de cette fédération de la CGT, consistant à couper l'électricité du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, elle ne l'a pas dénoncée. Nous sommes là dans la brume que j'évoquais précédemment.
La troisième partie du rapport analyse les enjeux opérationnels du maintien de l'ordre et le cadre juridique afin de sanctionner plus efficacement les auteurs de violences – ceux qui sont venus casser, en découdre avec les forces de l'ordre et s'en prendre aux symboles de l'État, au risque parfois de menacer la vie des policiers et des gendarmes. Les individus violents n'ont manifestement pas fait la distinction que certains ont voulu mettre en évidence entre violences contre les biens et violences contre les personnes.
Le rapport formule trente-six recommandations de niveau juridique variable. Permettez-moi de vous en présenter quelques-unes.
Elles concernent, en premier lieu, la modernisation des instruments du maintien de l'ordre et le contrôle de l'activité des forces de sécurité intérieure – l'un ne pouvant à mon sens aller sans l'autre.
Il s'agit d'abord de stabiliser la doctrine d'emploi des forces et de tirer les leçons de l'expérience des manifestations du printemps 2023. La France dispose depuis septembre 2020 d'un schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), qui a fait l'objet de plusieurs ajustements à la suite d'un arrêt du Conseil d'État du 10 juin 2021.
Nos travaux confirment une tension, quasi inévitable, que connaissent bien les acteurs de la sécurité publique, entre deux principes fondamentaux : d'une part, le maintien à distance et la désescalade, qui est l'objectif des forces de l'ordre, n'en déplaise à certains ; d'autre part, l'intervention rapide et la mobilité des forces en cas d'exaction. La très grande mobilité des éléments du bloc radical, leur sens de l'organisation et leur violence contraignent les forces de l'ordre à des opérations dans un environnement toujours plus complexe. C'est la raison pour laquelle le rapport recommande d'« évaluer la pertinence opérationnelle de l'articulation et du format des unités de maintien de l'ordre affectées à l'encadrement des rassemblements et des manifestations au regard des exigences du SNMO ».
Le rapport souligne également l'impératif que constitue une coopération renforcée avec les organisateurs et les participants des manifestations. L'exemple de Sainte-Soline – le refus total des organisateurs de dialoguer avec les autorités administratives, y compris s'agissant de l'architecture des secours – est à cet égard remarquable, si j'ose dire. Sans coordination entre organisateurs et forces de l'ordre, il est inévitable que les choses se passent mal. Dans les manifestations intersyndicales, le plus souvent, la coordination est plutôt satisfaisante.
Les forces de l'ordre doivent être capables de distinguer le manifestant de bonne foi de l'individu violent, notamment lors de la dispersion de la manifestation. Il faut améliorer la communication en direction des premiers. La France doit ainsi revoir profondément son approche en « dotant les forces de l'ordre de moyens techniques – tels que panneaux indicateurs, dispositifs – permettant d'assurer l'information des participants aux cortèges et rassemblements sur le lieu des manifestations et de communiquer efficacement à leur destination ». C'est la recommandation n° 3.
Il me paraît également indispensable d'améliorer les rapports fonctionnels entre les forces de sécurité intérieure et les services d'ordre des syndicats. Nous constatons un affaiblissement des moyens déployés par les structures syndicales pour la protection des manifestations et rassemblements organisés à leur initiative, mais aussi des difficultés pratiques dans la gestion de l'accès aux cortèges. En particulier, un meilleur filtrage des individus violents est nécessaire en fin de manifestation, sur les lieux de dispersion : autant il est difficile pour eux d'accéder au point de départ du cortège, autant il leur est souvent facile de se rendre à son point d'arrivée et de s'y livrer à des exactions. Il apparaît donc nécessaire de renforcer les effectifs des équipes de liaison et d'information, de sorte que les services d'ordre des syndicats disposent en permanence d'un interlocuteur identifié.
Le rapport invite également à mieux définir la place des journalistes et des observateurs. C'est là un sujet qui peut faire débat entre nous. Les journalistes que nous avons reçus – qu'ils soient street reporters ou qu'ils appartiennent à des chaînes d'information en continu – nous indiquent que les premières violences qu'ils constatent s'exercent contre eux. Ils notent en second lieu des difficultés dans leurs relations avec les forces de l'ordre. J'appelle donc à une meilleure coordination, dans le cadre du SNMO, même si des progrès ont déjà été accomplis après l'arrêt du Conseil d'État que je mentionnais précédemment. Un comité de liaison mensuel est prévu : il doit aborder ces questions pour lever les ambiguïtés sur la mission des journalistes, surtout dans le cadre chaotique des manifestations.
Je propose ensuite la nomination d'observateurs indépendants. J'ai beaucoup hésité avant de formuler cette proposition, et je sais qu'elle fera débat, mais j'ai constaté que des gens se présentent déjà comme observateurs. Ils le sont, sans doute, mais ils sont aussi parfois membres des structures qui appellent à manifester. La question de leur impartialité se pose. Ceux que nous avons entendus considéraient qu'ils n'étaient là que pour observer le comportement des forces de l'ordre : pourquoi pas, mais il me semble qu'il faut tout observer. Si nous voulons objectiver les questions des violences et du maintien de l'ordre, et apaiser le débat public, la présence d'observateurs indépendants, qui ne seraient pas là pour regarder l'une ou l'autre seulement des parties en présence, pourrait être une solution. Le débat en noir et blanc auquel nous assistons n'est pas toujours à la hauteur de la complexité des situations et, j'y insiste, de la violence qu'affrontent nos forces de l'ordre.
Le contrôle externe du maintien de l'ordre revient au Défenseur des droits. C'est un modèle qui est plutôt un standard européen. Mais ses moyens, matériels et humains, sont limités. Dans ce débat sur le maintien de l'ordre, et parce que je ne crois pas que le problème vienne des forces de l'ordre, j'estime que nous devons assurer la transparence : je propose donc de donner au Défenseur des droits la possibilité de saisir directement les inspections générales à des fins d'enquête administrative.
Meilleure reconnaissance des journalistes, statut d'observateur, contrôle externe confié à une autorité publique indépendante : voilà, je crois, des solutions pour apaiser le débat sur le comportement des forces de l'ordre.
Nous devons également nous poser la question des moyens du maintien de l'ordre. Il faut conforter les ressources humaines et matérielles à disposition pour conduire des opérations de police très spécifiques. La disponibilité des forces de l'ordre est essentielle : nous serons tous d'accord, ou presque, pour estimer indispensable de respecter la trajectoire de reconstitution de nos forces inscrite dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). En tant que parlementaires, il nous revient d'être vigilants sur ce point. Cela concerne aussi le renseignement, qui est au cœur de la lutte contre les individus violents.
Nous devons doter nos forces de l'ordre d'armes adaptées à des missions de plus en plus exigeantes. Il faut renouveler les armes de force intermédiaire ; je plaide notamment pour le déploiement de canons à eau, mais aussi de quads, car la mobilité est indispensable. J'assume également de considérer que l'usage de drones, dans le cadre du décret du 19 avril 2023, constitue une solution intéressante ; j'estime même que nous pourrions élargir les conditions de leur emploi.
Je m'arrêterai enfin sur les recommandations de niveau législatif. Je suis resté prudent car je ne suis pas un chaud partisan des lois de circonstance, même si c'est le jeu de la politique et que nous nous y sommes tous laissé prendre.
Je propose d'inscrire dans le code pénal le caractère obligatoire de la peine complémentaire d'interdiction de manifester pour les délits les plus graves, comme le port d'armes : la procureure de la République de Paris a évoqué à ce sujet un oubli législatif. Je précise que le juge peut, de façon motivée, écarter cette peine complémentaire : l'autorité judiciaire reste indépendante.
L'obligation de pointage a fait ses preuves dans le cas des interdictions de stade : elle pourrait être étendue aux interdictions de manifester. Nous pourrions également intégrer la violation de l'interdiction de manifester – interdiction prononcée par un tribunal, je le rappelle – parmi les critères permettant une rétention qui peut durer jusqu'à vingt-quatre heures. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, a affirmé devant nous la nécessité d'outils pénaux préventifs – toujours dans le respect des libertés publiques et de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Je propose enfin d'élargir le champ des infractions punies d'une interdiction de manifester. Je pense en particulier à la participation à un attroupement, levier pénal très important.
Voilà les pistes de réflexion que je vous propose pour consolider notre dispositif de maintien de l'ordre et jouer la carte de la transparence. Il faut sortir du débat parfois absurde dans lequel nous tombons tous, quelles que soient nos sensibilités politiques. Notre exigence républicaine nous impose de réprimer avec la plus grande efficacité, dans le cadre de l'État de droit, des violences qui fragilisent tout autant l'ordre public que la liberté fondamentale de manifester.