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Intervention de Boris Sanson

Réunion du jeudi 12 octobre 2023 à 9h20
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Boris Sanson, membre du conseil d'administration de l'association Stop aux violences sexuelles (SVS) :

Je suis kinésithérapeute et thérapeute manuel. J'ai été champion olympique à Pékin. J'ai fait partie de l'équipe de France pendant sept à huit ans. J'ai commencé l'escrime dans un petit club à Bordeaux, puis j'ai intégré l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), à Paris. Je me suis formé par la suite à la prise en charge thérapeutique. Pendant mon parcours, j'ai été approché par un médecin endocrinologue-gynécologue qui souhaitait travailler sur la réparation des victimes de violences sexuelles.

Pour ma part, je trouve aberrant que nous en soyons encore en 2023 à devoir traiter ce problème, qui me semble totalement sociétal. 20 % de la population est touchée par les violences sexuelles. Le monde du sport est en avance et même précurseur en la matière. Il y a un public d'enfants, d'adultes, d'agresseurs et d'agressés. En revanche, ça ne se résume pas au sport et je remercie le sport qui a le mérite de prendre en charge cette démarche-là. J'espère qu'elle va s'étendre à l'ensemble de la société.

Ce problème n'existe pas depuis les dernières années, mais depuis bien plus longtemps. Si la prise en charge avait été gérée de la même manière que pour la Covid, les choses auraient évolué beaucoup plus rapidement. Vous faites votre travail, mais je ne sais pas si cette commission va porter ses fruits. Certes, il y a des lacunes sur le retour d'informations et la libération de la parole, mais le monde du sport s'est inscrit dans cette démarche. Le CNOSF et les fédérations sont impliquées. Il y a des lacunes comme vous avez pu le constater.

En fait, les agresseurs ont un maillage qui leur permet de continuer à pratiquer leurs loisirs et détruire la vie d'enfants et de futurs adultes. Avec le médecin et un maître d'armes, nous avons créé des ateliers thérapeutiques. On considérait que l'approche psychologique était très intéressante, mais ils ont été agressés physiquement. Nous avons donc utilisé le monde du sport, et en particulier de l'escrime avec le sabre, parce qu'on a une protection, une tenue et une arme. C'est une approche de transversalité de l'agression. On peut donc se protéger et défendre. Il y a des outils qui permettent de se réparer dans le corps.

Dans les ateliers thérapeutiques, qui ont été créés en 2011, nous avons essayé d'apporter une sorte de cadre de réparation. Il existe des ateliers avec des thématiques différentes. SVS a essayé de travailler sur la réparation. En tant que maître d'armes et ancien champion, j'ai jugé la translation du monde de l'escrime sur la réparation très pertinente. Les ateliers se tiennent avec des thérapeutes certifiés et expérimentés dans la prise en charge des violences sexuelles.

Un homme sur six et une femme sur quatre ont été violentés sexuellement. Même si ça ne se voit pas forcément, ce sont tout de même des gens qui ont souffert. Par contre, on constate des traumatismes graves au niveau de la santé. Dans mon parcours, j'avais deux ateliers par mois. On parle souvent d'agressions faites par des hommes sur des enfants ou des femmes, mais il y a aussi des femmes qui agressent des enfants, qu'il s'agisse de garçons ou de filles. Ce n'est donc pas l'apanage des hommes. Il y a vraiment une prise en charge globale à mettre en œuvre au sein de la société.

Je me suis occupé de personnes qui ont été agressées et qui avaient des pulsions très fortes d'agression de leurs enfants. Dans le processus de réparation, on permet à ces personnes-là de traiter leurs traumatismes. Ils sont parfois en état de sidération ou de peur. En tant que sportif, il y a toujours l'enjeu de la performance et de l'épanouissement. Il y a aussi la volonté de gagner et de faire plaisir à son entraîneur. Il existe une forme de pression émotionnelle et psychologique qui peut être utilisée par les entraîneurs. Les enfants sont en construction et se développent par leurs acquis. Lorsqu'une agression fait partie de l'acquis, le futur est beaucoup plus compliqué.

L'idée de SVS était de randomiser les frais médicaux. Un patient qui aborde sa réparation est souvent allé consulter un très grand nombre de thérapeutes. À un moment donné, il se retrouve coincé. Sans pour autant avoir un effet magique, les ateliers thérapeutiques fonctionnent plutôt très bien. L'idée était de faire en sorte que les frais médicaux soient remboursés par la sécurité sociale car c'est d'utilité publique. Pour autant, c'est infime par rapport au nombre de personnes qui sont agressées.

Parfois, j'ai lu que des gens qui veulent témoigner se rendent à la gendarmerie, mais leurs propos ne sont pas toujours très bien entendus. Les victimes sont à nouveau victimes de ne pas pouvoir s'exprimer, étant rappelé que le pouvoir de l'agresseur est quelquefois plus important que celui de la victime. Dans ce cas, la victime se fait « violer » deux fois : dans son espace mental et dans sa relation à la société.

Dans le cadre de ces ateliers thérapeutiques, nous essayons d'amener les victimes à ne plus se sentir victimes, à se réparer et, pour certaines personnes, à ne pas transmettre la situation d'agression. Il y a notamment des ateliers en milieu carcéral avec des agresseurs. Ces derniers ont bien souvent été agressés eux-mêmes. En fait, si on coupait la situation d'agression, on couperait la situation d'agresseur et d'agressé. C'est la base.

Il y a notamment une personne qui m'a marqué très fortement. Lors d'une séance, il m'a révélé avoir violé ses deux enfants. Sa femme était également suivie dans un autre atelier thérapeutique. Il était complètement en souffrance, même si ça ne constitue pas une excuse. Je l'ai écouté en tant que thérapeute. Il a été agressé lorsqu'il était petit et son corps est resté marqué. Dans ses pulsions débordantes, il se retrouve à agresser, mais il n'est pas du tout dans la réalisation de quelque chose d'agréable pour lui. Il a fait preuve de franchise et je n'étais pas dans le jugement. Il s'est livré à la police, a été jugé et s'est engagé dans l'atelier thérapeutique. Il est en train de purger sa peine.

Un autre cas est intéressant. J'ai rencontré en prison un homme de 30 ans qui était papa d'une petite fille. Lors du braquage d'une banque, il a demandé une fellation. Or, il faut savoir que son grand-père l'avait forcé à lui faire une fellation et qu'il avait déjà vécu un braquage. Si ces choses-là avaient été réparées pendant sa jeunesse, il ne serait pas en prison et s'occuperait de sa fille aujourd'hui. Nous pouvons donc parler d'un système qui est complètement gangrené. S'il y avait vraiment une volonté réelle et forte de la part des pouvoirs publics, nous n'aurions pas à en discuter une nouvelle fois.

Pour moi, qui m'occupe des victimes, c'est difficile à la fois consciemment et inconsciemment. C'est vraiment un traumatisme et une souffrance totale. C'est une explosion des repères de confiance envers la société et l'humain car les victimes ne se sentent pas du tout soutenues. Il existe plusieurs associations et tout le monde essaie d'apporter sa pierre à l'édifice. Je suis notamment intervenu auprès du ministère des sports. C'est très compliqué. L'Éducation nationale devrait être un des éléments moteurs de la prise en charge des enfants.

Avant que les enfants découvrent la sexualité, il s'agit déjà d'apporter un cadre sain. C'est quelque chose de primordial puisque ce sont les générations qui vont construire notre futur. En sachant qu'il s'agit d'un problème tentaculaire. Un enfant agressé peut être un futur agresseur. Outre le manque de confiance, la culpabilisation est également un élément très fort. L'atelier thérapeutique permet donc de travailler sur la réparation non seulement auprès des enfants, mais également auprès des agresseurs. Nous obtenons de très bons résultats.

Je reviens sur les résultats de la randomisation souhaitée par le médecin qui a créé ces ateliers. Les frais médicaux sont très élevés parce que ces personnes essaient de s'en sortir. Cela coûte cher à la société. Après les ateliers, on constatait une réelle évolution et des frais médicaux beaucoup moins importants. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient réparés et qu'ils prenaient beaucoup moins de médicaments, d'arrêts maladie, etc. Parmi les autres outils utilisés, on trouve également l'équithérapie. Ceci dit, c'est pour moi proprement incroyable qu'il faille encore faire un travail sur ce sujet en 2023 !

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