L'examen des crédits de la mission Travail et emploi intervient dans un contexte économique favorable pour l'emploi, à plusieurs égards. D'une part, notre pays connaît l'un des taux de chômage les plus bas depuis quarante ans. D'autre part, des politiques publiques ambitieuses visant à parvenir au plein emploi sont mises en œuvre depuis plusieurs années, la dernière en date étant la création du nouvel opérateur France Travail, dont le déploiement progressif, à partir de 2024, est financé par les crédits de la présente mission budgétaire.
L'augmentation de ces crédits, de 2,6 milliards d'euros en AE et de 1,7 milliard en CP, est significative. Mais avant toute chose, je voudrais vous faire part, monsieur le ministre, de ma préoccupation s'agissant du retard avec lequel me sont parvenues les réponses du Gouvernement aux questions que j'avais posées au début de l'été. Le 10 octobre, date à laquelle ces réponses devaient être transmises aux rapporteurs spéciaux et pour avis en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, nous n'en avions reçu qu'un tiers. Le Gouvernement avait pourtant trois mois pour fournir au parlementaire que je suis des éléments lui permettant de faire son travail, dans le cadre de la confrontation institutionnelle entre l'exécutif et le législatif. Je déplore le comportement de l'administration. Il va sans dire que l'obtention de ces réponses est un droit du rapporteur dans l'exercice de ses prérogatives, auquel je suis très attaché.
Après cette observation très personnelle mais très importante à mes yeux, j'en viens aux crédits du programme 102 Accès et retour à l'emploi, qui diminuent en raison de l'amélioration de la situation du marché du travail. Néanmoins, la sous-action consacrée au financement du service public de l'emploi connaît un accroissement substantiel de ses crédits, lesquels augmentent de 170 % en AE et de 300 % en CP afin de consacrer 170 millions supplémentaires à la transformation de Pôle emploi en France Travail et à la poursuite des expérimentations relatives à l'accompagnement renforcé des bénéficiaires du RSA. De même, 300 ETP additionnels seront déployés en 2024 pour faire face à la montée en puissance des missions du nouvel opérateur. Je salue bien entendu ces moyens supplémentaires indispensables à la réussite d'un service public de l'emploi plus efficace et résolument tourné vers les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Comme les années précédentes, le Gouvernement fait le choix de diminuer le nombre d'entrées en contrat aidé, ramené à 66 700 parcours emploi compétences et 15 000 contrats initiative emploi, soit un total de 81 700 contrats aidés – un objectif fort éloigné du niveau de 2016, lorsque 459 000 de ces contrats étaient en cours. Monsieur le ministre, quel est pour vous l'intérêt des contrats aidés pour parvenir au plein emploi ? Pensez-vous que cette baisse de crédits, constatée année après année, est amenée à se poursuivre tout au long du quinquennat ?
La hausse des crédits du programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi s'explique principalement par la dynamique des aides aux employeurs d'apprentis, qui augmentent de 1,8 milliard d'euros en AE et de 300 millions en CP. Dans la mesure où nous partageons votre objectif d'un million d'apprentis par an d'ici à 2027, nous approuvons cette montée en puissance.
L'augmentation des crédits du programme 111 Amélioration de la qualité de l'emploi et des relations du travail est essentiellement liée à l'organisation d'élections dans les très petites entreprises (TPE) à la fin de l'année 2024 ainsi qu'au renouvellement des mesures de la représentativité patronale et syndicale au 1er janvier 2025. Elle me semble tout à fait normale et légitime.
Les crédits du programme 155 Conception, gestion et évaluation des politiques de l'emploi et du travail visent à soutenir les politiques publiques de votre ministère. Je constate que leur hausse est due, d'une part, à l'augmentation des dépenses de personnel, qui représentent 85 % des crédits, et d'autre part, aux moyens supplémentaires dédiés à la communication et aux systèmes d'information. Cela n'appelle pas de commentaire particulier.
Dans le cadre de cet avis budgétaire, j'ai souhaité aborder la question de la privation d'emploi au travers de l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD).
Ce projet ne se limite pas à notre pays : en Autriche et en Belgique, des territoires ont déjà fait l'objet d'une expérimentation similaire, tandis que Rome l'a engagée dans deux quartiers. Alors que notre exemple inspire, il serait pour le moins paradoxal de réduire le soutien de l'État à un programme qui a déjà prouvé son efficacité. C'est pourtant l'inquiétude exprimée par l'association gestionnaire du fonds d'expérimentation, que nous serons nombreux, je n'en doute pas, à relayer ici.
Adoptée à deux reprises à l'unanimité des membres du Parlement, l'expérimentation, dont le cadre actuel est issu de la loi du 14 décembre 2020, permet à des personnes durablement éloignées de l'emploi de retrouver un travail stable, dans une entreprise utile à son territoire, tout en dégageant des économies pour la collectivité.
Nous sommes très attachés à ce dispositif, dont l'extension à soixante territoires permettra d'évaluer les principes qui le régissent. Il m'est donc apparu pertinent d'évaluer, avec les données partielles dont nous disposons, l'adéquation des moyens budgétaires aux ambitions du projet. Je regrette cependant à nouveau que le Gouvernement n'ait toujours pas apporté de réponses à mes questions concernant ce sujet de préoccupation majeure pour l'ensemble des parlementaires. Le manque de considération pour notre travail ne contribue pas à apaiser les inquiétudes légitimes quant à l'avenir de l'expérimentation.
Je me réjouis que les crédits alloués à ce projet augmentent de plus de 50 % par rapport à l'an passé, pour atteindre près de 69 millions d'euros en AE et en CP. Cette hausse significative atteste du soutien de l'État à un dispositif utile parmi les outils permettant de lutter contre le chômage de longue durée. Elle doit cependant être mise en regard de la dynamique de l'expérimentation, qui se poursuivra tout au long de l'année 2024, avec la création de 1 091 ETP supplémentaires selon les données fournies par le Gouvernement. L'association gestionnaire du fonds conteste ces projections et considère que la dotation inscrite dans le PLF est insuffisante. L'expérimentation garantit en effet à tous les demandeurs d'emploi volontaires résidant dans le territoire de bénéficier d'un contrat à durée indéterminée (CDI) à temps choisi. Selon l'association, ce sont plus de 1 916 ETP supplémentaires qui devront être financés en 2024, soit deux fois plus que les estimations du Gouvernement. Il est donc nécessaire d'envoyer un signal clair à destination de tous les porteurs de projets quant au soutien de l'État aux emplois qu'ils entendent créer. Pour ma part, je suis favorable à la demande exprimée par l'association, qui consiste à augmenter de 20 millions d'euros les crédits inscrits. Hier, la commission des finances s'est déjà prononcée en ce sens.
En tout état de cause, monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que le soutien de l'État permettra, en 2024, de recruter l'ensemble des demandeurs d'emploi de longue durée volontaires dans les territoires habilités ou en passe de l'être ?
Le financement de l'expérimentation doit être mis en regard du coût du chômage de longue durée, que ce soit en allocations pour le demandeur d'emploi ou en aides diverses pour son foyer, des recettes liées à l'accroissement du pouvoir d'achat des personnes concernées et des retombées économiques positives pour le territoire. Il appartiendra au comité d'évaluation de déterminer le coût net du dispositif. Cependant, pouvez-vous nous confirmer que le comité scientifique a désormais la capacité de réaliser ce travail d'évaluation ?
Du reste, la réduction du financement des salariés dans les entreprises à but d'emploi (EBE), dont le taux de prise en charge est passé, le 1er octobre, de 102 % à 95 % du Smic, suscite depuis cet été un certain émoi. Si je souscris à l'objectif d'inciter les EBE à développer un modèle économique plus robuste en augmentant leur part d'autofinancement, il me semble que c'est un mauvais signal qui leur est envoyé dans une phase d'expansion de l'expérimentation. Cela pourrait mettre un certain nombre d'entreprises en difficulté. Le risque est de priver de trésorerie celles qui en ont besoin sans pour autant permettre à l'État de réaliser des économies substantielles puisqu'une subvention d'équilibre viendra compenser, en fin d'exercice, l'éventuel déficit.
S'agissant enfin de l'avenir de l'expérimentation, il me semble encore un peu tôt pour déterminer le contenu de la troisième loi que j'appelle de mes vœux. Néanmoins, il me paraît essentiel de tirer les enseignements des premières années de ce dispositif. Outre leur capacité à atteindre des personnes inconnues du service public de l'emploi, l'un des intérêts principaux des TZCLD, par rapport à des structures classiques d'IAE, est la possibilité pour les demandeurs d'emploi de bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Cette stabilité leur permet de lever progressivement les freins périphériques tout en retrouvant la sérénité nécessaire à un éventuel retour sur le marché du travail. Il me semble donc nécessaire de s'intéresser à l'avenir de ces salariés, au sein ou à l'extérieur des EBE, en les accompagnant dans leur projet professionnel tout au long du parcours.
Le second sujet que j'ai souhaité aborder dans mon avis budgétaire est celui de l'insertion professionnelle et sociale par le sport, à laquelle je crois fermement depuis longtemps. Comme beaucoup, j'observe que, pour tirer pleinement profit des opportunités qu'offre le sport dans le domaine de l'emploi, il y a lieu de faire évoluer l'intervention de l'État afin qu'elle devienne plus claire et plus efficace.
C'est l'objet de la feuille de route relative au « développement de l'emploi et de l'insertion par et dans le sport » signée le 7 novembre 2022 par le ministre du travail, la ministre des sports et la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels. Ce document s'articule autour de cinq axes : l'amélioration de la lisibilité de l'offre de formation et de certification ; la simplification de l'accès aux dispositifs d'emploi et la sécurisation des trajectoires professionnelles : le renforcement du rôle social des acteurs du sport ; la reconnaissance des parcours et des compétences dans le sport ; la reconversion des sportifs de haut niveau.
Cette feuille de route contient un ensemble de mesures, complétées par d'autres annoncées lors du Grenelle de l'emploi et des métiers du sport, qui doivent permettre de créer 100 000 nouveaux emplois et de multiplier par cinq le nombre de bénéficiaires des actions d'insertion par et dans le sport d'ici à la fin du quinquennat.
Je voudrais évoquer quelques-uns des objectifs qui sous-tendent les quatre premiers axes et en profiter pour interroger le ministre sur un certain nombre de points.
Pour améliorer la lisibilité de l'offre et des parcours de formation, les ministres et les partenaires sociaux se sont engagés à simplifier et mettre en cohérence les formations et certifications, en créant un référentiel commun des métiers, des compétences et des qualifications d'une part, et en concevant les certifications sous forme de blocs de compétences d'autre part. Il s'agit là d'une réelle avancée car les diplômes et les certifications dans le domaine du sport sont trop nombreux – quelque 900 certifications sont répertoriées mais seules 350 d'entre elles sont actives et inscrites aux répertoires nationaux. Le référentiel que j'ai évoqué doit voir le jour cet automne. Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer que tel sera bien le cas ?
Pour simplifier l'accès aux dispositifs d'emploi et sécuriser les trajectoires professionnelles, la feuille de route prévoit plusieurs actions, parmi lesquelles l'amélioration de l'articulation des dispositifs et le développement d'outils de communication destinés à les rendre plus visibles. Pouvez-vous préciser l'état d'avancement de ces deux chantiers ? Plus généralement, comment le ministère du travail juge-t-il l'efficacité des dispositifs en question ? Je pense notamment au dispositif Sésame vers l'emploi pour le sport et l'animation dans les métiers de l'encadrement, aux emplois aidés de l'Agence nationale du sport et à l'apprentissage dans le sport.
Pour renforcer le rôle social des acteurs du sport, qui n'est plus à démontrer, le ministère du travail apporte, avec d'autres, un soutien financier à certains projets innovants. Ainsi, 1 million d'euros en AE et en CP sont alloués, dans le PLF 2024, à l'initiative baptisée « Les clubs sportifs engagés », qui devrait réunir, selon les prévisions du Gouvernement, 10 000 clubs d'ici à la fin de l'année prochaine. Je forme le vœu que l'objectif soit atteint. De même, les opérations « Du stade vers l'emploi » mobiliseront 690 000 euros d'AE et 280 000 euros de CP inscrits au sein de la mission Travail et emploi ainsi que des crédits alloués par d'autres financeurs, comme le ministère des sports, pour un montant total de 2,1 millions d'euros. Ces opérations constituent une méthode de recrutement novatrice fondée sur l'organisation, par les fédérations sportives, en association étroite avec Pôle emploi, d'événements de mise en relation entre demandeurs d'emploi et employeurs. Si les premiers résultats sont encourageants, les éléments d'évaluation sont encore trop parcellaires. Le Gouvernement envisage-t-il de procéder à une évaluation du dispositif ? Cela me paraît indispensable compte tenu du montant des crédits qui lui sont dévolus.
Pour favoriser la reconnaissance des compétences dans le sport, le Gouvernement souhaite que le nombre de bénéficiaires d'actions de validation des acquis de l'expérience (VAE) soit porté à 2 400 en 2024. Convaincu du rôle décisif que la VAE peut jouer dans la consolidation des parcours professionnels, en particulier pour les personnes les moins diplômées, je partage l'ambition du Gouvernement dans ce domaine.
Je terminerai par un constat. La multiplicité des acteurs institutionnels qui promeuvent, accompagnent ou financent des dispositifs d'insertion par le sport complique l'appréhension et le suivi de l'action publique en la matière. Je m'interroge sur les solutions susceptibles de remédier à cette difficulté. Quoi qu'il en soit, il n'est pas facile d'avoir une vision exhaustive de l'effort budgétaire consenti par l'État. Pouvez-vous donc indiquer, monsieur le ministre, le montant total des crédits consacrés par le ministère du travail à l'ensemble des actions d'insertion par et dans le sport ?