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Intervention de Jérôme Nury

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Nury, rapporteur pour avis (énergie) :

Dans un contexte national, européen et mondial tendu, où l'énergie représente un enjeu majeur pour les populations et pour les entreprises, ce projet de budget mérite d'être examiné avec attention. Nous avons pu obtenir quelques précisions auprès du Gouvernement, mais les incertitudes sur son contenu exact et la technicité du sujet rendent la lecture des chiffres et de la stratégie difficile.

Deux des quatre programmes que nous examinons perdent une part importante de leur dotation par rapport à 2023. La baisse est ainsi de 163 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 676 millions d'euros en crédits de paiement pour le programme 174 Énergie, climat et après-mines de la mission Écologie, développement et mobilité durables, et avoisine les 15 milliards d'euros pour son programme 345 Service public de l'énergie.

Ces reculs reflètent en réalité la diminution des prix de l'énergie, ce qui est une bonne nouvelle pour les usagers et pour les finances publiques. Les budgets consacrés à la protection des consommateurs ne disparaissent pas, mais ont été fortement révisés à la baisse. Les autres actions de ces programmes devraient, en revanche, bénéficier d'une hausse. Ainsi, 247 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour MaPrimeRénov', 203 millions d'euros pour les aides à l'acquisition de véhicules propres, 306 millions d'euros pour le soutien à la transition énergétique dans les zones non interconnectées et 841 millions d'euros pour le soutien à l'injection de biométhane.

Malgré quelques avancées intéressantes, ce projet de loi de finances (PLF) et ses prévisions budgétaires s'accompagnent d'incertitudes et d'injustices.

Le chèque énergie, important pour les ménages fragiles, est reconduit sans aucune revalorisation. Le ministère de la transition énergétique m'a confirmé qu'aucun complément n'était envisagé, alors que le prix de l'énergie reste élevé et que les tarifs réglementés de vente de l'électricité ont augmenté de 26,5 % cette année.

En outre, aucun dispositif d'accompagnement n'est prévu pour les foyers se chauffant au fioul, qui sont nombreux dans nos territoires ruraux et directement frappés par la hausse du pétrole et des carburants. Avec un prix au litre d'au moins 1,40 euro ces derniers jours, il sera difficile de remplir la cuve. Dans nos campagnes, nos concitoyens n'ont pas forcément accès aux énergies à bouclier comme le gaz et il n'y aura aucune aide spécifique – telle que celle que nous avions obtenue l'an dernier – pour leur permettre de passer l'hiver.

L'augmentation des crédits alloués à la rénovation thermique des bâtiments est, par ailleurs, bien loin du 1,6 milliard d'euros annoncé par Mme la Première ministre. On compte 247 millions d'euros supplémentaires pour MaPrimeRénov' et 669 millions d'euros pour l'Agence nationale de l'habitat (Anah), soit un total de 916 millions d'euros.

Les modalités de prolongation de l'amortisseur électricité ne sont pas non plus très claires. Le ministère m'a indiqué qu'il était prévu de maintenir ce dispositif pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) non éligibles au tarif réglementé de vente et qui resteraient engagées dans des contrats d'approvisionnement aux tarifs exorbitants. Selon les calculs des experts, la mesure pourrait coûter 770 millions d'euros en 2024. Pour le moment, elle n'est toutefois pas intégrée au PLF et aucune mesure semblable n'est envisagée pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont pourtant stratégiques pour nos ambitions industrielles.

Enfin, le projet de budget n'évoque pas le financement des futures installations nucléaires. Même si les modalités qui seront retenues dépendront de l'issue de la réforme du marché européen de l'électricité, il s'agit d'une question cruciale pour la préservation de notre indépendance énergétique. Compte tenu des sommes en jeu et de son niveau d'endettement, il paraît difficilement envisageable qu'EDF assume seule ces investissements. Le Gouvernement nous a finalement rejoints sur l'importance stratégique de relancer notre parc nucléaire mais, plus d'un an et demi après le discours de Belfort du Président de la République, nous ne savons toujours pas comment il compte réaliser son programme.

Pour toutes ces raisons, je ne peux me satisfaire du projet de budget qui nous est présenté pour financer la politique énergétique de notre pays. J'émettrai donc un avis négatif.

J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon avis à l'impact, en 2024, des prix du gaz et de l'électricité sur le pouvoir d'achat des ménages français et la compétitivité de nos entreprises.

Nous sortons d'une crise de l'énergie d'une violence inédite. Les prix de gros du gaz ont atteint 275 euros le mégawattheure en août 2022, alors qu'ils variaient entre 10 et 40 euros depuis dix ans. Ceux de l'électricité ont oscillé entre 500 et 600 euros le mégawattheure pendant la majeure partie du second semestre 2022, alors que la fourchette était comprise entre 40 et 60 euros ces dernières années.

Les modérateurs ordinaires que sont les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) ou l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh) ont permis de contenir les augmentations pour les consommateurs français. Toutefois, face à une telle flambée des prix, ils n'ont pas été suffisants. En outre, nous avons tous constaté les répercussions désastreuses pour EDF d'un relèvement de l'enveloppe de l'Arenh en période de sous-production de ses installations : s'il a permis d'alléger les factures des ménages et entreprises françaises de 7,8 milliards d'euros en 2022, il a fortement pesé sur les comptes de l'énergéticien. Or celui-ci va devoir réaliser d'énormes investissements.

Il faut reconnaître que, face aux ravages engendrés par cette crise et à la fragilisation rapide de nos concitoyens et de nos entreprises, l'État a réagi massivement. Les efforts, au départ ciblés sur les ménages et les petites entreprises, ont ensuite été élargis aux autres entreprises à partir de l'été 2022. Je ne rappellerai pas l'ensemble des mesures prises entre octobre 2021 et janvier 2023, parmi lesquelles les boucliers tarifaires pour le gaz et l'électricité, l'amortisseur électricité ou la minoration de l'accise sur l'électricité. D'après les calculs communiqués par le ministère de la transition énergétique, les dépenses supportées par le seul programme 345 s'élèveraient à près de 34 milliards d'euros entre 2021 et 2023. Quant aux pertes de recettes découlant de la minoration de l'accise sur l'électricité, qui bénéficie à tous les consommateurs depuis février 2022, elles pourraient s'élever à 18 milliards d'euros pour 2022 et 2023.

Ces aides n'ont pas neutralisé les hausses de prix, mais ont permis de contenir les surcoûts. Les boucliers tarifaires par exemple ont allégé les factures des abonnés électriques d'environ 40 %, selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Sans eux, les hausses de 15 % en février et 10 % en août 2023 auraient respectivement atteint 99 % et près de 75 %.

Quand j'ai débuté mes travaux de rapporteur pour avis, il n'était pas question de prolonger ces dispositifs en 2024. Le ministre en charge de l'économie l'affirmait encore courant septembre. Mais si les prix libres du gaz sont inférieurs au plafond garanti par les tarifs réglementés de vente depuis mars et devraient le rester en 2024, ce qui rend inutile un bouclier tarifaire, la situation reste difficile pour les consommateurs d'électricité, malgré une amélioration. Les prévisions pour 2024 restent autour de 130 à 140 euros le mégawattheure, ce qui est certes mieux que les 250 euros du début de l'année, mais deux à trois fois supérieur aux niveaux d'avant la crise.

Certaines TPE, PME et ETI non éligibles au TRVe sont dans une situation critique. Contraintes de négocier ou renégocier leurs contrats d'approvisionnement lorsque les prix étaient au plus haut, elles ont accepté de s'engager pour deux ou trois ans afin de bénéficier de certains allègements. Elles se retrouvent donc piégées et devront supporter encore des tarifs exorbitants en 2024. Dans ce contexte, des mesures de soutien apparaissent donc toujours nécessaires, voire vitales, pour des entreprises ébranlées par la crise à la fois dans leur équilibre financier et dans leur compétitivité à l'égard de concurrents étrangers épargnés par cet emballement des prix.

Finalement, le PLF prévoit la poursuite de certaines mesures de protection, comme la minoration de l'accise sur l'électricité et le bouclier tarifaire pour l'électricité. Le ministère m'a également indiqué envisager le maintien de l'amortisseur électricité en 2024 pour les entreprises encore engagées dans des contrats très onéreux souscrits en 2022. Je le salue, même si je déplore que le nouveau dispositif d'amortisseur ne soit pas encore confirmé ni défini clairement et que rien ne semble envisagé pour accompagner les ETI qui seraient, elles aussi, liées par des contrats beaucoup trop chers.

Au-delà de ces préoccupations immédiates, il est indispensable de préparer la suite, en travaillant à renforcer les garde-fous durables, tels que le TRVe, et à faire évoluer l'Arenh. Pour le TRVe, je recommande de supprimer le seuil de 36 kilovoltampères (kVa) de puissance contractée permettant d'en bénéficier, comme le proposait notre collègue Philippe Brun dans sa proposition de loi visant à la nationalisation du groupe Électricité de France. Cette limite ne figure que dans la loi française. Quant à l'Arenh, en dépit de son indéniable efficacité pour protéger les consommateurs français des hausses de prix et de la variabilité des marchés, ses défauts sont devenus trop lourds à supporter pour EDF. Le dispositif arrivant à échéance en décembre 2025, nous devons trouver un nouveau système de régulation des prix de vente de l'électricité nucléaire historique, dont le parc de production est largement amorti. Plusieurs pistes sont à l'étude, parmi lesquelles les contrats à prix garantis par l'État, dit « contrats pour la différence », le plafonnement des prix de vente sur le marché de gros ou les contrats à long terme négociés dans un cadre bilatéral par les plus grandes entreprises. Les modalités de cette nouvelle régulation dépendront fortement de la réforme du marché européen de l'électricité qui est en cours de négociation, mais la question du juste niveau de prix garanti ou plafonné reste entière.

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