Cela laisse entendre que les deux pourraient coexister durablement. Pourquoi parler de transition si, finalement, les deux modèles doivent continuer d'exister ? Ces deux modèles utilisent les mêmes sols, la même eau, mais l'un continue de polluer, quand l'autre en subit les conséquences. Des cultures biologiques sont détruites par le prosulfocarbe, ce polluant chimique si volatile et dangereux ; c'est un dommage que vous refusez d'indemniser, ce que nous proposons avec ma collègue Lisa Belluco.
Ces deux modèles sont aidés, mais l'un capte les terres les plus arables et le plus d'aides publiques, quand l'autre peine à se développer. Tant que la politique agricole commune (PAC) restera inéquitable, puisque la moitié des subventions allouées revient à 20 % des bénéficiaires, les paysans français seront découragés de se lancer dans l'agriculture paysanne et biologique.
Pour les écologistes, l'enjeu est de réconcilier paysans et consommateurs en engageant avec sérieux, détermination et clarté la transition agricole vers un modèle vertueux. Au triptyque déshumanisé « robotique, génétique, numérique », nous opposons un projet, protéger et nourrir. Voilà notre vision : une agriculture qui nourrit les humains et qui protège la terre. Ce ne sera pas le retour à la bougie, mais un modèle qui s'inspire du meilleur de nos histoires paysannes et s'adapte aux réalités difficiles du dérèglement climatique. Un modèle qui donne envie, à l'heure où près de cinq millions d'hectares, soit un cinquième de la surface agricole actuelle, devraient changer de main d'ici à 2030. Un modèle qui donne espoir, à l'heure de l'effondrement de la biodiversité, de la pollution de nos sols, de l'air et de l'eau.
C'est un enjeu économique pour une plus juste rémunération des agriculteurs. C'est un enjeu de souveraineté alimentaire pour une France moins dépendante des importations et des fluctuations des marchés internationaux. C'est un enjeu de santé publique pour une alimentation plus saine et équilibrée, adaptée aux nouvelles attentes des consommateurs.
Nous saluons l'augmentation des crédits prévue dans le projet de loi de finances pour 2024. Toutefois, malgré l'effort affiché sur la planification écologique avec 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement, il ne prévoit qu'un peu plus de 150 millions en crédits de paiement pour soutenir un plan Haies, un plan Protéines végétales, des diagnostics carbone et un fonds sur la souveraineté alimentaire. Dans le même temps, vous n'affichez pas d'ambition pour l'agriculture bio ni pour les mesures agroécologiques, vous reculez l'échéance pour sortir des pesticides et vous ne préparez pas les paysans de demain. Nous n'y lisons donc pas cette grande ambition – je vous cite – « en faveur des filières agricoles et forestières pour permettre l'adaptation au changement climatique et atténuer ses effets, notamment par la décarbonation et de nouvelles pratiques ».
Pour une ambition à la hauteur de l'enjeu, il aurait fallu un soutien accru à l'agriculture bio, tant face à l'urgence que pour encourager les conversions et les maintenir ; un plan pour accompagner la diversification des cultures, synonyme d'une possible résilience des modèles économiques paysans ; des plans de sortie des pesticides et autres phytosanitaires accompagnés d'échéances claires et de moyens ; une vraie ambition pour la formation des paysans de demain. Voilà quelques orientations qui donneraient à voir une réelle intention de dépasser la gestion de crise et les régimes de calamité pour engager très fortement les transformations qui s'imposent.