Intervention de Gilles Kepel

Réunion du mercredi 8 novembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Gilles Kepel, professeur des universités à l'université Paris Sciences et Lettres et directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l'École normale supérieure :

Absolument. Lorsque nous nous étions rencontrés il y a vingt ans au premier colloque Euro-Golfe à Abu Dhabi, je ne vous avais pas fait rencontrer l'opinion publique. Heureux pays qui n'a pas d'opinion publique. En revanche, d'autres en ont.

Le Maroc a conclu un deal tout à fait clair en obtenant la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental en échange de la signature des accords d'Abraham, qui ont fourni au Royaume la possibilité de disposer d'un armement très sophistiqué lui permettant de tenir à distance les vieux chars soviétiques algériens T-54 dans le Sahara. Rappelons tout de même que le roi du Maroc est président du comité Al-Qods, du comité Jérusalem. C'est l'une des raisons, parmi d'autres, pour lesquelles nous avons été la cible d'un certain nombre d'avanies et de critiques. Désigner la France, ex-coloniale, comme la mère de tous les vices et le père de tous les défauts permettait aussi de faire tranquillement affaire avec Israël, en désignant un autre ennemi que « l'ennemi sioniste ». Ces derniers temps, la situation a fortement évolué. On observe, depuis le 7 octobre, un réchauffement franco-marocain, avec des contrats d'armement qui devaient être passés avec Israël et qui reviennent vers la France. Tout cela va très vite.

Le processus d'Abraham crée une dynamique économique visant à la prospérité, avec pour l'essentiel des joint-ventures entre le capital du Golfe et le savoir-faire israélien. S'y ajoute, pour le Maroc, en plus de l'enjeu territorial avec le Sahara, le fait qu'une part importante de son identité historique soit juive, ce qui est reconnu comme tel, notamment en diaspora. Le vote juif marocain est très significatif en Israël. La ville de Netivot, que vous voyez sur la carte en ce moment, à la frontière de Gaza, est une ville peuplée de Juifs marocains, de Juifs de milieux très modestes, qui ont d'ailleurs été envoyés à cet endroit pour servir de bouclier humain contre Gaza. Lorsque j'avais visité cette ville, j'y avais vu un immense bâtiment de style marocain, qui m'avait semblé de prime abord être une mosquée. C'était en réalité une synagogue de style marocain, sur laquelle était écrit, en hébreu et en français : « Les habitants de Netivot remercient Sa Majesté Hassan II, Roi du Maroc, Commandeur des croyants, pour avoir favorisé la construction de cette synagogue. ».

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