On n'oublie jamais d'où l'on vient : c'est sincèrement un plaisir d'être auditionnée par votre commission. J'ai eu l'honneur de siéger beaucoup parmi vous et aussi de présider un peu.
Le périmètre de mes attributions est effectivement large. Et encore, tout ne figure pas dans mon titre : outre les PME, le commerce, l'artisanat et le tourisme, je suis chargée des indépendants et de la consommation, que je ne voudrais oublier pour rien au monde. Comme vous l'avez dit, ce périmètre devrait faire de moi votre ministre référente, à votre disposition pour l'ensemble de ces enjeux. Si je devais résumer, je dirais que je suis la ministre de l'économie de proximité, à la fois la boulangerie d'en bas, le resto du coin et le taxi d'à côté, c'est-à-dire toutes les entreprises qui font notre quotidien, à défaut de faire la une des quotidiens. Ma mission est de faire en sorte que les politiques que nous mettons en œuvre avec le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, irriguent toutes les entreprises, en particulier les plus petites, jusqu'à la maille de la microentreprise. Je sors d'ailleurs du salon SME, consacré aux microentrepreneneurs. Il existe une tendance assez naturelle à regarder notre économie à travers le seul prisme du CAC40, de l'industrie ou des start-up. Je suis à Bercy pour m'assurer que ces prismes ne se transforment pas en miroirs grossissants : les 4 millions de PME françaises représentent pas moins de 99,8 % des entreprises, la moitié des emplois salariés à temps plein et plus de 40 % de la valeur ajoutée. Cela dit, aucune de ces entreprises n'est identique aux autres, leur typologie est très différente selon les circonscriptions.
Être ministre des PME, c'est être ministre de la proximité mais aussi, trop souvent, ministre de la complexité : la complexité de ces publics, très différents, mais aussi et surtout la complexité pour ces publics, qui ont parfois du mal à s'y retrouver dans le labyrinthe de nos aides et de nos administrations. La crise du covid nous a montré qu'il était difficile de traiter par grandes catégories les petites réalités de notre économie. Il est néanmoins nécessaire de traiter ensemble tous les acteurs qui font vivre notre pays. Je rappelle, en outre, que mon ministère est aussi celui des consommateurs et des touristes. Si j'insiste sur ce point, c'est notamment pour vous prier de m'excuser par avance si, d'aventure, la feuille de route que j'ai vocation à vous présenter ce soir, et qui a été élaborée avec Bruno Le Maire et la Première ministre, devait ne pas s'appliquer à tel ou tel secteur en général ou à tel territoire en particulier. Les enjeux sur lesquels je vais revenir sont au cœur de tout mon portefeuille et nous aurons ensuite tout loisir, lors de vos questions, d'aborder des sujets plus spécifiques.
Mes priorités sont assez largement partagées, aussi bien par les différentes sensibilités politiques au sein de votre commission que par les acteurs concernés. Pour faire simple, ce sont, à très court terme, les prix de l'énergie et, à court terme, la transition écologique – en réalité, quel que soit le terme, l'enjeu est le même : la transition écologique. Nous vivons en ce moment une situation particulièrement préoccupante pour nos entreprises, du fait de la montée des prix de l'énergie, dont il est encore bien difficile de prédire l'issue, et de l'inflation, qui est un fait. Il me paraît naturel que de nombreuses entreprises, notamment les PME, aient à augmenter leurs prix pour faire face à leurs nouvelles charges. Cette situation a été anticipée par le Gouvernement et le Parlement avec le vote du paquet « pouvoir d'achat » cet été. Si l'augmentation des prix est un fait, il n'est cependant pas question qu'elle devienne une fatalité. L'État se tient aux côtés des entreprises, en particulier les plus petites d'entre elles, qui subiraient un déséquilibre trop important. L'État est là pour corriger les défaillances de marché, comme nous le faisons depuis le début de la crise.
Voilà près d'un an, à quinze jours près, que nous avons bloqué les prix du gaz et de l'électricité pour les ménages ainsi que pour les 1,5 million d'entreprises qui sont au tarif réglementé. Ce bouclier, qui concerne d'ores et déjà 1,5 million de très petites entreprises (TPE), sera prolongé en 2023. Je rappelle que la France a été le premier pays d'Europe à appliquer un bouclier tarifaire, en octobre 2021. Voilà, par ailleurs, près de six mois que nous avons lancé des aides Résilience et un prêt garanti par l'État (PGE) Résilience, deux outils par lesquels l'État vient directement en aide aux entreprises les plus affectées par la hausse des prix. Nous allons continuer à travailler, avec Bruno Le Maire, Roland Lescure, les producteurs et les fournisseurs d'énergie, à l'identification de mesures qui pourraient être mises en œuvre très rapidement pour assurer la résistance du tissu économique.
Ces mesures d'urgence étaient nécessaires, mais elles ne seront peut-être pas suffisantes. Il est en tout cas trop tôt, à ce stade, pour en faire un bilan. Je pourrai revenir, à l'occasion de vos questions, sur les échanges extrêmement fréquents que nous avons avec les représentants des entreprises. Ce que je peux vous dire d'emblée, c'est que nous ne constatons pas, au sein des réseaux et des relais habituels, notamment dans les statistiques de la Banque de France, une aggravation brutale de la situation des PME. Nous demeurons néanmoins très attentifs, parce que la crise que nous traversons est inédite et qu'elle peut à tout moment poser de nouvelles questions ou conduire à de nouvelles défaillances.
J'échange très régulièrement avec les têtes de réseau et les entrepreneurs sur le terrain afin d'adapter notre réponse. Un élément, cependant, ne variera pas dans notre réponse : la hausse des prix de l'énergie ne doit pas être vue comme un problème conjoncturel, un mauvais moment à passer. C'est, au contraire, un moment à dépasser, car nous ne pouvons plus, à l'heure du changement climatique, prétendre continuer avec la consommation actuelle. Nous faisons face, en un sens, à un ajustement rapide d'un prix que nous avons eu tendance à considérer, tous ensemble et tous gouvernements confondus, comme un acquis. Depuis de trop nombreuses années, des décennies même, le prix très bas de l'énergie nous a fait oublier que le gaz et l'électricité avaient un coût, lié à des choix géopolitiques et écologiques. Ce sont des ressources rares, y compris pour la France, bien qu'elle soit mieux protégée que ses voisins grâce à sa production d'électricité nucléaire.
La Première ministre a lancé une initiative multisectorielle en faveur de la sobriété énergétique, et je travaille déjà, à l'échelle de mon ministère, avec les acteurs du commerce, de l'hôtellerie, des cafés et de la restauration, mais aussi du tourisme pour les engager davantage dans des baisses concrètes de leur consommation d'énergie. Nous présenterons très bientôt les résultats de ces travaux, qui ont duré tout l'été, avec l'ensemble des branches et des filières. Ils nous permettront d'anticiper d'éventuelles difficultés d'approvisionnement en gaz et en électricité. Je l'ai dit à ces acteurs, la sobriété ne sera pas une mode passagère, qui s'effacerait avec le retour des hirondelles au printemps. C'est, au contraire, le début de la transformation profonde de nos modèles vers la neutralité carbone.
L'adaptation de nos entreprises au changement climatique est au cœur de ma feuille de route. Si la sobriété énergétique est une urgence pour passer l'hiver, la transition climatique est une urgence pour passer les prochaines décennies. La question n'est plus celle du chemin à prendre mais de la rapidité avec laquelle nous le parcourons. La sobriété doit être le prélude d'un changement structurel dans nos TPE et nos PME en faveur de la transition environnementale. La hausse des prix de l'énergie nous contraint à accélérer les plans de sobriété et d'efficacité énergétique.
Je peux entendre, et ce discours revient chez de très nombreux chefs d'entreprise, que la transition écologique concerne d'abord les grands groupes et les grandes industries, qui émettent plus de gaz à effet de serre que des boulangers ou des restaurants. Si ce constat est vrai, il n'en est pas moins très limité, d'abord parce que la transition écologique impose une transformation de tous nos modèles, et pas seulement d'une partie d'entre eux. Pour reprendre un axiome bien connu, on ne peut pas faire la révolution écologique dans un seul pays ou dans un seul secteur. C'est également vrai parce que les mentalités progressent plus vite que les entreprises – et je ne parle pas des politiques… Les consommateurs sont de plus en plus attentifs à leur impact : ce qu'ils demandent aux grands groupes, ils le demanderont aussi, dans quelque temps, à leur épicier, à leur boulanger ou à leur restaurateur. Enfin, la réglementation progresse, parfois à l'insu de nos PME. Les exigences climatiques ont été renforcées pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes, notamment par le biais de la directive dite CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive –, qui a été adoptée le 24 février dernier, à l'unanimité, par le Conseil compétitivité.
Les exigences iront croissant dans les années qui viennent. Les entreprises de plus de 250 salariés devront publier des données de performances extra financières et établir un bilan environnemental, social et de gouvernance. Les exigences ont aussi été renforcées pour les investisseurs dans le cadre du règlement dit SFDR – Sustainable Finance Disclosure Regulation –, et les investisseurs eux-mêmes discrimineront de plus en plus entre les entreprises qui font des efforts et celles qui n'en font pas. La directive CSRD est déjà en action, notamment dans le cadre des politiques d'achats, en particulier durables, des ETI de type industriel, qui demandent de plus en plus aux PME de donner à voir leur bilan carbone et leur bilan social. Dans les années à venir, des PME pourraient être évincées de certains marchés si elles ne sont pas en mesure de montrer au moins un diagnostic environnemental.
La durabilité me semble ainsi un enjeu de compétitivité et d'attractivité pour nos PME, comme on le voit avec la pénurie de main-d'œuvre qui s'accentue. Je ne souhaite pas une économie à deux vitesses, qui verrait des grands groupes, des ETI et des industries se situer à la pointe de l'innovation et de la transition environnementale, tandis que des PME ou des TPE resteraient derrière, parce qu'elles auraient plus de mal à appréhender ces questions et à se transformer. Il est extrêmement important d'enclencher vraiment dès cet hiver, par le biais de la sobriété, la transition environnementale dans les TPME.
Comment l'État peut-elle les aider à y parvenir ? J'ai une conviction étayée par les trois mois de travaux qui viennent de se dérouler : il ne s'agit pas de faire naître de nouvelles aides, mais de faire vraiment connaître celles qui existent. Combien de fois, lors de mes déplacements, et je sais qu'il en est de même pour vous, ai-je entendu qu'on ne savait pas que telle aide existait et qu'on y avait droit ? Le non-recours aux prestations sociales est une vraie question en France, mais c'est aussi le cas pour le non-recours aux aides dans nos TPME. Nous lutterons contre ces deux problèmes. S'il a paru plus facile d'enclencher le prélèvement à la source que la solidarité à la source, même si cela fait aussi partie de notre projet, je rappelle que des aides, plus d'une trentaine à ce jour, existent et qu'elles fonctionnent, comme le diagnostic éco-flux, développé en matière d'audit par l'Agence de la transition écologique (Ademe), le prêt vert, en ce qui concerne l'investissement, ou les aides VTE – volontariat territorial en entreprise – vert, en matière d'emploi, qui sont mises en œuvre par la Banque publique d'investissement (BPIFrance) et qui fonctionnent plutôt bien.
Les montants des engagements, s'agissant en particulier des prêts verts, sont élevés. Si les résultats sont encourageants, la connaissance des dispositifs actuels par les TPE et les PME est loin d'être satisfaisante. Ma priorité est d'accélérer le diagnostic pour toutes les entreprises : c'est la première pierre, la base de la transition écologique. La plupart des dirigeants de PME voient qu'un changement s'impose ; la volonté est là, mais ils ne savent pas vraiment par quel bout commencer. C'est le rôle des artisans et des bureaux d'études de les orienter, et c'est le rôle de l'État de les accompagner, même s'il faut que les entreprises aient un reste à charge, seul moyen de s'assurer qu'elles joueront véritablement le jeu de l'audit. La question du diagnostic est au cœur de la planification écologique voulue par la Première ministre et que j'accompagnerai de mon mieux, en associant naturellement les opérateurs publics, à commencer par BPIFrance, l'Ademe et les chambres consulaires. Je souhaite aussi m'appuyer fortement sur les fédérations professionnelles, qui constituent un relais indispensable.
Le tourisme et le commerce seront les premiers concernés. C'est notamment un constat issu des assises du commerce, dont j'entends présenter très bientôt les conclusions. Entre évolutions des pratiques de consommation, équité territoriale et défi environnemental, le commerce concentre certains des enjeux les plus importants pour nos concitoyens. Concernant le tourisme, la problématique est assez similaire, et elle se trouve au cœur du plan « Destination France », pour lequel 1,9 milliard d'euros sont mobilisés. Nous voulons plus de tourisme, mais aussi faire mieux en la matière. Forte de son extraordinaire patrimoine culturel et naturel, la France peut s'enorgueillir de son offre touristique – c'est l'une des premières au monde –, mais elle doit également se renouveler pour faire face, en particulier, au défi climatique.
Je mets, vous l'aurez compris, la transition écologique au centre de ma feuille de route. Si cette transition est une urgence, je devine que vous en avez également d'autres en tête, qui sont bien légitimes et au sujet desquelles j'aurai plaisir à répondre à vos questions.