Comme vous l'avez rappelé, nous avons piloté la mission d'information sur le fonctionnement et l'organisation des fédérations sportives, qui a rendu ses conclusions en septembre 2020. À l'issue de ce travail, nous avons formulé 22 préconisations. Depuis lors, plusieurs évolutions sont intervenues. La loi du 24 août 2021 visait ainsi à conforter les principes de la République, grâce notamment au contrat d'engagement républicain. Elle a été suivie de la loi du 2 mars 2022, destinée à démocratiser le sport. Enfin, une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et le contrôle d'honorabilité dans le sport a été adoptée le 15 juin 2023 par le Sénat. Nous attendons avec impatience son passage à l'Assemblée nationale, et je crois que la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques est attachée à l'inscription de ce texte à l'agenda parlementaire avant la fin de l'année.
Parmi les 22 propositions résumées par mon collègue, une dizaine d'entre elles se sont d'ores et déjà concrétisées. Une partie des recommandations qui ne sont pas encore entrées en application pourraient, en effet, être reprises par votre commission d'enquête.
Le champ de votre travail me semble très large et hétérogène, puisqu'il englobe des thématiques aussi variées que les violences sexuelles et sexistes, la pédocriminalité, le harcèlement, le dopage, la corruption, la manipulation des compétitions sportives, la situation très particulière des agents sportifs, la nature très incertaine des flux financiers qui circulent dans le monde sportif. Autant de sujets relevant de ce que j'appellerai « les avatars du sport ». Chacun de ces avatars pourrait constituer une problématique à part entière et faire l'objet d'une commission d'enquête.
Je me limiterai pour ma part à quelques généralités sur la gouvernance du milieu sportif, et notamment des fédérations. Au demeurant, ces problèmes ne concernent pas exclusivement la France. Le Conseil de l'Europe réfléchit d'ailleurs à l'établissement d'une certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives. Il est certain que des affaires retentissantes ont marqué l'actualité des dernières années. Des présidents de fédération ou de comités olympiques ont ainsi démissionné en cours de mandat, ce qui est un fait rarissime dans l'histoire du sport français.
J'ajoute que les sportifs de haut niveau ont un devoir d'exemplarité, d'autant plus que bon nombre de jeunes s'identifient à eux. Mais ce rôle d'exemplarité doit s'étendre aux dirigeants de fédérations sportives. Au cours des dernières décennies, trop d'affaires ont été étouffées, au point que certains ont pu parler d'omerta. Certains ministres ont aussi eu des mots très maladroits sur ce sujet. Je pense en particulier aux propos de l'ancienne ministre Laura Flessel-Colovic, qui avait affirmé que tous ces problèmes ne concernaient pas la sphère sportive. Ses déclarations avaient été rapidement démenties par les faits.
En revanche, Roxana Maracineanu s'était emparée à bras-le-corps des faits de violence dans le sport, et la ministre actuelle des sports est déterminée à poursuivre ce combat.
Je voudrais souligner que les solutions à apporter à ces dérives et dérapages concernent tous les acteurs du sport, privés autant que publics. Il faut interroger le rôle tenu par le ministère des sports, et en particulier par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, mais aussi par le ministère de l'éducation nationale et par le ministère de la justice. L'ensemble de l'écosystème sportif est concerné, notamment les fédérations nationales et internationales, ces dernières ayant aussi un rôle d'exemplarité à jouer. Le rôle de la presse mérite également d'être souligné, plusieurs affaires ayant été révélées par des journalistes d'investigation.
Les dirigeants de fédération portent une double responsabilité, car leur fonction repose sur une double légitimité. D'une part, ils remplissent une mission de service public confiée par l'État. D'autre part, ils sont investis par le vote des licenciés. Cette double légitimité et cette mission de service public imposent aux dirigeants de fédérations de rendre des comptes à l'État et aux licenciés, et plus largement à l'opinion publique.
Si la loi du 2 mars 2022 n'est pas encore complètement applicable puisque des dispositifs ne s'appliqueront qu'à la fin de l'année 2024 au moment du renouvellement des instances fédérales, la loi Braillard de 2017 avait déjà entraîné des évolutions en matière de contre-pouvoirs. Il n'en reste pas moins que ces derniers demeurent trop faibles, et c'est pourquoi je recommande de procéder à un véritable état des lieux des contre-pouvoirs dans le mouvement sportif, en dressant le bilan de leur composition, leur mode de désignation et leur fonctionnement. Nous avons besoin d'une photographie de la réalité car tout ceci reste un peu méconnu, pour ne pas dire opaque.
Les rôles respectifs du ministère des sports et de l'Agence nationale du sport ont été clarifiés. Le sport a été déclaré grande cause nationale pour 2024, grâce aux Jeux olympiques. Dans ce contexte, et compte tenu des affaires survenues ces derniers mois, il paraît indispensable de construire après les Jeux olympique un nouveau texte législatif permettant d'aller au-delà des mesures introduites par les deux lois précédentes. Je crois que la ministre des sports y est prête. Il serait incompréhensible qu'aucune réforme de la gouvernance ne soit adoptée avant la fin de l'année 2024. De fait, les affaires récentes sont pour partie dues à des causes systémiques liées au fonctionnement du monde sportif, et pas seulement à des défaillances individuelles. En tant que parlementaires, nous nous devons d'améliorer le système en créant des conditions de fonctionnement plus responsables, transparentes et éthiques.
Une autre de nos propositions consiste à instaurer un contrôle de probité et d'honorabilité des dirigeants fédéraux identique à celui applicable aux élus et membres du gouvernement, en amont de leur nomination. Ce point relève de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il ne s'agit pas de prévoir un contrôle d'honorabilité de tous les membres des conseils d'administration, voire du comité exécutif, mais à tout le moins du triptyque président, trésorier et secrétaire général. Ce contrôle doit être effectué avant la prise de fonctions et en fin de mandature, pour s'assurer de l'absence d'enrichissement personnel illicite.
S'agissant du contrôle financier des instances sportives, il convient d'établir la grille financière des rémunérations, tant pour les fédérations que pour les comités d'organisation des grands événements sportifs internationaux (Gesi). Il faut également rendre publics les rémunérations, les organigrammes et les postes vacants. Nous recommandons aussi de constituer des jurys de recrutement aussi diversifiés que possible, notamment pour les hauts postes de l'encadrement fédéral (directeur technique national, directeur général, etc.), à l'instar des pratiques ayant cours dans le milieu culturel où des collèges sont chargés du recrutement des dirigeants dans certains établissements.
En ce qui concerne le modèle économique, je tiens à préciser que je suis un défenseur acharné du modèle associatif. Toutefois, le contexte et l'évolution de la société nous incitent à nous rapprocher d'un modèle plus entrepreneurial, et par conséquent moins associatif. Eu égard aux masses financières en jeu, à la multiplication des normes, à la complexité administrative et à la pression médiatique quotidienne exercée sur les dirigeants de fédérations, l'enjeu consiste à trouver le bon équilibre entre le professionnalisme et le bénévolat. En tout état de cause, il est impossible de s'appuyer uniquement sur le bénévolat pour animer des structures aussi compliquées.
Sur ce point, la loi du 2 mars 2022 a d'ailleurs introduit une nouveauté permettant de limiter l'entre-soi qui peut conduire à des dérapages, à savoir la mise en place des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC). Cette disposition ne concerne que les clubs sportifs. Si elle devait être élargie aux fédérations elles-mêmes, c'est tout le modèle du sport français qui s'en trouverait transformé. Cela mérite donc réflexion. Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de leur mise en place. On se réfère en général au modèle du SC Bastia qui est unique. Les SCIC sont un modèle auquel il faut vraiment s'intéresser car il permet de diversifier les organigrammes, de territorialiser et d'ancrer localement les clubs sportifs. Nous constatons en effet que dans certains sports, en particulier les sports professionnels et collectifs, les clubs tendent à se concentrer dans les grandes métropoles, au risque de créer des « déserts sportifs » dans certains territoires. Il est donc essentiel de trouver un modèle de gestion à même de préserver l'équilibre territorial de l'implantation des clubs.
Pour ce qui est de la gouvernance des fédérations, il convient de trouver un équilibre entre ce qui relève de la formation et ce qui relève du contrôle. En matière de contrôle, un effort particulier est très clairement mis en œuvre avec l'intervention de diverses instances, que l'on n'avait pas trop l'habitude de voir intervenir dans le milieu sportif : le parquet national financier (PNF), l'Agence française anticorruption (AFA), la HATVP, les directions nationales du contrôle de gestion (DNCG), les brigades financières ou encore les comités d'éthique. En face de ces contrôles, il est important de prévoir des actions de formation pour les dirigeants, en particulier au plus haut niveau. Il ne paraît pas déshonorant de se former lorsque l'on prend la tête d'une fédération, ni d'être plus solidement conseillé et encadré. Je pense en particulier aux fédérations de taille plus modeste, où les recrutements frôlent parfois le copinage. Je n'affirme pas que le copinage exclut forcément la compétence ou l'expertise, mais il faut veiller à limiter l'entre-soi.
Je peine à croire que la majorité des exécutifs fédéraux sont volontairement malveillants ou malintentionnés. Je n'oublie pas non plus que bon nombre d'entre eux, pour ne pas dire la totalité, ont été préalablement bénévoles pendant des décennies. Il est important de garder à l'esprit ces faits.
Les formations des dirigeants peuvent concerner des sujets tels que les règles de contractualisation, la passation de marchés publics, le droit du sport ou bien la déontologie. En résumé, il existe un déséquilibre entre les actions de contrôle et les actions de formation.
Une autre problématique, en cours de résolution avec la loi du 2 mars 2023, tient au mode de scrutin. Je défends le mode de scrutin retenu pour les élections municipales, car ce dernier permet d'obtenir des majorités claires et stables tout en assurant la représentation de la minorité. De ce fait, le droit d'expression de l'opposition est garanti. Je suis convaincu que ce mode de scrutin doit s'appliquer aux élections fédérales, de manière uniforme. Il faudra sans doute examiner le déroulement des campagnes électorales, car le principe d'égalité des chances entre les candidats sortants et les autres n'est manifestement pas respecté. À ce stade, je ne suis pas en mesure de savoir s'il est judicieux de prévoir un vote de tous les clubs. Dans un premier temps, il conviendra de dresser le bilan de l'élargissement du corps électoral, puisque 50 % des clubs prendront part au vote d'ici fin 2024.
Je suis préoccupé par l'arrivée d'acteurs supranationaux tels que les fonds d'investissement et les Gafan, qualifiés par certains de « maîtres du monde ». Leur pouvoir se manifeste à travers l'acquisition de droits télévisuels, de droits sportifs et de clubs, comme en témoigne par exemple le service Amazon Prime Video. Ces acteurs remettent en cause le modèle économique habituel de l'équilibre budgétaire et nous font basculer dans une nouvelle ère, avec des clubs qui, à l'instar du PSG, fonctionnent à guichets ouverts. Le football professionnel français accuse un déficit structurel de 600 à 700 millions d'euros. Les clubs sont renfloués par des fonds d'investissement privés ou souverains, souvent étrangers, qui en font un simple objet de spéculation.
En tant que rapporteur pour avis du budget des sports au Sénat, je me prépare aux éternels débats sur les dotations dédiées, la loi Buffet, la taxe sur les droits télévisuels ou sur les paris gérés par La Française des jeux. Une fois encore, nous tâcherons de solliciter davantage les paris sportifs en ligne, qui connaissent une nouvelle envolée du fait de la Coupe du monde de rugby. Il me paraît donc important d'augmenter leur contribution, car les paris sportifs n'existeraient pas sans le sport et sans les bénévoles.
Je suis également d'avis que le moment est venu de réfléchir à un statut du bénévole. Cette proposition est soulevée depuis une trentaine d'années. J'appelle donc au lancement d'états généraux ou d'assises nationales consacrées au bénévolat sportif.
Nous avons d'autant plus besoin de gouvernance apaisée et transparente que le mouvement sportif est traversé, depuis quelques années, par un foisonnement d'initiatives dans la santé, l'éducation ou le sport en entreprise. Devant ces avancées, il est bon de répondre par la stabilité et la responsabilité de la gouvernance sportive. Étant très attaché à la notion de service public du sport de la République, je ne peux que plaider pour une gouvernance sportive plus sereine dans notre pays.