Je suis heureux d'être devant vous pour évoquer des sujets de préoccupation permanents de votre commission mais, aussi, des sujets d'actualité. Votre rôle de parlementaires est éminent, non seulement dans l'élaboration de la loi mais dans le débat politique et social.
Mon ministère est donc celui de l'agriculture… et de la souveraineté alimentaire, ce nouvel intitulé illustrant notre volonté de faire face à ce défi.
La crise sanitaire, en premier lieu, a montré toute l'importance stratégique de notre agriculture. Les femmes et les hommes qui forment l'ensemble de la chaîne alimentaire – producteurs, transformateurs, distributeurs – se sont mobilisés sans faille afin d'éviter une rupture d'approvisionnement et de garantir l'accès à l'alimentation. Une telle continuité est indispensable.
La crise ukrainienne, en second lieu, montre combien l'alimentation, que nous concevons depuis soixante ans, en tant qu'Européens, comme un levier pour bâtir la paix et la solidarité, peut devenir une arme. Un certain nombre d'acteurs – je pense au Président de la Russie – ont décidé d'utiliser ce levier de l'arme alimentaire – comme le levier de l'arme énergétique – pour peser géopolitiquement. L'alimentation est donc un enjeu fondamental de souveraineté, même pour la première puissance agricole qu'est l'Union européenne.
Ces deux crises ont eu au moins le mérite de rappeler la vocation première de notre agriculture, qui est productive et nourricière.
J'ajoute que poser la question de la souveraineté alimentaire, c'est poser celle de l'avenir de notre agriculture, donc, de l'identité et du destin de notre pays car l'agriculture, ce sont aussi des traditions, des repères culturels, des paysages.
Il convient donc d'accompagner nos agriculteurs face aux défis immédiats mais, aussi, aux nécessaires transitions. Souveraineté alimentaire et transition ne s'opposent pas d'ailleurs mais se complètent : nous n'obtiendrons pas la première si nous ne réussissons pas la seconde. C'est précisément dans un tel objectif que nous avons travaillé pour finaliser la politique agricole commune (PAC).
Mon prédécesseur, que je salue, a déjà accompli un immense travail. La France compte parmi les sept premiers pays dont le plan stratégique national (PSN) a été validé – nous tenions en effet à ce que les agriculteurs disposent d'un cadre dès le mois d'août pour faire face aux nouveaux défis de la PAC.
Ce PSN comprend trois ambitions principales.
Une ambition économique, tout d'abord, avec la confortation des aides aux revenus des agriculteurs. La France a choisi de maximiser l'enveloppe allouée aux aides couplées tout en les rénovant dans l'objectif de créer de la valeur dans les territoires et de défendre notre souveraineté alimentaire avec l'augmentation des soutiens aux protéines végétales, la refonte des aides bovines et l'instauration de l'aide au petit maraîchage. Les aides sont également ciblées vers les filières et les territoires les plus fragiles – je pense notamment à l'élevage extensif dans les zones à handicaps naturels comme, par exemple, les zones de montagne.
Une ambition environnementale, ensuite, puisque le PSN encourage le renforcement de la diversité des systèmes de production, l'accompagnement de l'autonomie de production, le renforcement de la résilience des secteurs où la sobriété en intrants s'impose. Les mesures de la PAC, notamment, l'écorégime, sont particulièrement mobilisées pour la préservation des prairies, l'implantation et le maintien des haies, la diversité des assolements et le développement de l'agriculture biologique, avec un objectif de 18 % de la surface agricole à l'horizon de 2027.
Une ambition sociale, enfin, avec la revalorisation des soutiens aux jeunes agriculteurs pour favoriser le renouvellement des générations, l'introduction d'une conditionnalité sociale pour les aides de la PAC dès 2023 et le droit à l'erreur, élément déterminant pour améliorer les relations entre les agriculteurs et l'administration.
Tout cela s'inscrit parmi les avancées obtenues sur la réciprocité des normes pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous avons posé ces questions, ces enjeux et ces principes dans le cadre du débat européen et nous avons fait en sorte que la réflexion engagée soit irréversible. Nous avons obtenu un consensus sur la nécessité de renforcer la cohérence entre le Pacte vert pour l'Europe, la PAC, la politique commerciale et des systèmes alimentaires durables.
L'adoption par le Conseil des conclusions sur l'engagement de l'Union européenne en faveur d'un Codex alimentarius permet de construire une stratégie d'influence européenne et constitue une application du principe de réciprocité. Nous devons rester mobilisés pour faire en sorte que le cadre que nous avons posé demeure lors des futures discussions européennes. L'enjeu est à mes yeux fondamental, y compris pour la transition écologique en France et en Europe.
C'est d'ailleurs pour protéger nos agriculteurs que le chantier des revenus agricoles avait été lancé lors de la précédente législature avec les lois EGALIM 1 et 2. Il s'agit là de la mère des batailles pour la souveraineté. Si nos agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur travail, nous ne pourrons plus produire, donc, nourrir qualitativement et quantitativement nos compatriotes. La loi EGALIM 2 a permis d'enrayer la dynamique déflationniste et destructrice de la valeur avec des hausses moyennes de 3,5 % pour les fournisseurs de la grande distribution. Malheureusement, la crise ukrainienne et la flambée de l'inflation ont eu des conséquences très importantes. Dès le mois de mars, un cycle exceptionnel de négociations s'est donc engagé : 6 500 tarifs de fournisseurs ont été renégociés ou sont en cours de renégociation. Pour certains produits comme le bœuf ou la volaille, cinq révisions ont été opérées, ce qui est logique compte tenu de la fluctuation des cours, des prix et des matières premières.
Nous serons attentifs à la poursuite de la contractualisation, qui a été engagée de manière anticipée dès 2022 pour les porcs et les bovins, le lait de vache et de brebis ; elle sera effective le 1er janvier 2023 pour les autres filières. La contractualisation est au fondement de la souveraineté alimentaire grâce à la stabilisation qu'elle induit.
La loi EGALIM 2 n'est probablement pas parfaite mais tout n'est pas affaire de lois : les différents acteurs doivent aussi prendre leur part et vous ne manquerez pas de me faire des remarques et des propositions.
Cette loi, votée en novembre 2021, est appliquée depuis peu dans le contexte que nous connaissons. En tout état de cause, cet indispensable filet de sécurité est efficace et a permis de sauver de très nombreuses exploitations. Il s'agit là d'une première étape car nous devrons tirer les conclusions de ce qui se sera passé durant la crise ukrainienne.
Le Gouvernement continue de se mobiliser, avec Bercy, pour peser dans les négociations, évaluer les difficultés, mettre en lumière les pratiques qui ne sont pas conformes avec l'esprit et la lettre de la loi et pour essayer de faire avancer les choses. Ainsi nous nous sommes mobilisés ensemble sur la question du prix du lait et pour faire en sorte que la rémunération soit plus adéquate avec la réalité des coûts. Des problèmes ne s'en posent pas moins : il convient de faire en sorte que tous les distributeurs s'alignent et que, dans la chaîne de production et de transformation, les producteurs laitiers bénéficient des hausses annoncées, faute de quoi nous serons confrontés à un risque de décapitalisation.
J'en viens à la question tout aussi essentielle du renouvellement des générations, à laquelle votre commission et l'Assemblée nationale seront également associées.
Le Président de la République a présenté le 9 septembre dernier les contours de la loi d'orientation et d'avenir agricole. Pendant les dix dernières années, 100 000 exploitations ont disparu et dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs seront en âge de prendre leur retraite. Ce sont donc plus de 200 000 hommes et femmes qui nous nourrissent dont l'activité pourrait cesser.
L'enjeu est clair : pour assurer notre souveraineté agricole et alimentaire, il faudra garantir ce renouvellement et construire un système viable pour nos agriculteurs dans un contexte de grands bouleversements. Il faudra également favoriser l'installation des jeunes ou des moins jeunes de manière à ce qu'ils puissent tenir dans la durée, malgré le dérèglement climatique et, parfois, économique que nous connaissons. Il s'agira donc d'une transmission-transition et non d'une classique transmission-reprise.
Nous devons bâtir avec le monde agricole un pacte de renouvellement et de confiance autour de quatre piliers : l'orientation et la formation, la transmission, l'installation et la transition et, enfin, l'adaptation au changement climatique.
Dans cette perspective, pour consolider notre enseignement agricole, le Président de la République a annoncé qu'un fonds d'innovation pédagogique sera doté de 20 millions d'euros et que, dans le cadre du fonds « entrepreneurs du vivant », une dotation de 400 millions permettra de soutenir les installations des jeunes afin de les accompagner dans ces transitions indispensables et de lisser sur plusieurs années la charge que représente une installation, notamment, la charge foncière. Se pose également la question de l'accès au foncier et de la charge capitalistique, qui constituent autant de freins à l'installation des jeunes.
Les six prochains mois permettront d'organiser une large concertation sur l'ensemble de ces sujets afin que cette loi, qui sera présentée au premier semestre 2023 devant votre assemblée, soit construite avec vous en planifiant territoire par territoire et filière par filière les évolutions structurelles et les objectifs que nous souhaitons pour l'agriculture française.
La souveraineté alimentaire, c'est aussi permettre à nos agriculteurs de tenir face aux crises qui les touchent et, grâce au soutien que nous leur apportons, de passer le cap d'une situation difficile afin qu'ils puissent continuer à produire. L'objectif est également de les accompagner pour qu'ils engagent des évolutions durables de leurs modes de production. Je pense en premier lieu à la réponse que nous avons apportée face à l'augmentation du prix des matières premières liée à la guerre en Ukraine : 639 millions d'euros ont été déployés entre les dispositifs d'aide à l'alimentation animale et la prise en charge des cotisations sociales. Je sais que, dans vos circonscriptions, vous êtes nombreux à être sollicités par nos agriculteurs sur les augmentations de charge, mais ce plan de résilience n'est pas seulement une réponse à une situation d'urgence, il ouvre aussi des perspectives à long terme.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, il a été décidé de permettre la valorisation des jachères sur la campagne en cours, récoltée à l'été : il s'agissait évidemment de continuer à produire, de produire plus mais aussi différemment en permettant à nos agriculteurs de mettre en culture ces jachères en céréales, en oléagineux ou en protéines végétales. C'est d'ailleurs également le sens du plan « protéines végétales » qui vise à réduire notre dépendance aux importations de pays tiers et à améliorer l'autonomie des éleveurs.
Enfin, ce plan de résilience s'accompagne d'un soutien à l'investissement à travers France 2030 ; 300 millions d'euros permettront de financer des investissements dans des dépenses d'infrastructures, de foncier, d'immobilier, pour des brevets, des licences, l'achat d'équipements et de machines, pour des dépenses d'industrialisation, d'amélioration énergétique, environnementale, des outils de production et des dépenses de prestation de conseil associées.
Notre objectif n'est pas seulement de faire face à la crise en Ukraine mais de renforcer le secteur agricole et agroalimentaire, notamment dans le contexte de la guerre, et de poser les jalons d'un modèle durable, viable pour chaque agriculteur afin de bâtir notre souveraineté alimentaire.
J'en viens aux aléas sanitaires qui touchent nos agriculteurs et nos territoires : je songe à la brucellose, à la tuberculose, à la salmonellose et, surtout, s'agissant des filières de volailles, à l'influenza aviaire : plus d'1,1 milliard d'euros – dont plus de 100 millions sont déjà engagés – ont été programmés pour faire face aux conséquences sanitaires et économiques de l'épidémie. Je rappelle que le chiffre d'affaires de ces filières s'élève à 7 milliards. Le plan de soutien est donc particulièrement important, de même que sa feuille de route permettant de penser le modèle d'élevage de volailles que nous voulons dans un contexte quasi endémique. Nous expérimentons une stratégie vaccinale, dont les résultats seront connus aux mois de décembre ou de janvier. Si les résultats sont concluants, nous veillerons à la déployer tout en veillant, sur le plan européen, à ne pas obérer les capacités d'exportation de ces filières.
Bâtir notre souveraineté alimentaire, c'est également penser l'avenir de notre agriculture comme une part de l'avenir même de la nation. De ce point de vue, l'alimentation et le bien-être animal sont fondamentaux.
S'agissant de l'alimentation, trois points me semblent importants.
Tout d'abord, le développement des projets alimentaires territoriaux, afin de mieux articuler l'offre et la demande. Près de 80 millions d'euros ont été mobilisés dans le cadre du plan France Relance. Au 1er avril 2022, plus de 370 projets étaient labellisés par l'État et l'objectif d'au moins un projet alimentaire territorial par département est atteint. Nous devons continuer sur cette lancée.
Ensuite, le chèque alimentation durable, engagement qui a été pris dans la continuité de la Convention citoyenne pour le climat, dont le Président de la République et la Première ministre ont réaffirmé la pertinence. Nous sommes confrontés à un enjeu non seulement pour nos agriculteurs mais pour l'ensemble de la société puisqu'il s'agit de permettre aux personnes qui ne peuvent accéder à une alimentation durable et de qualité de pouvoir le faire. C'est cette ambition que je poursuis dans le cadre du travail que nous avons engagé avec le ministère de la santé et des solidarités pour répondre pleinement aux objectifs de la Convention citoyenne pour le climat. Des écueils et des difficultés se font certes jour mais nous ne renoncerons pas. Nous écoutons, nous consultons et nous essayons de nous forger une opinion : quels circuits, quels types de produits et de publics ?
Nous pourrions par exemple imaginer que les projets alimentaires territoriaux soient un vecteur possible. De la même manière, nous pourrions faire le lien avec l'application des objectifs de la loi EGALIM en restauration collective et offrir des repas de qualité à tous les enfants scolarisés, qui plus est dans une perspective pédagogique.
Enfin, je rappelle qu'à la suite de l'arbitrage de la Première ministre, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire assurera bientôt la police unique de la sécurité sanitaire des aliments. Nous travaillons avec les services de Bercy pour réaliser dans de bonnes conditions les transferts de personnels et les missions dévolues à cette mission.
S'agissant du bien-être animal, les avancées sont réelles depuis la dernière législature : plans de filière répondant aux attentes sociétales ; plan de lutte contre l'abandon des animaux de compagnie ; plan abattoirs – plus de 180 abattoirs aidés au titre de la modernisation économique et du bien-être animal ; renforcement des contrôles et des inspections coordonnés ; création de la force d'intervention en abattoir ; fin de la castration à vif des porcelets depuis le 1er janvier 2022 ; fin du broyage des poussins mâles à partir du 1er janvier 2023. Les agriculteurs et les filières se sont engagés avec, en arrière-plan, la question du coût des avancées que nous souhaitons.
J'ajoute qu'un certain nombre de dossiers d'investissement ont progressé dans le domaine de la biosécurité grâce au plan France Relance, avec un financement de trois mille projets à hauteur de 90 millions d'euros.
Des échéances importantes sont attendues en matière de bien-être animal sur le plan européen et c'est aussi à ce niveau-là qu'il convient d'agir – et pas seulement sur le plan national, au risque d'introduire des distorsions inacceptables.
Je conclus avec la question de la transition écologique et de l'adaptation au changement climatique.
Le ministère sera au cœur des réformes avec la volonté d'engager la transition par le biais de la planification, ce qui passe par le financement de la recherche et de l'innovation en agronomie et un investissement dans la « troisième révolution agricole ».
À l'échelon national, la France a déjà engagé des plans massifs d'investissements, notamment à travers France Relance et France 2030 ; plus de 4 milliards d'euros seront investis pour financer des solutions durables et innovantes. Notre agriculture pourra notamment s'appuyer sur la sélection variétale, le biocontrôle, la robotique et le numérique mais l'innovation, à mon sens, n'est pas seulement technique : elle touche également les pratiques, la formation et le modèle que nous voulons, ce qui nécessitera des moyens.
À l'échelon européen, l'atteinte des objectifs est conditionnée à l'émergence d'un cadre commun permettant un déploiement massif de ces solutions pour faire face à d'immenses défis, dont l'intensité et la violence d'épisodes climatiques de plus en plus fréquents. Cette année, les mêmes agriculteurs ont parfois été frappés par le gel, la grêle et la sécheresse.
Depuis mon arrivée, j'ai réuni plusieurs comités sécheresse avec mes collègues du ministère de la transition écologique pour prendre des mesures de régulation. Nous avons d'ores et déjà déployé un certain nombre de dispositifs, notamment pour aider les éleveurs qui connaissent des difficultés de trésorerie et peinent à alimenter le bétail.
Nous avons aussi mobilisé les calamités agricoles en accélérant autant que possible le versement des aides en fonction des besoins de trésorerie des exploitations et pour qu'elles ne décapitalisent pas. Nous avons également mobilisé les avances de la PAC puisque 1,5 milliard d'euros supplémentaires seront versés dès le 16 octobre.
Je n'insiste pas sur les dispositifs plus classiques, dont le dégrèvement des cotisations sociales et automatique pour la taxe sur le foncier non bâti. À ce propos, un problème de « ruissellement », si j'ose dire, se pose puisque le propriétaire ne connaît pas forcément le bailleur. Sans doute faudra-t-il réfléchir au moyen de s'assurer que le destinataire final – l'agriculteur – en bénéficie. Je rappelle également la possibilité de déroger pour la PAC à l'obligation de semis. Enfin, nous devons clarifier les situations individuelles pour qu'aucun agriculteur ne soit laissé sans solution.
L'adaptation au changement climatique, c'est aussi la réforme de l'assurance récolte. Je me félicite de la rapidité avec laquelle la loi a été discutée et votée en mars 2022, l'objectif étant une entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Nous avons beaucoup discuté avec les agriculteurs et les assureurs afin de refonder le système assurantiel. Si nous avions conservé celui que nous connaissons, il aurait explosé faute de taux de couverture permettant aux assureurs de proposer des contrats ou d'en proposer dans des conditions économiques acceptables. Nous pouvons désormais envisager une augmentation du taux d'assurance, en particulier dans les filières animales – je pense à la question des prairies – et pour les arboriculteurs.
La question des usages de l'eau est également fondamentale, notamment à travers l'évolution des pratiques et des variétés mais aussi, dans un certain nombre de cas, de l'assolement. Celle de l'accès à l'eau l'est tout autant.
Je rappelle cette évidence : l'histoire agricole, qui est vieille comme le monde, est conditionnée par l'accès à l'eau, quelle que soit la production.
Ensuite, et ce n'est pas moi qui le dis mais le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), dans le modèle à deux degrés, le volume d'eau n'est pas en diminution, mais subit une arythmie de la pluviométrie, qui se traduit par une alternance de grandes sécheresses et de grandes inondations.
C'est à la lumière de ces éléments qu'il nous faut travailler sur les usages de l'eau, d'ailleurs non exclusifs les uns des autres, même s'ils ne peuvent être simultanés : contre les inondations, pour l'irrigation, pour le soutien d'étiage, pour l'alimentation en eau potable, contre les incendies. Le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique a ouvert la voie s'agissant du dialogue et de la méthode, ainsi qu'à plusieurs projets. Certains de ces derniers, qui avaient franchi toutes les étapes juridiques, recours compris, ont été victimes d'actes de vandalisme et de destruction d'ouvrages : ce n'est pas acceptable. Il faut faire comprendre qu'il s'agit de partager l'eau, que nous avons besoin de cette ressource et que lorsque les agriculteurs la prélèvent, ce n'est pas pour un bien privé mais pour un bien commun, et non des moindres : l'alimentation – végétale, ou animale par rebond.
Parmi les pistes à explorer figurent les ouvrages qui ne sont plus mobilisés faute de structures agricoles, alors qu'ils peuvent fournir d'importantes ressources, et la réutilisation des eaux de station. Nous sommes l'un des pays d'Europe qui pratique le moins cette dernière : 1 % des eaux de station sont réemployées en France, contre 14 % en Italie et près de 10 % en Espagne – à titre de comparaison, le chiffre est de 80 % en Israël, mais la situation y est particulière.
Je termine par les incendies de forêt, question d'actualité récente, également en lien avec sécheresses et canicules. Trois sujets sont sur la table.
Premièrement, l'acculturation en matière de défense de la forêt contre l'incendie. Celle-ci était traditionnellement concentrée dans le Sud-Ouest et dans le Sud-Est, mais puisque les feux de forêt apparaissent désormais à de bien plus hautes latitudes, il s'agit de s'approprier ses outils là où l'on n'avait pas l'habitude de penser le peuplement forestier de ce point de vue.
Deuxièmement, le rôle des forêts dans la captation de carbone et les difficultés dans lesquelles se trouvent les massifs forestiers du fait du dérèglement climatique. En moins de vingt ans, la quantité de carbone captée par les forêts a été divisée par deux, non parce que la surface forestière a diminué mais parce que l'accroissement forestier est rendu beaucoup plus faible par le dérèglement du climat, en particulier par les épisodes de canicule : on est passé de 2 ou 3 % à 1 ou 1,5 % d'accroissement en masse par an. Cela pose le problème de l'adaptation des essences au changement climatique.
Enfin, la reconstruction des forêts et son modèle de financement. Je rappelle que 75 % du massif forestier français est privé et que, pour près de 2 millions d'hectares, chaque propriétaire dispose de moins de quinze hectares. Cela soulève les questions de la mobilisation de la ressource et de l'organisation du renouvellement forestier. Dans le prolongement des travaux déjà menés, nous devrons nous efforcer de faire en sorte que tous les massifs forestiers, même les plus petits, puissent être mobilisés pour leur capacité de production, mais aussi de stockage de carbone.
Je salue la part importante que les agriculteurs, pourtant eux-mêmes contraints par la sécheresse, ont prise dans la défense des forêts contre les incendies. Nous avons adopté des dispositions a posteriori pour pouvoir les indemniser, mais ils étaient intervenus spontanément. Il serait intéressant d'étudier ce que le monde agricole pourrait apporter de manière plus formalisée au dispositif de vigie en la matière.
Nous préparons un plan de résilience sur les questions forestières dont des éléments seront précisés par le Président de la République et par le Gouvernement au cours des semaines qui viennent.
Mon cap est la souveraineté. Or la souveraineté, c'est la production, la transition, la rémunération, l'installation, l'accès au foncier : c'est sur tous ces éléments que nous devrons travailler au cours des prochaines semaines et des prochains mois, car désarmer en matière de souveraineté alimentaire serait une grave erreur dans les moments que nous traversons. Cette feuille de route vaut au niveau national, mais aussi européen – ce que nous vivons a peut-être réveillé quelques consciences.