Je vous remercie tout d'abord d'avoir respecté ce moment de recueillement, preuve qu'il faudra poursuivre avec force ce combat encore long. Je sais le rôle crucial joué par votre délégation dans la lutte que nous menons en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.
C'est un plaisir de me retrouver face à vous en tant que ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes. J'aime à dire que ce ministère est un ministère de combat. Un combat que je mène depuis plus de trente ans comme magistrate ayant occupé tous les postes de juge pénal – qui a arpenté les couloirs des tribunaux, des prisons, des hôpitaux psychiatriques –, mais aussi comme présidente de cour d'assises, qui a eu à juger des viols et des féminicides et ayant croisé les regards de ces trop nombreuses victimes ou découvert leurs visages sur les photos que leurs familles procuraient à la cour parce qu'il était trop tard. C'est pour elles que je mène ce combat, comme je l'ai fait ces quatre dernières années au ministère de la justice, comme haute fonctionnaire chargée de coordonner les travaux du Grenelle des violences conjugales. Je suis fière de poursuivre ce combat avec vous, désormais comme ministre.
Il est essentiel que le Parlement et le Gouvernement travaillent sur ce sujet en confiance et en bonne intelligence. Un dialogue à la fois franc et constructif doit dicter toutes nos actions. Les divergences de vue ne seront jamais pour moi des obstacles, mais contribueront plutôt à alimenter nos réflexions et nos travaux. Cet esprit de co-construction est la seule manière d'avancer. Il faut dépasser les clivages partisans sur ce sujet qui nous concerne toutes et tous. Ce sera la clé de la réussite : nulle réussite possible si elle n'est collective.
Avant de répondre aux questions, permettez-moi de dresser un bilan de ce qu'ont accompli le Gouvernement et la majorité parlementaire depuis cinq ans et d'esquisser les premières grandes lignes de ma feuille de route. Cependant, je ne pourrai en préciser les détails, car celle-ci est en cours de validation par la Première ministre.
Le 25 novembre 2017, le Président de la République a érigé l'égalité entre les femmes et les hommes grande cause du quinquennat, une grande cause qu'il a décidé de renouveler pour son second mandat. Condition sine qua non vers le chemin de l'égalité réelle, la lutte contre les violences faites aux femmes en constitue le premier pilier. Nous ne pourrons parler d'égalité réelle entre les femmes et les hommes tant qu'au sein de notre société les victimes de violences sexuelles, les victimes de violences conjugales et les prostituées seront à plus de 80 % des femmes.
Conscients de la nécessité de renforcer la lutte contre les violences au sein du couple, le Président de la République et le Premier ministre ont lancé le 3 septembre 2019 le Grenelle des violences conjugales, qui fut un catalyseur des politiques publiques pour lutter contre ces violences. Ce dispositif, déployé jusqu'au mois de novembre 2019, a mobilisé onze groupes de travail ministériels – j'ai eu l'honneur de piloter celui du ministère de la justice – et a réuni 4 500 participants lors de 182 évènements.
Ayant été nommée ministre fin mai, j'ai eu à cœur de réunir dès le 11 juillet le comité de suivi des mesures du Grenelle des violences conjugales, en rassemblant l'ensemble des directions des différents ministères concernés pour vérifier l'état d'avancement des diverses mesures. J'envisage d'en faire au mois de septembre une restitution plus détaillée que celle que je vous présente aujourd'hui.
À ce jour, où en sommes-nous ? La totalité des mesures ont été engagées, et 47 ont été pleinement mises en œuvre sur 54. Parmi ces 54 mesures, 8 ont été ajoutées à l'été 2021 à la suite du féminicide de Mérignac, d'où leur mise en œuvre plus tardive. Toutes ces mesures s'appuient sur un effort budgétaire sans précédent, qui ne se réduit pas au ministère dont j'ai la responsabilité mais qui engage la totalité du Gouvernement – je rappelle que je suis ministre déléguée auprès de la Première ministre, ce qui illustre bien la transversalité de cette politique. Cet effort a atteint 1,3 milliard d'euros en 2021, tous ministères confondus.
Les différentes mesures suivent le parcours de la victime et constituent une chaîne de prise en charge, qui part de la libération et de l'accueil de la parole, et conduit à la protection puis à la sortie de ces violences, pour permettre enfin un retour à une vie normale. L'objectif est de ne pas rester une victime à vie, mais de redevenir une femme à part entière – ou un homme à part entière. Mais j'ose le rappeler : plus de 80 % des victimes sont des femmes.
La prise en compte de la parole des victimes constitue la première étape du processus de sortie des violences. Sur ce point, de nombreux leviers ont été activés ou renforcés, avec en premier lieu l'extension de la disponibilité du 3919. Ce numéro consacré à l'écoute et à l'orientation des victimes est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept depuis août 2021. Une disposition a été adoptée pour permettre aux soignants et aux médecins de déroger au secret médical en cas de danger immédiat ou de situation d'emprise empêchant la victime de révéler elle-même les faits. Une autre mesure a étendu la possibilité de recueillir des preuves sans dépôt de plainte.
Le deuxième temps est celui de la mise à l'abri des victimes de violences, avec 1 000 places d'hébergement d'urgence prévues en 2020, 1 000 supplémentaires en 2021 et 2 000 places supplémentaires créées en 2022. Le parc d'hébergement est doté à ce jour de 9 038 places, soit une augmentation de 80 % depuis 2017. Il s'agit d'une hausse sans précédent, qui s'accompagne d'une revalorisation de 30 % du coût des hébergements pour permettre un meilleur accompagnement et une meilleure individualisation.
Avec le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, je travaillerai à renforcer la répartition territoriale de ces places dans l'Hexagone et outre-mer. Je souhaite aussi mieux coordonner les différents acteurs qui œuvrent pour prendre en charge des femmes qui ont quitté leur domicile, afin qu'elles puissent reprendre une vie normale. Cela fait partie des pistes d'action que je pourrai vous détailler ultérieurement.
Les femmes victimes de violences doivent enfin être protégées dans le temps pour pouvoir se reconstruire. Je rappellerai la mise en œuvre des ordonnances de protection, ces mesures d'ordre civil qui peuvent être prononcées par un juge aux affaires familiales et permettent l'éloignement du conjoint violent, mais aussi l'organisation de la vie familiale – ce que ne permet pas le système pénal. En 2021, 3 554 ordonnances de protection ont été rendues, contre 1 388 en 2017, soit plus du double. On constate également une augmentation importante du taux d'acceptation de ces requêtes par les magistrats, qui est passé de 67,8 % en 2021 à 71,7 % au premier trimestre 2022.
Je parlerai aussi des téléphones grave danger (TGD) dont le nombre a explosé depuis 2017, avec 4 076 TGD actuellement déployés et 3 070 attribués. L'objectif est d'atteindre un déploiement de 5 000 de ces téléphones d'ici à la fin de l'année 2022. Pour mémoire, au début 2019 seulement 300 TGD étaient attribués. Nouveau dispositif inspiré du modèle espagnol, les bracelets anti-rapprochement ont été mis en place à l'issue du Grenelle des violences conjugales : 1 000 bracelets sont déployés dans l'ensemble des juridictions depuis décembre 2020, dont 752 actifs à ce jour. Le nombre de mesures prononcées est largement supérieur, mais 752 bracelets sont effectivement posés sur des auteurs de violences.
La nécessité de prendre en charge les auteurs des faits et de prévenir la violence a également émergé sur le plan politique et médiatique lors du Grenelle des violences conjugales, alors que ce sujet était jusque-là discuté seulement dans le milieu judiciaire. Elle fait l'objet d'une véritable prise de conscience sociétale. Pas de protection des victimes sans prévention de la récidive – ce qui suppose de prendre en charge cette violence. C'est dans ce but que 30 centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) ont été créés dans l'Hexagone et outre-mer depuis 2020, avec une montée en puissance en 2021 qui a permis l'accueil d'environ 6 000 personnes à ce jour.
Par ailleurs, conformément à l'engagement pris par le Président de la République au cours de la campagne présidentielle, nous travaillerons avec le garde des sceaux au développement de tribunaux spécialisés dans le traitement des violences intrafamiliales. C'est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Ayant travaillé pendant trente ans au sein des juridictions, je sais combien cette mesure constituerait une réelle valeur ajoutée. Mais cette mesure ne verra pas le jour en un claquement de doigts. Il faudra vraiment travailler ensemble pour mettre en œuvre le meilleur des systèmes.
Toujours pour mieux protéger les victimes, je veillerai, avec le ministre de l'intérieur, à la concrétisation des annonces qu'avait formulées Emmanuel Macron à Nice le 10 janvier dernier, à savoir : doubler la présence policière dans les transports en commun aux horaires où les agressions envers les femmes sont le plus constatées ; renforcer le nombre d'intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries, en en recrutant 200 supplémentaires pour atteindre les 600 – ils sont actuellement 416 ; et tripler l'amende pour harcèlement de rue. Ces engagements trouveront leur traduction dans le projet de loi de programmation de sécurité intérieure.
En parallèle, avec le ministre de la santé et de la prévention, nous travaillerons au développement, sur l'ensemble du territoire national, de structures spécifiquement consacrées à l'accueil et à l'accompagnement holistique des victimes de violences. Cette prise en charge globale est en effet très importante. Si de telles structures ont d'ores et déjà vu le jour ces dernières années et ont fait leurs preuves, nous devons absolument amplifier leur maillage territorial et en accroître la visibilité.
L'égalité entre les femmes et les hommes ne se réduit pas à la lutte contre les violences faites aux femmes. L'actualité tant internationale que nationale nous le rappelle à intervalles réguliers : les droits des femmes sont fragiles. Ils ne sont jamais définitivement acquis. Ce qui s'est passé récemment aux États-Unis est un avertissement : des droits que nous pensions immuables peuvent être remis en cause.
C'est pourquoi, avec la Première ministre, nous soutenons pleinement la constitutionnalisation de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Sécuriser cette liberté fondamentale en la gravant dans le marbre de la Constitution est un enjeu qui doit nous rassembler. L'an dernier, la majorité parlementaire avait déjà étendu le délai légal de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines.
Dans ce sillon, la santé des femmes constitue aussi un enjeu essentiel. En 2021, le Gouvernement a ainsi débloqué des crédits inédits pour lutter contre la précarité menstruelle, qui touche près de deux millions de femmes dans notre pays. Le Président de la République a également lancé l'an passé une stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, une maladie frappant une femme sur dix.
Avec le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, nous assurerons aussi la mise en œuvre du bilan de fertilité préventif pour toutes les femmes et tous les hommes, conformément aux engagements pris par Emmanuel Macron. Enfin, nous instaurerons également une consultation pré-ménopause prise en charge intégralement par la sécurité sociale.
L'égalité professionnelle constitue également un enjeu majeur. Beaucoup a été accompli par le Gouvernement et la majorité parlementaire lors du précédent quinquennat. Je pense bien entendu à la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dont je veillerai très attentivement aux effets concrets. Je pense aussi à la création en 2018 de l'index de l'égalité professionnelle – un outil de transparence dont les entreprises se sont désormais bien emparées, même si des progrès restent à réaliser. Une évaluation parlementaire de cet index pourrait s'avérer très utile, pour vérifier la façon dont les entreprises l'appliquent et les améliorations à envisager. C'est une piste que je me permets de vous proposer car, si nous constatons que les indicateurs relatifs aux différences salariales sont bons, une marge de progression subsiste. Je pense enfin à l'allongement du congé de paternité de quatorze à vingt-huit jours, en vigueur depuis le 1er juillet 2021. C'est un bel enjeu d'équilibre entre vies personnelle et professionnelle, et la démarche doit être prolongée.
C'est pourquoi, avec les ministres des solidarités et du travail, nous œuvrerons pour renforcer les dispositifs concernant la garde d'enfant ainsi qu'en faveur des besoins spécifiques des familles monoparentales, majoritairement dirigées par des femmes.
En lien avec mes collègues du Gouvernement ainsi qu'avec vous, je veux également travailler sur la mixité des filières professionnelles. Il faut notamment élargir le cercle des femmes susceptibles d'accéder à des postes à responsabilités dans les domaines scientifiques ou de haute technologie.
Enfin, avec le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous avons parfaitement conscience que les inégalités femmes-hommes s'enracinent dès l'enfance. L'école doit être le creuset de l'égalité. Il s'agit pour moi d'un des chantiers prioritaires – c'est d'ailleurs l'un des premiers ministres que j'ai rencontrés. Nous avons beaucoup de travail concernant l'égalité filles-garçons et la lutte contre les stéréotypes. Le chantier est ouvert, et il sera très utile de vous y associer.
Le combat pour les droits des femmes nécessite que nous travaillions dans une logique transversale, sur tous les fronts, collectivement. Les droits des femmes ne sont ni sécables ni aliénables. Fragiles, ils doivent être constamment protégés. Ils ne doivent céder ni à la fatalité – qui serait synonyme de résignation –, ni aux dogmes contraires à la liberté – quels qu'ils soient. Et c'est ensemble que nous ferons avancer l'égalité entre les femmes et les hommes, en sororité, avec vous mesdames les députées, en fraternité, avec vous messieurs les députés – permettez-moi d'employer des mots, qui à défaut de valeur juridique ou politique, ont une portée symbolique. Vous pouvez compter sur moi.