M. Descrozaille m'a interrogé sur un système assurantiel qui permettrait, par la voie de la défiscalisation, d'alimenter un mécanisme de solidarité avec les éleveurs, comme cela existe dans la viticulture pour le stockage. J'en trouve le principe intéressant, même s'il faudra vérifier si cela ne crée pas des effets d'aubaine ou de bord. J'encourage donc la profession à se saisir de cette question et à nous faire des propositions. Pour tout vous avouer, il sera compliqué d'en tenir compte dans le budget 2023 mais il faut étudier cette question car le dérèglement climatique entraîne des dérèglements de production qui doivent être compensés.
M. Vigier a rappelé, à juste titre, la nécessité de soutenir les éleveurs. C'est tout le sens des mesures que je vous ai présentées, qu'il s'agisse de l'accès aux matières premières, avec le plan de résilience, ou de la sécheresse, et qui visent à répondre aux besoins de trésorerie. Si d'autres dispositifs sont nécessaires, nous les adopterons. Enfin, vous me permettrez de traiter la question de la prédation de manière globale.
Madame Trouvé, au-delà des propos caricaturaux et des mises en cause personnelles, je tenais à vous rappeler quelques faits. Tout d'abord, l'utilisation des substances chimiques cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction de catégorie 1, dites CMR1, a baissé de 90 %. De même, pour la première fois, le recours au glyphosate a diminué. Enfin, si c'était simple, cela se saurait ! Nous ne vivons pas sur une île déserte : il n'est pas question de flinguer des filières en leur interdisant un produit que le reste de l'Europe utilise. Nous devons certes avancer sur ces sujets, mais il faut le faire au niveau européen, faute de quoi nous affaiblirions les productions agricoles françaises. Il ne faut pas introduire de distorsion de concurrence entre Européens. Les interdictions sans solution ne sont pas un modèle. Il faut chercher des alternatives, et c'est ce que nous essayons de faire pour un certain nombre de produits.
Concernant la hausse du coût des fertilisants, il faut rappeler que nous sommes en situation de dépendance. Il faut donc s'assurer que nous pourrons continuer à nous approvisionner cette saison, car la question se pose. Par ailleurs, il est nécessaire d'engager une transition des fertilisants minéraux vers les fertilisants organiques. Nous devons retrouver notre souveraineté et prendre des mesures d'urgence pour fluidifier le marché.
Madame Batho, vous m'avez interrogé sur les néonicotinoïdes. Une loi a été votée et 20 millions d'euros ont été affectés à un travail de recherche, lequel en est dans sa deuxième année. Pas d'interdiction sans solution ; telle est la ligne définie par mon prédécesseur. Si l'objectif est bien la sortie, nous avons besoin d'offrir des solutions alternatives aux producteurs de betteraves. Quant au glyphosate, nous assistons pour la première fois à une diminution de son utilisation : un tiers des exploitations y a renoncé et 30 % sont en cours de sortie. Nous devons nous entendre au niveau européen pour harmoniser nos positions et trouver des solutions alternatives au glyphosate.
Madame Battistel, concernant l'exonération de Ticpe pour les producteurs de lait de montagne, nous allons étudier cette question et vérifier si cela est faisable dans le cadre réglementaire. Concernant la gestion de l'eau, je n'ai pas d'avis définitif sur la bonne échelle de gouvernance : s'agit-il des SAGE, des plans territoriaux de gestion de l'eau ou du département ? Dans ma région, le SAGE est immense, alors qu'il serait plus pertinent de gérer certains sujets, comme la localisation d'un ouvrage ou son fonctionnement, à une échelle plus petite. Par ailleurs, je constate que beaucoup de querelles éclatent au niveau des SAGE, alors qu'ils devraient être le lieu du débat et du consensus. Il faut donc étudier quel est le bon lieu de décision, même s'il me semble que la bonne échelle pour la gouvernance de l'eau est plutôt infradépartementale.
M. Lamirault m'a interrogé sur l'agrivoltaïsme. L'agriculture doit prendre toute sa part dans la capacité à produire de l'énergie – photovoltaïque, méthanisation, biomasse… Dans le texte qui sera soumis à votre approbation, la question de l'agrivoltaïsme est clairement posée. Il est nécessaire de rappeler que ce procédé concerne les agriculteurs : il faudra anticiper le risque d'un accaparement de terres par des opérateurs qui se dissimuleraient derrière un statut agricole. De plus, une régulation sera nécessaire, non seulement pour éviter que ne se développe une concurrence d'usage mais aussi pour que de nouvelles générations ne soient pas empêchées de s'installer par manque de foncier. Une planification est nécessaire.
S'agissant des loups et des cormorans, s'il me semble normal de protéger les espèces lorsqu'elles sont en danger d'extinction, il faut se poser la question de leur régulation quand leur statut est redevenu satisfaisant et qu'elles perturbent les productions. Nous courons désormais le risque d'une disparition de l'élevage. Le sentiment d'incompréhension est très violent dans le monde agricole, qui estime subir des injonctions totalement contradictoires. Quand vous êtes attaqué à cinq ou six reprises, le problème n'est pas celui de l'indemnisation : vous n'avez tout simplement plus envie de produire. Nous ne pouvons pas, sauf à manquer à nos devoirs, ignorer la détresse et la colère des éleveurs. Tout est une question d'équilibre entre les activités agricoles et la préservation de la biodiversité, à laquelle d'ailleurs l'agriculture contribue. Ce sujet n'est pas circonscrit à la France et gagne tout l'Europe ; j'irai en débattre, la semaine prochaine, au Conseil européen.
Les députés du Rassemblement national semblent nous faire porter la responsabilité de la hausse des coûts de l'énergie. Je les invite à regarder bien droit vers l'Est pour trouver une partie de la réponse ! Cela ne veut pas dire que nous ne faisons rien : nous avons prévu des mesures dans le cadre du plan de résilience. Certains dispositifs prévus dans la dernière loi de finances rectificative doivent toutefois être ajustés aux réalités de la production agricole. Les dépenses énergétiques des producteurs d'endives ont ainsi été multipliées par dix : cela ne peut se régler uniquement en répercutant les coûts dans les prix de vente.
Reconnaissons tout de même, en particulier dans le secteur agricole, que l'État a été puissamment au rendez-vous de toutes les crises, alors que le contexte budgétaire n'est pas simple. Le budget de l'État, c'est celui des Français, et si le budget n'est pas suffisant, cela signifie qu'il faut s'endetter : il ne faut pas l'oublier. Il est absolument crucial d'aider les agriculteurs, les éleveurs et les entreprises de transformation agroalimentaire à passer ce cap énergétique.
Monsieur Gaillard, s'agissant de la Cdpenaf, cette disposition législative avait été adoptée afin d'éviter la spéculation foncière dans les territoires d'outre-mer, qui est un risque réel. Il est donc assez paradoxal de vous voir demander une uniformisation des règles avec l'Hexagone alors que, par ailleurs, les Outre-mer demandent la différenciation territoriale. Je veux bien explorer cette question mais j'ai tendance à penser qu'il faudrait aussi essayer de renouer le dialogue local afin d'éviter les postures de rejet qui empêchent tout projet de naître. Il faut bien réfléchir avant de modifier la loi car un avis simple n'est pas contraignant et permet de faire ce que l'on veut. Il est donc souhaitable que les départements continuent à réguler le foncier. Je reste à votre disposition pour évoquer ces questions.
Si la décapitalisation constatée chez les éleveurs ne date pas de cette année, il existe un risque d'accélération de ce phénomène. Nous devons prendre des mesures d'urgence et donner des perspectives aux éleveurs.
Les mesures d'urgence doivent répondre aux problèmes du prix et de la sécheresse, qui se cumulent cette année. En ce qui concerne le prix, je ne désespère pas, loin s'en faut, que les opérateurs de la distribution fassent leur travail. Quelques-uns affichent désormais les prix de rémunération des producteurs. Cela peut avoir pour effet d'inciter leurs concurrents à faire de même.
Le débat doit être engagé sur le terrain suivant : le prix – et donc la rémunération du producteur – c'est la souveraineté. Je suis convaincu que nous pouvons mener ce combat contre ceux qui pensent que le bon prix c'est le prix bas. Alors même que nombre de nos concitoyens font face à des difficultés financières, l'idée que la rémunération des producteurs est une affaire de souveraineté peut prospérer chez une immense majorité d'entre eux, ainsi que dans la grande distribution. Cela imposera l'idée qu'il faut payer les gens pour que les étals soient garnis. À défaut, la chaîne de production alimentaire se rompra. Il faut le dire dans des termes encore plus forts que ceux que j'emploie.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont souligné, la grippe aviaire a diverses conséquences. La filière a pris des engagements pour garantir la continuité du repeuplement de telle sorte que tous les élevages puissent être servis. Nous y veillons car la concentration des acouvoirs dans quelques départements n'offre pas de capacité alternative. Il faut aussi régler la question des zones indemnes qui ne sont pas indemnisées. Les services y travaillent et il faut résoudre une difficulté réglementaire, en expliquant qu'il faut accorder des aides à des élevages qui manifestement n'ont pas été affectées par la grippe aviaire. Même si peu d'éleveurs sont concernés, il s'agit d'un sujet très sensible. Le problème est bien identifié, mais je ne dispose pas encore de la solution.
Le dérèglement climatique a des conséquences sur les exploitations soumises au respect d'un cahier des charges d'appellation d'origine contrôlée (AOC). Par exemple, lorsque ce dernier prévoit de s'en tenir au système herbager mais qu'on est contraint de demander tous les ans une dérogation pour utiliser du fourrage venant de l'extérieur. Ce n'est alors plus une dérogation mais une règle. La production de qualité est une des forces de notre agriculture et tous les labels sont importants. Mais, tout en maintenant le haut degré d'exigence qui fait la force du modèle – et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a raison de le défendre –, il convient de mener une réflexion sur l'adaptation des cahiers des charges au regard des réalités climatiques, lorsque ces derniers ne sont plus adaptés.
L'enseignement agricole est globalement attractif. Dans un contexte démographique de diminution générale des effectifs, c'est la seule filière d'enseignement dont le nombre d'élèves croît. Cela n'est pas le fruit du hasard. La spécificité de son modèle est d'être très inclusif et souvent organisé en internat. Il permet à plus de 80 % de jeunes qui s'y orientent – et qui se trouvent parfois initialement dans une situation difficile – de trouver leur voie comme citoyen, puis de trouver une voie professionnelle. Tout cela permet de construire un écosystème qui rencontre un écho dans la population.
Tous les jeunes qui fréquentent l'enseignement agricole ne vont pas devenir agriculteurs. Un travail doit être réalisé pour leur permettre d'être employés dans le secteur agricole : nous avons besoin de salariés dans les exploitations et dans l'industrie agroalimentaire, dont il faut valoriser les métiers. Quand des jeunes expliquent qu'ils n'osent pas dire que leurs parents travaillent dans des abattoirs, comme s'il s'agissait d'un métier honteux, c'est un problème pour le pays. Il faut cesser de dénigrer ces métiers.
De plus en plus de jeunes qui rejoignent l'enseignement agricole ne sont pas issus de milieux agricoles, ni même du monde rural. Un effort doit donc être consenti en termes d'innovation pédagogique et de communication, car c'est sur ces jeunes que reposera la reprise des exploitations par une nouvelle génération. Ils souhaitent travailler dans le secteur agricole parce qu'ils y trouvent du sens. Parce que c'est un beau métier de nourrir la population, d'assurer une production de qualité et de participer à la transition écologique.