Non. Nous nous en tiendrons à un décret, conformément à l'avis du Conseil d'État, auquel je vous sais attaché, monsieur Dharréville, même quand il va dans le sens du Gouvernement.
S'agissant maintenant de la place du dialogue social, le principe est simple, nonobstant une exception. L'article L. 1 du code du travail énumère les sujets sur lesquels la compétence des partenaires sociaux est prioritaire, et la négociation interprofessionnelle obligatoire. Pour ajouter à la confusion que nous pouvons parfois rencontrer, d'autant qu'un lapsus est toujours possible et que l'on peut toujours utiliser un mot pour un autre sans mauvaise intention, l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle doit être précédée d'une phase de concertation sur les modalités et les termes de la négociation.
Les sujets qui ne figurent pas dans l'article L. 1 relèvent aussi du cadre de la concertation, mais offrent une souplesse accrue au Gouvernement, qui doit proposer des pistes de travail et les soumettre à la concertation avant de décider. Si le dialogue social échoue à aboutir à un accord majoritaire, alors le Gouvernement peut agir par décret de carence, comme il l'a fait en 2019 lors de la première réforme de l'assurance chômage.
Nous prévoyons d'introduire une exception à ce principe pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2023. Le projet de loi qui vous a été transmis autorise le Gouvernement, du 1er novembre 2022 au 31 décembre 2023, à décider par décret des règles d'indemnisation de l'assurance chômage. En effet, le décret de carence pris en 2019 ne peut avoir une durée d'application supérieure à trois ans, conformément à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Il arrivera donc à échéance le 1er novembre 2022. Si nous avions voulu, comme en 2019, respecter les délais nécessaires à l'organisation d'une négociation interprofessionnelle sur les règles d'indemnisation, celle-ci aurait dû être ouverte par l'examen d'un document d'orientation rédigé par le Gouvernement entre l'élection présidentielle et les élections législatives. Ce n'est pas une période où il aurait été de bonne politique d'engager l'État sur un document d'orientation ayant une vocation pluriannuelle. Nous ne l'avons donc pas fait. Dès lors, les règles en vigueur arrivent à échéance le 1er novembre prochain et il nous faut a minima les prolonger. Nous mettrons à profit une période de concertation sur les critères de modulation de l'assurance chômage, dont nous pourrons décider par décret à l'issue de la concertation, conformément à l'avis rendu par le Conseil d'État interrogé à ce sujet.
J'en viens aux questions sur le devenir de l'assurance chômage. Le texte que nous proposons s'inscrit dans une logique contracyclique : les dispositifs de protection doivent être forts lorsque la situation se dégrade et incitatifs, donc sévères, lorsqu'elle s'améliore. Nous pouvons mobiliser plusieurs critères objectifs, que nous soumettrons à la concertation, dont le rapport entre le nombre d'emplois disponibles et celui des demandeurs d'emploi inscrits, le rythme de création d'emplois et le celui de baisse du chômage. Nous ouvrirons ces sujets à la discussion.
Par ailleurs, il existe des critères de modulation de l'indemnisation par le biais de sa durée maximale et des conditions d'affiliation. Comme je l'ai déjà dit, nous ne souhaitons pas actionner le levier du niveau de l'indemnité.
À l'issue de la concertation sur les possibilités de modulation des règles d'indemnisation, nous ouvrirons une deuxième phase avec les partenaires sociaux sur plusieurs sujets, notamment la gouvernance de l'assurance chômage. C'est un sujet distinct, qui relève de l'article L. 1 du Code du travail. Nous ouvrirons une négociation, comme j'ai eu l'occasion de le dire aux partenaires sociaux, à la fin de l'année 2022 ou au tout début de l'année 2023. Nous devons aussi, ce qui ne relève pas du Parlement, renégocier la convention tripartite liant Pôle emploi, l'UNEDIC et l'État, notamment pour le financement de Pôle emploi, à l'horizon de la fin 2023. Et nous avons ouvert le chantier de la création de France Travail, qui introduira de nouvelles modalités que nous souhaitons voir mises en œuvre à partir du 1er janvier 2024. Si nous proposons au Parlement d'autoriser le Gouvernement à décider des règles d'indemnisation du chômage pendant une période limitée à quatorze mois, jusqu'au 31 décembre 2023, c'est aussi pour assurer l'articulation de ces chantiers ainsi que la meilleure coordination des négociations et des discussions des partenaires sociaux et des acteurs concernés.
S'agissant, troisième point, du travail des seniors, il y a énormément à faire. La priorité absolue est de faciliter leur maintien dans l'emploi. Des propositions ont été formulées par des partenaires sociaux, d'autres par les parlementaires – notamment Didier Martin et Stéphane Viry qui ont remis en 2021 un rapport d'information sur l'emploi des travailleurs expérimentés. Il y a là autant de sources d'inspiration sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Nous sommes aussi prêts à ouvrir d'autres réflexions, notamment sur la transition entre périodes d'activité et de retraite. De même qu'il existe des transitions avant l'âge légal de départ en retraite, nous pourrions faciliter le cumul emploi-retraite après l'âge de liquidation des droits, y compris en rendant les revenus afférents contributifs. Sur ce sujet des seniors, j'indique, en réponse à Pierre Dharréville, que nous arrêterons le calendrier de la réforme des retraites après la remise du rapport du Conseil d'orientation des retraites, sur lequel j'échangerai avec les partenaires sociaux lundi prochain.
J'en viens à la question des refus de CDI à l'issue d'un CDD ou d'une période d'intérim – je précise d'emblée que, dans le second cas, il y a déjà une forme de sanction avec la perte de la prime de précarité – et à celle des abandons de poste. Nous devons nous pencher sur ces sujets en tenant compte des questions d'opérationnalité ; peut-être une instruction complémentaire permettra-t-elle d'y voir plus clair. En l'état actuel des systèmes d'information, dont nous verrons s'ils peuvent être améliorés, les conseillers de Pôle emploi ne peuvent avoir la certitude qu'un CDI a été proposé à une personne s'inscrivant à Pôle emploi à l'issue d'un CDD. Des mesures qui semblent s'imposer d'évidence se heurtent à des difficultés techniques.
J'ouvre une brève parenthèse pour dire que les dispositions relatives aux contrats courts adoptées dans le cadre de la réforme de 2019 ont abouti, certes dans une conjoncture favorable, à des résultats meilleurs qu'espérés. Au premier semestre 2022, un peu plus de la moitié des nouvelles embauches ont été réalisées en CDI. Le nombre d'embauches en CDI a augmenté de 43 % tandis que le nombre d'embauches en contrats courts est resté stable par rapport à la période 2018-2019, ce qui est une bonne nouvelle pour l'emploi dans notre pays.
Les premiers résultats en matière de bonus-malus pour les sept secteurs économiques les plus exposés aux contrats courts sont encore provisoires, mais ils dessinent une tendance nette : de 62 à 63 % des entreprises connaîtront un bonus car leur taux de rupture est inférieur à la médiane de leur secteur, ce qui fait 37 à 38 % d'entreprises au taux de rupture supérieur. Ces résultats sont meilleurs qu'attendu.
Enfin, s'agissant de la formation, de l'accompagnement et de la question spécifique du travail et de l'accès à l'emploi des femmes, je souscris, sous de nombreux aspects, aux propos tenus. La modification des règles de l'assurance chômage n'est pas un outil unique – la considérer telle serait à la fois une erreur et un mauvais chemin. Tout doit être mobilisé : la formation, l'insertion, l'accompagnement, les formations tant initiales que continues. Il faut aussi lever les freins périphériques à l'emploi, comme je l'ai dit à propos des allocataires du RSA. Les parcours adaptés, en matière d'insertion et d'accompagnement vers l'emploi, doivent tenir compte des situations particulières. Ainsi, il faut trouver, pour les familles monoparentales encore plus que pour les autres, des solutions en matière de garde d'enfant.
C'est pourquoi j'ajoute aux chantiers précités les questions de logement, de mobilité et de garde d'enfants, dans lesquelles se nichent ces freins périphériques. Elles relèvent de politiques qui excèdent le champ de mon ministère, mais qui contribuent à l'objectif du plein emploi.