Intervention de Gilles Kepel

Réunion du mercredi 8 novembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Gilles Kepel, professeur des universités à l'université Paris Sciences et Lettres et directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l'École normale supérieure :

Disons le message posthume de Liautey. En tout cas, les accords d'Abraham revêtent, pour le Maroc, une dimension plus complexe et plus humaine, ce qui n'est pas le cas pour les Émirats ou d'autres.

Le ressort fondamental des accords d'Abraham, ce sont les Émirats. Le reste est secondaire. Quoi qu'il en soit, les dirigeants sont pris entre le marteau et l'enclume et tiennent un discours très humanitaire pour tenter de se défausser par rapport à leurs populations. Des manifestations pro-Palestine se tiennent quotidiennement à Rabat, et les diplomates israéliens ont discrètement quitté le pays. Je pense qu'il s'agit d'un repli tactique. Le processus des accords d'Abraham a probablement vocation – il n'y a pas d'autres solution – à être prolongé, à condition d'y intégrer la dimension palestinienne. C'est ce que relevait précédemment le président Bourlanges, en des mots que je ne saurais égaler.

Contrairement au président Biden, le président Macron a pu rencontrer d'autres Arabes. Les Iraniens ou leurs supplétifs n'ont tiré aucun missile susceptible de faire dérailler sa visite. Signe plus important, ils ont même libéré Fariba Adelkhah, notre collègue franco-iranienne de Sciences-Po, qui avait passé quatre ans et demi dans les geôles iraniennes, sous un prétexte futile, et qui a été libérée sans justification autre que le message envoyé au président de la République, à savoir qu'il pouvait se rendre en visite dans la zone et qu'aucun hôpital n'exploserait à son approche. Je l'ai interprété comme un signe selon lequel la médiation de l'Europe et de la France était la bienvenue, et surtout comme une demande d'interagir avec d'autres interlocuteurs que les Américains. Ne nous faisons pas d'illusions.

Quoi qu'il en soit, pour la perspective européenne, je pense que c'est surtout la Méditerranée qui doit entrer en action : la Grèce, l'Italie, la France, principalement ; peut-être d'autres également. N'oubliez pas qu'une autre guerre sévit toujours un peu plus au Nord, qui d'ailleurs se branche sur celle-ci au niveau de la mer noire, à savoir la guerre en Ukraine. Ce qu'il se passe au Moyen-Orient fait partie d'un système de crises qui bouleverse complètement l'ordre ou le désordre international, qui se prolonge par la fracture ukrainienne et qui s'accomplit aussi dans la tension de plus en plus forte avec la Chine dans le Pacifique. Tout cela s'inscrit dans un ensemble. Je ne sais pas si le Royaume-Uni est particulièrement allant dans ce domaine et je ne suis pas convaincu qu'il soit en capacité de se projeter à l'extérieur au regard de la crise intérieure qu'il traverse, manifestée par le fait qu'il ne parviendra pas à avoir un train à grande vitesse (TGV), marque de la puissance pour les pays européens.

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