Monsieur le président, cher Guillaume, je dois avouer que c'est avec une certaine émotion que je me trouve dans cette salle. J'ai changé de chaise, mais je demeure très attaché à cette commission, aux visages que je reconnais et à ceux que je découvre, qui ont à cœur d'accompagner l'économie française dans son développement, qu'il s'agisse des secteurs qui vont bien ou de ceux qui souffrent. Il y a en France de l'industrie qui va très bien et de l'industrie qui souffre. Nous devons, vous et nous, accompagner les deux. Je retrouve aussi avec plaisir les administrateurs et les administratrices.
Je suis venu avec ma directrice de cabinet, Adrienne Brotons, et ma conseillère parlementaire, Agathe Bonnin, qui devrait beaucoup entendre parler de vous dans les mois et les années à venir. Deux de mes conseillers techniques sont assis derrière moi, et la plupart des autres membres de mon cabinet sont présents en tribune.
Je ne doute pas que vous nous poserez souvent, comme vous l'avez fait dans les semaines qui viennent de s'écouler, des questions précises, parfois écrites, auxquelles je souhaite que nous répondions de façon exhaustive. J'ai souhaité que les membres de mon cabinet assistent à cette audition, non pour voir en direct ce à quoi ressemble un parlementaire, car ils le savent, et ont peut-être même, pour certains d'entre eux, voté pour certains d'entre vous, mais pour qu'ils touchent du doigt vos préoccupations réelles s'agissant du secteur d'activité qui nous est cher à tous.
Je suis heureux d'être ici pour vous présenter ma feuille de route et vous parler d'industrie, laquelle est encore trop souvent réduite à son image dépassée : pénible pour les travailleurs – elle l'est de moins en moins – et néfaste pour l'environnement – au contraire, elle fait partie des solutions aux problèmes posés par la transition écologique. Ma conviction, au contraire, est que l'industrie porte en elle les réponses aux grands enjeux de notre temps, qu'il s'agisse des enjeux sociaux, des ceux de la transition écologique et aussi, sans doute, des enjeux politiques.
À titre personnel, je ne crois pas que la décroissance est un modèle. Je ne crois pas, bien au contraire, qu'il faut enterrer l'industrie pour faire la transition écologique. Je ne crois pas qu'on sauvera la planète par la paresse. Je crois à notre force productive, à notre génie industriel, au dynamisme de notre recherche, de nos entreprises et de nos territoires. Je crois au travail, aux compétences, aux savoir-faire. Je crois aux femmes et aux hommes.
Dressons, s'il vous plaît, un double constat objectif. La transition écologique est désormais un impératif absolu. Si quelques-uns n'y croyaient pas encore, l'été difficile qui vient de s'écouler les en a, je l'espère, convaincus. Nous devons — c'est le second constat — réindustrialiser tous nos territoires, pour faire tenir cette société ainsi que pour créer et répartir de la richesse entre tous les Français, dans tous les territoires.
Depuis vingt-cinq ans, la désindustrialisation de la France nous a marqués. Depuis cinq ans, nous avons commencé à inverser la tendance. Partout où l'industrie a reculé au cours des vingt-cinq dernières années, les extrêmes, et singulièrement l'extrême droite, ont progressé. Travaillons toutes et toutes pour que l'industrie progresse !
Le volontarisme industriel de la majorité, porté par le Président de la République depuis 2017, est notre réponse. Depuis 2017, nous avons commencé à recréer de l'emploi dans l'industrie et réinstallé des usines. En 2021, deux fois plus d'usines se sont installées que nous n'en avons fermé. La France est attractive ; elle attire du capital international, comme l'ont démontré les divers événements organisés dans le cadre de Choose France, singulièrement l'été dernier – 180 PDG présents, quatorze projets emblématiques, près de 7 milliards d'euros investis en France et des milliers d'emplois créés.
Ma feuille de route est simple. Elle tient en un mot : on accélère. Les tendances à l'œuvre depuis cinq ans doivent être accélérées. Nous devons changer de braquet. Nous le ferons.
Nous sommes dans une situation conjoncturelle singulière, caractérisée par un choc énergétique de grande ampleur, en raison duquel l'industrie française navigue à deux vitesses.
Certaines entreprises industrielles vont bien, et même très bien, car elles sont dans des secteurs d'activité porteurs. Elles ont eu l'occasion soit de couvrir les coûts de l'énergie, ce qui leur permet de limiter la hausse des coûts de leurs intrants, soit, pour certaines d'entre elles, de répercuter les hausses de coûts sur leurs prix, comme le reflète en partie l'inflation actuelle. Les industries du futur, les industries technologiques, certaines industries de l'électronique, l'industrie du vélo – nous avons lancé ce matin le Plan vélo – sont des industries qui vont bien, et dans lesquelles nous allons investir.
Par ailleurs, il faut reconnaître que certaines industries font face à un choc énergétique très fort. Nous devons les accompagner. Les dépenses d'énergie – du gaz pour l'essentiel et un peu d'électricité – de l'entreprise Duralex, dans laquelle je me suis rendu il y a quelques jours, sont passées de 2,5 millions d'euros l'an dernier à près de 13 millions cette année, soit une multiplication par près de six. Or on ne peut pas vendre des verres Duralex deux ou trois fois plus chers qu'il y a un an. Cette entreprise est dans une situation très difficile ; nous l'accompagnons.
Notre objectif est de préserver au maximum l'industrie de la crise énergétique, d'abord en préparant l'hiver. La meilleure façon d'éviter le pire – des délestages dans des industries énergo-intensives –, c'est de s'y préparer. Nous le faisons. Nos réservoirs de gaz naturel sont pleins et nous préparons des plans potentiels de rationnement et de délestage, l'objectif demeurant d'éviter le pire.
Par ailleurs, nous accompagnons l'industrie à trois niveaux.
Au niveau européen, nous agissons avec force pour convaincre nos partenaires qu'il faut à tout prix réduire nettement les prix de marché, notamment ceux prévus pour l'année 2023, tant ceux de l'électricité que du gaz. Plusieurs annonces ont été faites par la présidente de la Commission européenne il y a une dizaine de jours. Elles s'inspirent des idées françaises, avancées par le Président de la République, et commencent à porter fruit.
Par exemple, le prix du kilowattheure de gaz naturel, qui était d'environ 50 euros il y a un an, était de 350 euros il y a deux semaines. Il est d'environ 100 euros aujourd'hui. Même divisé par 3,5 en quinze jours, il demeure double de ce qu'il était il y a un an, ce qui illustre l'extrême volatilité des prix de l'énergie, ainsi que leur hausse majeure, avec laquelle nous devrons sans doute vivre longtemps. Notre intervention au niveau européen vise à abaisser les prix de l'énergie, en réduire la volatilité et donner de la visibilité aux industriels. Nonobstant, l'énergie sera sans doute durablement plus chère.
Au niveau national, nous menons une campagne de communication active visant à rassurer les marchés au sujet de la mise en œuvre d'un plan qui nous permettra de passer l'hiver avec de l'énergie pour tous et pour toutes.
Par ailleurs, nous procédons à la simplification du dispositif de résilience dit « Ukraine », adopté au printemps dernier. Trop complexe, il est sans doute illisible pour les entreprises, dont certaines n'étaient même pas au courant de son existence. Nous devons améliorer sa promotion et surtout la définition des paramètres d'éligibilité. Nous avons prorogé ce fonds jusqu'à la fin de l'année et nous en avons simplifié les critères.
Certes, il n'est doté que de 2 millions d'euros, alors même que les dépenses d'énergie d'une entreprise comme Duralex sont passées en un an de 2,5 à 13 millions. Il ne résout pas tous les problèmes, mais permet d'en résoudre certains. Nous continuerons à agir. Peut-être certaines questions porteront-elles sur cette démarche plus conjoncturelle, à laquelle nous nous attachons. Pour l'heure, j'aimerais en revenir à notre feuille de route.
Churchill, au sortir de la Seconde guerre mondiale, a dit : « Il ne faut jamais gâcher une bonne crise ». La crise en cours doit nous permettre d'accélérer la transition écologique, en développant notre capacité à consommer l'énergie moins et mieux dans les années à venir.
Ma philosophie générale est simple. Elle consiste à accompagner les industries d'hier et d'aujourd'hui dans une transition devenue indispensable, et à accélérer le développement des industries d'aujourd'hui et de demain, en tenant les deux bouts : les fonderies et les forges comme l'industrie 4.0 et l'industrie électronique. Il ne faut négliger ni l'une ni l'autre, et peut-être accompagner les hommes et les femmes de l'industrie traditionnelle vers celle du futur.
Ma feuille de route repose sur trois piliers : décarbonation, territoires, formation et qualification.
La décarbonation est un impératif. L'industrie compte pour un peu moins de 20 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France. Elle constitue 18 % du problème et quasiment 100 % des solutions. Il faut en être conscient. Outre sa propre décarbonation, l'industrie contribuera à celle des autres secteurs d'activité. Nous ne décarbonerons pas les transports si nous ne sommes pas capables de fournir des véhicules, des vélos et des batteries électriques, ni de recycler les véhicules en circulation.
L'industrie constitue quasiment 100 % des solutions, car la sobriété y contribue. Une bonne part de l'avenir réside aussi dans la baisse des consommations. Toutefois, n'oublions pas que l'industrie, trop souvent décriée, constitue une grande part de nos solutions.
Les vingt-cinq plus gros sites industriels représentent à eux seuls 40 % des émissions de CO2 de l'industrie. Nous devons mener des interventions ciblées, site par site. L'État a sa part à faire pour accompagner les entreprises concernées, dont certaines consomment encore du charbon. Elles doivent passer à l'électricité décarbonée, et demain ou après-demain à l'hydrogène.
Nous devons aussi décarboner les plus petits sites, grâce à des aides plus générales, et aider les autres secteurs d'activité à se décarboner, car tout ou presque, de l'industrie au logement en passant par les transports, relève de l'industrie. Plusieurs réponses sont d'ores et déjà prêtes. France 2030 fait partie des moyens consacrés à la transition écologique, au cœur de laquelle se situe l'industrie.
J'en viens au deuxième pilier de ma feuille de route : la formation, la requalification et l'accompagnement des hommes et des femmes. Le plein-emploi est notre objectif, fixé par le Président de la République. Il ne se décrète pas. Passer d'un taux de chômage d'environ 7,5 % à un taux de 5 %, considéré comme celui du plein-emploi, sera compliqué. D'importantes disparités régionales séparent des territoires très proches du plein-emploi d'autres dont le taux de chômage est bien supérieur à 10 %.
Pour résoudre le problème, il faut créer de l'emploi partout, pour tous et toutes. L'industrie peut y contribuer. Il faut aussi s'attaquer à d'autres maux, dont le traitement n'entre pas dans mon champ de compétences, notamment ceux qui affectent la formation professionnelle, le lycée, les transitions et les dispositions relatives à la formation des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Je travaille d'ores et déjà avec mes collègues chargés de l'enseignement professionnel, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est le combat d'une vie : former, qualifier et requalifier pour orienter de plus en plus de gens vers l'industrie.
Pour ce faire, j'aurai besoin de vous. Il faut donner envie d'industrie. Trop souvent, les jeunes auxquels on demande ce qu'ils pensent de l'industrie répondent qu'elle pollue, et que le travail y est pénible et mal payé. En réalité, elle dépollue ; le travail y est de moins en moins pénible, grâce notamment à la révolution technologique ; elle paie plus, de 250 euros par mois en moyenne, que les autres secteurs d'activité – 2 780 euros par mois contre environ 2 500.
Le troisième pilier de ma feuille de route, ce sont les territoires. C'est partout qu'il faut soutenir l'industrie traditionnelle, promouvoir les industries de demain et favoriser la relocalisation des implantations industrielles. Pour ce faire, il faut travailler d'arrache-pied sur tout ce qui crée de la complexité : le foncier, les marchés publics, les achats publics – ils doivent être davantage français, j'en ferai un de mes combats –, la fiscalité – nous diminuerons encore les impôts de production, j'y crois –, les délais d'installation.
Ainsi, nous installerons davantage d'entreprises industrielles et d'usines dans tous nos territoires. Ce faisant, nous viserons aussi un objectif que vous évoquerez sans doute dans le cadre de cette commission, car il fait partie de votre périmètre de compétences : améliorer la balance commerciale de la France, qui demeure déficitaire. L'industrie a un rôle très important à jouer en la matière.
Nous travaillerons très concrètement à l'identification du foncier disponible. La Banque des territoires cartographie les installations foncières existantes. Nous débattrons sans doute des enjeux de l'artificialisation des sols. Du foncier, il y en a en France. La SNCF, l'armée, l'État, les communes en ont. Nous devons aller le chercher et nous assurer qu'il est disponible pour y installer de l'industrie.
Nous poursuivrons la baisse des impôts de production. Nous prolongerons le dispositif Territoires d'industrie, que vous connaissez bien, Monsieur le président, pour faire partie des députés ayant participé à sa création. Ce programme a réussi à aligner tous les acteurs, dans les territoires, et à créer de l'envie d'industrie, des installations et de l'emploi. Il sera prorogé dans le cadre de France 2030, confié à Bruno Bonnell, qui a siégé dans cette commission. Cet outil exceptionnel, doté de 54 milliards d'euros, nous permettra de poursuivre cette transition.
J'achève mon propos en précisant la méthode que nous adopterons s'agissant de nos relations avec le Parlement et les parlementaires. J'ai moi-même été parlementaire. Je ne l'oublie pas et ne l'oublierai pas.
Je serai un ministre à votre écoute. J'ai souhaité qu'une bonne partie des membres de mon cabinet soient présents aujourd'hui pour qu'ils puissent vous entendre, vous voir et sentir quelles sont vos préoccupations. J'y tiens énormément.
J'ignore si nous serons appelés à examiner ensemble des dispositions législatives. Nous allons y réfléchir avec vous. Je demeure convaincu que nous pouvons faire mieux, même si une loi célèbre, dont vous avez été le rapporteur, Monsieur le président, la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi Asap », a déjà simplifié certaines procédures.
Nous pouvons faire encore mieux pour installer davantage d'usines en France. Nous y réfléchirons avec vous. Vos idées seront les bienvenues. Nous verrons s'il faut ou non opter pour un cadre législatif.
Quoi qu'il en soit, je serai à votre écoute. Je me rendrai dans vos circonscriptions. J'irai à la rencontre des femmes et des hommes de l'industrie. Je rencontrerai les actionnaires, les dirigeants, les organisations syndicales et surtout les élus locaux et nationaux.
Certes, je connais certains d'entre vous mieux que d'autres. Certains sont des alliés politiques, d'autres ne le sont pas. Certains sont des adversaires et le resteront. Mais quand on parle d'industrie, de territoires et de formation, je veux croire que nous avons tous le même maillot.
Nous ne serons pas d'accord sur tout, mais je serai toujours franc avec vous. Pour les entreprises en difficulté, nous ne ménagerons pas nos efforts, même si nous ne réussissons pas à tous les coups. Je vous tiendrai un discours de vérité. Pour les entreprises que nous ne réussirons pas à sauver, nous nous attacherons à une chose : accompagner les hommes et les femmes qui y sont et qui y sont attachés, ainsi qu'à leur territoire, vers de nouvelles formations, de nouveaux emplois et des industries de l'avenir.
Nous ne serons pas d'accord sur tout, mais j'espère que nous pourrons nous accorder sur un objectif commun, réindustrialiser la France, et une intention commune, rassembler la France autour de son industrie, pour donner un avenir à tous et à toutes, partout.