J'ai l'honneur de vous présenter pour la deuxième fois le rapport spécial consacré à la lutte contre l'évasion fiscale. Je remercie de nouveau le président Coquerel d'avoir proposé la création de ce rapport, qui constitue une nouveauté de cette législature.
Je remercie M. Liscia-Beaurenaut, administrateur, qui m'accompagne très efficacement, ainsi que mon collaborateur Cédric Morzelle.
L'évasion fiscale reste un fléau majeur, puisque 80 à 120 milliards échappent chaque année aux finances publiques. Qu'est ce qui a été fait depuis un an ? Le plan de lutte contre la fraude, annoncé par M. Attal au printemps dernier, a eu le mérite de replacer le sujet dans le débat public. C'est très bien, mais les réformes concrètes n'ont pas suivi.
Je ne nie pas que la dizaine de dispositions prévue dans le PLF pour 2024 va globalement dans le bon sens. Cependant, elles ne sont absolument pas à la hauteur de l'enjeu. Si l'on veut réellement combattre l'évasion fiscale, il faut aller beaucoup plus loin et frapper beaucoup plus fort. Pourquoi le Gouvernement fait-il preuve d'une telle timidité dans ce domaine ?
Des propositions existantes peuvent être directement reprises. Elles figurent bien entendu dans le rapport spécial de l'année dernière, qui s'inscrit lui-même dans la lignée d'autres rapports parlementaires. Avec plusieurs collègues ici présents, nous avons aussi présenté un plan de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale au nom de la NUPES – que nous avions transmis au ministre dans le cadre des dialogues de Bercy.
Le monde de la recherche a également fait sa part du travail. Une étude de l'Institut des politiques publiques publiée au printemps dernier a montré que notre système fiscal était régressif pour les plus riches. Le rapport de l'Observatoire européen de la fiscalité dévoilé avant-hier présente deux constats fondamentaux. Premièrement, l'évasion fiscale n'est pas une fatalité. Elle découle de choix politiques réversibles. Deuxièmement, les solutions existent et peuvent être mises en place de manière unilatérale dans un pays ou un groupe de pays, avant d'être généralisées.
Dans ces conditions, qu'attendons-nous pour agir ? La lutte contre l'évasion fiscale doit devenir une priorité nationale. C'est pourquoi je réaffirme avec force l'ensemble des recommandations que j'avais formulées l'année dernière.
Le caractère annuel du rapport spécial présente deux avantages.
Cela permet tout d'abord de suivre les recommandations et l'évolution des moyens accordés à la politique de lutte contre la fraude fiscale. À l'évidence, le compte n'y est pas. Les effectifs consacrés au contrôle fiscal continuent de baisser et la plupart des recommandations de l'an dernier sont restées lettre morte. Il faut des moyens humains et matériels à la hauteur de l'enjeu. Ce qui est vrai pour la DGFIP l'est également pour les douanes, qui participent très activement à la lutte contre l'évasion fiscale. Il faut en effet rappeler que la fraude aux taxes douanières sur les marchandises représente une perte de recettes qui dépasse les 25 milliards par an.
Le rapport spécial permet ensuite de s'attacher à un thème particulier. Cette année, je me suis intéressée aux aspects internationaux de l'évasion fiscale. Pour cela, j'ai auditionné des responsables de la DGDDI et les syndicats de cette dernière, le juge Renaud van Ruymbeke, l'ONG Transparency International ou encore des chercheurs internationalement reconnus comme Éric Vernier et Alain Deneault.
Il ressort de ces auditions que les paradis fiscaux jouent un rôle central dans la fraude au niveau mondial, ce qui doit nous amener à repenser notre vision de l'industrie de l'évasion fiscale. En réalité, celle-ci est indissociable de la grande délinquance financière. Les fraudeurs fiscaux utilisent les mêmes schémas et les mêmes intermédiaires que les corrupteurs et les blanchisseurs. Pire, l'argent des paradis fiscaux sert à financer des activités criminelles et des trafics en tous genres. Les paradis fiscaux ne permettent pas seulement au fraudeur individuel de cacher son héritage ou sa plus-value loin des yeux de l'administration.
Les coûts sociaux de l'évasion fiscale sont également trop souvent réduits à leur seule dimension budgétaire. L'évasion fiscale représente des milliards en moins dans les caisses de l'État, mais elle participe aussi à la généralisation du dumping fiscal, auquel notre pays participe. Il suffit pour s'en convaincre de regarder l'évolution du taux nominal impôt sur les sociétés (IS) au cours des trente dernières années.
L'évasion fiscale, c'est la dette publique qui explose, ce sont les services publics marchandisés et démantelés. Enfin, ce sont aussi tout simplement des impôts en plus pour les classes populaires et les PME captives, puisqu'il faut combler les trous dans la caisse provoqués par l'égoïsme des riches resquilleurs.
Le consentement à l'impôt, pilier de notre contrat social, ne résistera pas à une telle injustice. Cette situation n'a rien d'une fatalité. L'évasion fiscale actuelle est le résultat de choix politiques et on peut mettre un terme à ce fléau. Il est possible et même nécessaire d'agir au niveau d'un pays ou d'un groupe de pays, pour ensuite établir un rapport de force permettant d'aboutir à de nouvelles normes mondiales.
Mes chers collègues, 3 000 milliards s'évaporent chaque année du PIB mondial du fait de l'évasion fiscale. Notre pays s'honorerait à être pionnier dans le combat contre cette dernière. Le PLF qui nous est proposé n'est tout simplement pas à la hauteur de l'enjeu. Par-delà la poursuite des suppressions de postes, l'absence d'une volonté politique forte mine la crédibilité de notre pays en la matière.
C'est pourquoi je vous demande de ne pas adopter des crédits du programme 156 Gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local.
Je proposerai en outre beaucoup d'amendements destinés à améliorer la lutte contre l'évasion fiscale.