Nous allons parler du projet de loi de finances pour l'année 2024 sous le prisme du secrétariat général pour l'administration, c'est-à-dire l'entité au sein du ministère qui est investie d'un certain nombre de fonctions transversales et de la cohésion ministérielle. Je vais donc vous dire quelques mots de ce PLF avant d'échanger et de répondre à vos questions.
Le PLF 2024 est la première annuité de la LPM 2024-2030. C'est le premier rendez-vous avec l'exigence de la conformité et de la réalisation de l'intention politique. Ce rendez-vous est honoré puisque ce projet de loi de finances respecte à l'euro près le premier jalon de la trajectoire budgétaire décrite dans la LPM 2024-2030.
Il est important de rappeler ce premier point parce qu'il est toujours utile de se référer au passé ; pas forcément très lointain, mais à la dernière paire de décennies. Nous constatons que les années se suivent et que cet état de fait se vérifie à chaque fois. Je parle de la stricte conformité du projet de loi de finances à l'annuité de LPM. On accumule des éléments qui finissent par avoir beaucoup de signification. Or, ça n'a pour le moins pas toujours été le cas. Si on regarde la période des vingt-trois dernières années, il y a eu parfois des décrochages à la trajectoire et à l'intention ; et ce, dès le premier PLF.
Ce fait absolument majeur entre dans nos esprits. L'intention politique, qui se traduit par l'intention stratégique exprimée dans la LPM, se concrétise dans les budgets annuels. Nous savons bien que ces derniers sont le produit d'un système d'actions, de décisions et d'arbitrages extrêmement complexes. Le fait que la conformité à l'intention se vérifie à nouveau pour l'année 2024 est selon moi un élément notable.
Concrètement, ça signifie que l'augmentation des ressources ouvertes en loi de finances devra être de 3,3 milliards d'euros en 2024, soit une augmentation de 7,5 %. Cela va porter les crédits de la mission défense à 47,2 milliards d'euros, hors cotisations au CAS pensions. Ces chiffres sont suffisamment significatifs et riches de commentaires pour que je ne revienne pas sur le contexte stratégique, que le ministre et le chef d'état-major des armées ont évoqué devant vous hier après-midi et ce matin.
J'ai parlé de la mission défense, au sein de laquelle j'ai plus particulièrement la responsabilité du programme 212, intitulé « soutien de la politique de la défense ». Nous parlerons également du programme 169 : « reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la nation », qui figure dans la mission anciens combattants. C'est une mission interministérielle où on trouve également le programme 158 rattaché au service de la Première ministre. En termes de portée et de finalité, je dirais que ces deux programmes contribuent directement à la cohérence de notre modèle d'armée, à la résilience, aux forces morales de la défense et au service de la protection des Français et de notre territoire national.
Comme vos propos liminaires m'ont invité à le faire, je mettrai l'accent sur trois facteurs clés qui concourent directement à la cohérence de ce modèle d'armée et, plus généralement, de notre dispositif de défense : les ressources humaines, la politique immobilière et les infrastructures ainsi que la transformation et la modernisation du ministère. Ces éléments, que nous détaillerons, comportent bien évidemment un volet numérique important. Je parlerai également du soutien apporté au monde combattant et à la résilience de la nation avant de me soumettre à vos questions.
Parmi les trois facteurs clés de cohérence que je viens de citer, je pense qu'un débat au sujet des ressources humaines ne donne plus lieu à discussion de principe. L'axe d'effort principal consiste à investir dans notre capital humain. On peut juger cette expression discutable, mais elle a vraiment une portée absolument massive pour la défense et le format du ministère des armées.
Dans une classe aux alentours de 10 %, voire un peu plus l'année prochaine, le turnover - les flux de ceux qui quittent le ministère des armées et de ceux qui le rejoignent - se situe entre 25 000 et 28 000 par an, selon les dernières prévisions. Il s'agit donc d'un organisme vivant qui renouvelle sa substance par dixième. C'est comme un organisme cellulaire qui serait complètement différent de ce qu'il était dix ans auparavant. Ça n'a pas beaucoup d'équivalents. Ça suppose que tous les leviers soient actionnés en termes de politique RH : la rémunération, la formation initiale et continue, la fidélisation, la condition du personnel, etc. Tout cela concourt directement à la réalisation de cette ambition que constituent le maintien et le développement de ce capital humain.
Concrètement, si on regarde les crédits inscrits au titre 2 de ce PLF, l'intégralité de la masse salariale du ministère est regroupée dans le programme 212. Si on défalque la contribution de l'État employeur au CAS pensions du montant de 47,2 milliards d'euros que je mentionnais tout à l'heure, cette masse salariale sera l'an prochain de 13,5 milliards d'euros (hors OPEX-MISSINT), soit une augmentation de 600 millions d'euros, c'est-à-dire +4,6 % par rapport à 2023.
C'est donc un enjeu budgétaire de premier ordre. Il s'agit d'exécuter cette somme dans l'enveloppe initiale avec des phénomènes de très grande ampleur. Je parlais à l'instant du turnover, qui est distribué sur un très grand nombre de filières et de gestionnaires de personnel. Cette manœuvre très complexe rencontre depuis la fin de l'année 2022 des conditions difficiles sur le marché de l'emploi. L'année 2022 a été marquée par une sous-réalisation de nos effectifs d'ampleur significative. Sur 268 000 emplois autorisés dans le plafond voté par le Parlement, il y avait un millier d'emplois non pourvus à la fin de l'année dernière. Néanmoins, il est intéressant de voir que cette sous-réalisation apparaît sur l'équivalent d'une année.
Là, il y a donc quelque chose de perceptible en termes de modification des termes de l'échange ; pour parler de rapport de force sur le marché de l'emploi. De ce point de vue, les conditions du marché de l'emploi ne sont pas fondamentalement différentes en 2023. Par conséquent, nous nous apprêtons à avoir une sous-réalisation au moins équivalente et peut-être supérieure à nos droits votés dans la loi de finances. C'est corrélé à la situation générale de l'économie ainsi qu'à toute une pluralité de facteurs.
On ne se contente pas d'être en réaction ou passifs devant ces tendances de marché. Nous avons une action proactive dans le détail de laquelle je vais entrer. Ce sujet a conduit assez directement à prendre un parti, sur lequel le ministre a fourni des explications hier après-midi. Je m'apprête à y revenir avant que vous me posiez sans doute des questions à ce sujet.
Le parti pris dans ce PLF a consisté à ne pas mobiliser d'emblée l'intégralité du schéma d'emplois qui figurait dans la première annuité de la LPM, à savoir 700 effectifs en plus. Il s'agissait plutôt, dès le stade du PLF, de faire une espèce d'arbitrage entre l'objectif quantitatif RH format, passant de 700 à 400 (hors SIAé et ré-internalisation des emplois numériques) afin de mettre l'accent sur les mesures salariales. Le choix a été fait de mettre plus de ressources sur les leviers permettant de sécuriser ou de rendre plus robuste notre prévision de schéma d'emplois.
Le ministre en a parlé. Cette logique d'arbitrage salarial liée au volume des effectifs est prévue explicitement dans la LPM ; à l'article 7. Vous en avez discuté. Les raisons pour lesquelles nous nous sommes placés sur ce terrain-là sont partagées. Il se trouve que dès la première annuité, dans le contexte du marché de l'emploi que je viens de décrire, nous commençons à faire jouer ce mécanisme. Je rappelle que nous proposons de le faire jouer au moment de la préparation du budget, c'est-à-dire dans le PLF, mais également en cours d'année.
Autrement dit, on n'a pas tiré toutes nos cartouches dans le PLF. Si on se rend compte au cours de l'année 2024 que les vents contraires sont toujours aussi forts et qu'il convient absolument de mettre plus de puissance sur l'aspect salarial, des outils indemnitaires nous seront accessibles. En sachant que tout cela est placé sous cette espèce de logique encapsulée dans l'article 7 de la LPM.
Que peut-on dire des ambitions RH et des priorités thématiques et sectorielles qui ont été exposées dans la LPM promulguée cet été ? Il est évident que cette ambition RH, cette logique de spécialité ou de priorité, reste parfaitement valide sur l'horizon temporel de la LPM. Si l'écart est celui que j'ai signalé en termes de création d'emplois supplémentaires en 2024, ça ne retire absolument rien à la nécessité de réaliser cette cohérence RH du modèle d'armée, qui reste valide tel que présenté, discuté et approuvé avec la LPM elle-même.
En matière salariale, l'année 2024 est relativement atypique par rapport à la séquence des dernières années. Tout d'abord, il y a un impact important des mesures générales prises par le gouvernement à l'égard des agents publics. Et ce, à l'occasion du rendez-vous salarial de cette année. En sachant qu'une bonne partie d'entre elles n'entreront en vigueur qu'en 2024. Celles qui sont entrées en vigueur en 2023 ont pris effet en cours d'année. Il y a donc un effet d'extension en année pleine pour 2024. Tout cela produit des volumes de crédits extrêmement significatifs puisqu'on est sur 184 millions d'euros de mesures entrant en vigueur en 2024, dont 76 millions d'euros de mesures spécifiques au ministère.
Cela constitue une illustration des leviers à actionner pour réaliser le volet RH du modèle d'armée avec des leviers indemnitaires sur les spécialités numériques pour le personnel militaire et une première traduction dans la grille des sous-officiers supérieurs. D'où l'ambition de remettre de la pente dans le déroulement de carrière du personnel militaire. Un soin particulier est apporté à certaines spécialités telles que le monde du renseignement, la santé et les questions nucléaires.
Qu'il s'agisse d'un flux de mesures totalement nouvelles ou de la réalisation complète de ce qu'on appelle la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), c'est un plan dont l'exécution a commencé dans les lois de finances annuelles en 2021 et dont la troisième et dernière marche va entrer en vigueur en octobre 2023. D'où un effet d'extension en année pleine lors de cette troisième et dernière marche de la NPRM. Il est de neuf mois sur le budget 2024 qui vous est présenté, ce qui implique un impact important en termes de crédits. Je répondrai bien évidemment à vos éventuelles questions sur cet ensemble de mesures.
Le ministre a beaucoup insisté sur le volet réserve de la politique RH. L'ambition à l'horizon 2035 est d'avoir un militaire de réserve pour deux militaires d'active. Ça représente une proportion de 100 000 réservistes pour une armée d'active de 200 000 hommes. C'est donc une pente à gravir dès à présent, de façon régulière et avec ténacité.
Le budget 2024 prévoit le recrutement de 3 800 réservistes supplémentaires, soit 9,5 % de plus qu'en 2023. En nombre de jours d'activité supplémentaires, ça en représenterait 180 000 de plus, soit une hausse de 13 %. Le quantum d'activité par réserviste passerait de 34,5 à 36 jours en 2024, la cible étant située à 43 800 réservistes pour l'an prochain. Ce sont presque 200 millions de crédits de rémunération qui sont consacrés à ce volet dans le projet de loi de finances.