Je suis heureux de vous retrouver pour cette audition qui se tient après la première réunion du Conseil national de la refondation (CNR) – je reviendrai sur ses incidences sur la feuille de route – et après la présentation aux partenaires sociaux, hier, de ladite feuille de route. Elle est dominée par un objectif : le plein emploi. Outre un engagement de campagne, c'est le cap que le Gouvernement souhaite donner à toutes les politiques qu'il mène.
Nous sommes à un moment de notre histoire où le plein emploi semble, non plus un horizon théorique, mais un objectif que nous pouvons atteindre à condition de poursuivre nos efforts de développement de l'économie et de création d'emplois. Entre 2017 et 2022, l'économie française a créé 1,5 million d'emplois salariés et le taux de chômage a baissé de plus de deux points, passant de 9,5 à 7,4 %. Nous avons fait la première partie du chemin ; il reste la seconde.
L'objectif est clair et ma méthode constante : donner toute sa place au dialogue social et à la concertation. Pour réussir, il faut que les partenaires sociaux, les forces politiques et le Gouvernement dépassent les postures et les querelles théoriques afin de trouver des convergences chaque fois que cela est possible, en s'assurant que chaque avancée ne soit pas instrumentalisée pour préjuger d'un accord ou d'un désaccord sur d'autres sujets.
Pourquoi faire du plein emploi notre objectif ? D'abord, parce que le travail peut rendre heureux – les études le montrent pour une majorité de nos concitoyens. Le travail est la clé de l'autonomie, pas seulement financière : il donne une place dans la société ; il permet d'être utile ; il crée du lien social. Le travail est aussi le meilleur moyen de lutte contre les déterminismes sociaux. En ce sens, le plein emploi est un objectif certes économique, mais aussi politique et social.
Pour l'atteindre, j'ai proposé hier aux partenaires sociaux huit chantiers. L'ordre dans lequel je vous les citerai ne correspond pas à la priorité qui leur est donnée mais plutôt au calendrier de leur exécution.
En premier lieu, nous souhaitons accroître la réactivité de notre système d'indemnisation du chômage à la situation économique. Lorsque la conjoncture se dégrade, le modèle actuel n'est pas assez protecteur ; lorsqu'elle s'améliore, il l'est trop et il fait perdre tout caractère incitatif. En période de création d'emplois, la part des demandeurs d'emploi indemnisables dépasse les 60 % tandis qu'elle tombe à 45 % en période de dépression économique. Notre système est donc paradoxal. Parallèlement, le nombre d'emplois vacants a été multiplié par 2,5 entre 2017 et 2022, tandis que les offres d'emploi non pourvues pour 1 000 demandeurs inscrits sont passées de 50 à 170. Ces chiffres confirment les difficultés de recrutement que de nombreux chefs d'entreprise rapportent – 60 % d'entre eux en font part, et 30 % des entreprises industrielles considèrent que leurs capacités de production s'en trouvent limitées.
Nous souhaitons donc rendre le système réversible : lorsque la conjoncture est bonne, les règles doivent être plus incitatives, et plus protectrices lorsque la croissance ralentit et que la situation de l'emploi se dégrade. Nous devrons veiller à ce que le passage de l'un à l'autre soit fondé sur des éléments objectifs, notamment des statistiques publiques indépendantes, afin de favoriser son acceptation. Nous discuterons prochainement du projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, adopté en conseil des ministres le 7 septembre. J'ouvre aussi une négociation avec les partenaires sociaux sur les indicateurs économiques utilisés pour caractériser le marché de l'emploi et la situation économique ainsi que sur les critères de modulation des règles d'indemnisation. Je le précise d'emblée, le Gouvernement ne souhaite pas modifier le niveau de l'indemnité : ce serait contradictoire dans une période où nous agissons fortement pour défendre le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Le deuxième chantier vise à mieux coordonner le service de l'emploi avec la création de France Travail. Assuré par de nombreux acteurs – Pôle emploi, les missions locales, les départements et régions pour la formation et l'insertion –, il manque aujourd'hui de lisibilité et d'efficacité. J'ai confié à Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, une mission de préfiguration et de concertation sur France Travail. Il ne s'agit pas de créer une superstructure fusionnant toutes les autres, mais d'améliorer la concertation, de garantir l'offre la plus homogène possible sur le territoire, et de baser le service public de l'emploi sur les besoins de l'usager. Cet usager, le demandeur d'emploi ou l'allocataire du revenu de solidarité active (RSA), doit être pris en charge dans les meilleures conditions et le plus vite possible. Le diagnostic sur les compétences et les besoins de formation doit être rapide et de qualité. Le nombre d'interlocuteurs doit être restreint pour éviter les ruptures et tendre vers ce que l'on appelle un « parcours sans couture ». Pour les autres usagers que sont l'entreprise et le recruteur, simplicité et fluidité du parcours doivent aussi être de mise.
Le troisième chantier vise à accompagner vers l'emploi ceux qui en sont le plus éloignés. Je pense aux allocataires du RSA, mais aussi à ceux privés de tout dispositif d'action sociale ou de soutien. Cela passe par l'insertion et la formation, et par la mobilisation de tous les acteurs. Nous moderniserons aussi l'accompagnement des bénéficiaires du RSA. Pour l'heure, à peine plus de la moitié d'entre eux disposent d'un suivi personnalisé, et les résultats en matière de réinsertion ne sont pas à la hauteur des espoirs. Ainsi, 29 % sont encore allocataires sept ans après leur entrée dans le dispositif – ils sont 50 % quatre ans après. La rupture avec le monde professionnel, l'éloignement de la vie sociale et la précarité qui en découle sont des difficultés qui s'additionnent pour ces publics. Cet accompagnement intensif renvoie aussi aux quinze à vingt heures par semaine d'activités d'insertion et de formation que le Président de la République s'est engagé à rendre obligatoires pendant la campagne électorale. Certains y ont vu du travail obligatoire. Nous sommes loin de cette caricature. Il s'agit d'une prise en charge personnalisée prenant en considération les contraintes particulières : on ne propose pas à une mère célibataire une activité de dix-sept heures à vingt heures sans solution de garde ; on programme cette activité pendant les heures d'école ! La société n'est pas quitte de son devoir de solidarité en versant une allocation de quelques centaines d'euros. Elle est quitte lorsqu'elle a permis le rebond le plus rapide et le retour à l'emploi – donc l'autonomie, l'émancipation et la dignité.
Dès cet automne, dans une dizaine de bassins d'emplois et dans le cadre de la mission sur France Travail – les deux chantiers n'en faisant qu'un à nos yeux –, une expérimentation sera menée pour une meilleure coordination des offres d'insertion et d'activités et pour la garantie de leur homogénéité sur le territoire. Nous continuerons également à développer des stratégies pour d'autres publics – même si les catégories parfois se recoupent. S'agissant des personnes en situation de handicap, nous devons réactualiser la feuille de route. Quant aux personnes employées dans des structures d'insertion par l'activité économique (IAE), nous avions engagé un plan ambitieux qui sera poursuivi. La loi de finances pour 2023 garantira la montée en charge de l'IAE, tant en nombre de places que de dispositifs d'accompagnement.
Le quatrième chantier concerne l'insertion des plus jeunes. Les dispositifs actuels sont efficaces, notamment la plateforme « 1 jeune, 1 solution » qui rassemble toutes les options disponibles. Nous voulons développer le contrat d'engagement jeune, lancé le 1er mars 2022, qui obéit à la même logique d'accompagnement intensif avec une allocation en contrepartie de quinze ou vingt heures d'activité, de formation, de travail de groupe. Nous espérons 300 000 contrats signés cette année, et nous en étions à la moitié cet été. Nous veillons à ce que l'augmentation en nombre n'entraîne pas une détérioration de l'accompagnement en qualité.
Le cinquième chantier, particulièrement suivi par la ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels Carole Grandjean, porte sur le développement de l'apprentissage. Entre 2017 et 2022, le nombre d'apprentis est passé de 280 000 à 730 000 et nous franchirons le cap des 800 000 en 2022 ; notre objectif est le million. L'apprentissage est une voie de réussite et d'insertion professionnelle efficace en faveur de laquelle des moyens importants sont mobilisés, qu'il s'agisse des centres de formation d'apprentis (CFA) ou des aides à l'embauche. Une concertation avec les organisations sociales et les employeurs sera organisée pour atténuer la charge financière sans briser l'élan constaté.
Carole Grandjean suivra aussi le sixième chantier : la réforme de la formation professionnelle et la bonne mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF). Le CPF est une réussite. Il est devenu familier aux actifs. Outre l'individualisation des droits, il permet de choisir soi-même ses formations. Mais, regardons les choses en face, ce succès s'est parfois fait au détriment de l'équilibre financier et de la pertinence des formations. Nous connaissons le harcèlement téléphonique auquel se livrent certains opérateurs pour des formations éloignées du développement personnel ou de l'acquisition de compétences. Nous travaillons pour modifier les régimes de certification, lancer des procédures d'enrôlement et retirer des agréments aux organismes certificateurs comme aux organismes de formation dès lors que les standards de qualité ne sont pas au rendez-vous. Nous aurions souhaité profiter de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat pour encadrer le recours à la sous-traitance, car les « formations » qui s'apparentent à des arnaques appartiennent à des réseaux au niveau de sous-traitance délirant, mais nous nous sommes heurtés à l'obstacle de la recevabilité. Nombre de groupes politiques travaillent sur ce sujet et, je le sais, le groupe Démocrate a déposé une proposition de loi en ce sens. Toutes les initiatives sont bienvenues.
Le projet de loi sur le fonctionnement du marché du travail prévoit aussi de simplifier les conditions d'accès à la valorisation des acquis de l'expérience et d'ouvrir son bénéfice aux proches aidants, répondant ainsi à une forte attente du secteur médico-social.
Le septième chantier concerne l'emploi des seniors et la garantie de l'avenir de la retraite par répartition. Le taux d'activité des seniors en France est plus bas que la moyenne européenne. Le défi de leur maintien en activité ne sera relevé qu'avec le concours des employeurs. Il faudra travailler sur la gestion des fins de carrière et sur des dispositifs de transition entre l'activité et la retraite. Le compte épargne temps universel, qui ne se limite pas aux fins de carrière, aura un rôle à jouer. J'ai chargé les inspections générales des affaires sociales et des finances d'une réflexion prospective et opérationnelle sur le sujet.
Nous devons améliorer notre système de retraite et garantir son équilibre financier. Nous savons combien il est important de rehausser le niveau minimal des pensions et de prendre en compte la pénibilité. Dès que le Conseil d'orientation des retraites aura rendu public son rapport sur l'état financier du système, je réunirai les partenaires sociaux pour examiner le diagnostic et envisager les modalités ainsi que le calendrier d'une réforme.
Dernier chantier et non des moindres, le plein emploi va de pair avec le bon emploi. Ce chantier comprend trois axes. D'abord, la prévention de la pénibilité. Ensuite, la qualité de vie au travail : dans ce domaine, des changements sont nécessaires au vu des évolutions de la société et de la relation entre l'individu et le travail. Nous devons à la fois prendre des mesures concrètes et engager une réflexion transversale. Il a été décidé, lors de la réunion du Conseil national de la refondation, de s'intéresser à la place du travail dans la société et à l'évolution du modèle productif dans le cadre des assises du travail. Enfin, le dernier axe est la prévention des accidents du travail : mon ministère est mobilisé dans un grand plan national, mais je souhaite aller encore plus loin.
Pour conclure, je vous rappelle que mon cabinet et moi-même ainsi que les services du ministère sommes à votre disposition pour apporter des réponses à vos interrogations – notamment dans cette période budgétaire. Par ailleurs, les feuilles de route du ministère du travail sont accompagnées d'un agenda social faisant apparaître le calendrier des principales réformes. Il me semble que l'agenda unilatéral a vécu : on ne peut pas laisser grande place à la concertation si on a déjà fixé un calendrier définitif. En outre, les incertitudes que fait naître l'actualité – la crise énergétique et la guerre en Ukraine – rendent l'exercice du calendrier un peu vain. C'est la raison pour laquelle je vous ai plutôt présenté quelques jalons pour chacun de ces chantiers qui convergent tous vers le plein emploi.