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Intervention de Éric Girardin

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Girardin, rapporteur pour avis :

En 2023, l'agriculture française poursuit ses multiples transitions dans un contexte de crise géopolitique, économique et environnementale. La PAC (politique agricole commune) 2023-2027 est entrée en vigueur, l'assurance récolte a été réformée et le plan France 2030 continue de soutenir la compétitivité des filières, celles des fruits et légumes et de la forêt.

L'année 2024 sera une année marquante pour l'engagement de l'agriculture française dans la transition écologique et pour la protection et le renouvellement de nos forêts. L'augmentation historique de 17 % du budget alloué au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire – soit 1,3 milliard d'euros supplémentaires – témoigne de cet engagement.

La question du renouvellement des générations sera également au cœur de l'actualité en 2024. Ce sera un défi considérable pour notre modèle agricole au cours des dix prochaines années – cela l'est déjà.

L'année 2024 sera également celle d'un grand débat sur l'orientation de notre politique agricole. Les questions de formation, de recherche et d'innovation, mais aussi de conditions d'installation et de transmission seront au cœur des discussions.

Un budget permet de construire une trajectoire et une ambition politique. Celui de 2024, en très nette augmentation, sera à la hauteur de ces enjeux.

Pour 2024, cette mission connaît une augmentation sans précédent – supérieure à 30 % – de ses crédits par rapport à l'année dernière, alors que ces mêmes crédits avaient déjà fortement progressé en 2023. Le budget atteint ainsi 5,3 milliards d'euros, qui ne constituent d'ailleurs qu'une partie du soutien que les pouvoirs publics apportent au secteur agricole. S'y ajoutent, en effet, plus de 2 milliards d'euros pour l'enseignement et la recherche agricole ; 141 millions d'euros pour le compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (Casdar) ; un budget pluriannuel estimé à 2,9 milliards d'euros, grâce à France relance ; enfin, les financements européens et les dispositifs sociaux et fiscaux, qui étaient respectivement de 9,4 milliards et 8,7 milliards d'euros en 2023. L'effort global est donc massif et je crois que nous pouvons le reconnaître et nous en féliciter.

Le rapport qui vous a été transmis fournit une analyse détaillée des évolutions de chaque action des programmes de la mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales. J'insisterai seulement ici sur les points qui me paraissent les plus saillants.

Concernant le programme 149, Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, l'élément le plus significatif est la création d'une nouvelle action 29, Planification écologique, dotée de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 594 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Elle financera notamment un plan Haies, doté de 110 millions d'euros en AE, un plan Protéines, qui reprend le volet protéines végétales du plan France relance, pour 100 millions d'euros en AE, ou encore la réalisation de diagnostics carbone. Un fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions, de 200 millions d'euros en AE, est créé pour financer la structuration des filières amont et aval, pour les fruits et légumes notamment. Enfin, cette nouvelle action Planification écologique comporte un volet forestier : pour l'amont de la filière, 250 millions d'euros en autorisations d'engagement sont consacrés à un fonds de renouvellement forestier ; 200 millions d'euros sont prévus pour développer les usages du bois dans le secteur de la construction.

S'agissant du programme 206, Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation, son budget augmente de 57 %, pour atteindre 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement. Je signale, en particulier, l'augmentation de 409 % des dotations de l'action 03, Santé et alimentation, destinée notamment à renforcer les contrôles dans les établissements de remise directe, ainsi que la création de l'action 09, Planification écologique - Stratégie de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, qui est dotée de 250 millions d'euros en AE et de 150 millions d'euros en CP.

Ce budget ambitieux traduit notre volonté commune de soutenir l'agriculture et d'accompagner le monde agricole face aux transitions en cours. Je donne un avis favorable aux crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales.

J'en viens à la question de la transmission des exploitations agricoles, à laquelle j'ai consacré la partie thématique de mon avis budgétaire.

Je prolonge et élargis ainsi le rapport que j'ai rendu en avril 2022 à la demande du Premier ministre, M. Jean Castex ; il s'agissait d'identifier les freins à la transmission du foncier viticole dans les vignobles à haute valeur ajoutée afin de faciliter le renouvellement des générations et l'installation des jeunes. Certaines recommandations figureront, sans doute, dans la future loi d'orientation agricole.

La France comptait 1 million d'exploitations agricoles en 1988, mais seulement 389 000 en 2020 et probablement moins encore en 2023. Les installations ne compensent que les deux tiers des départs, alors que 45 % des agriculteurs devraient cesser leur activité d'ici à 2026. Nous sommes confrontés à un problème de nombre, qui menace la préservation même de notre modèle familial d'exploitations agricoles.

Les agriculteurs sont le cœur d'un écosystème singulier qui anime nos villages et façonne nos territoires. L'agriculture contribue à l'aménagement et à l'attractivité de ces territoires et constitue un levier de développement économique capital, en matière de consommation, d'investissement et de créations d'emplois. Sa place, en France et dans le monde, est de la plus haute importance. Selon les estimations, la production agricole française était de 81,6 milliards d'euros en 2021. La France demeure le principal producteur européen, avec près de 17 % de la production agricole totale. En 2022, l'excédent net du commerce extérieur, pour l'ensemble des produits agroalimentaires, était de l'ordre de 10,3 milliards d'euros.

L'agriculture française, qui produit une alimentation saine, durable et de qualité, a la réputation d'être l'une des meilleures, voire la meilleure, au monde. C'est une filière d'excellence, pilier de notre souveraineté alimentaire et de notre indépendance stratégique. Il convient de la préserver en protégeant, en amont, les facteurs de production que sont les femmes et les hommes d'abord, les actifs d'entreprise ensuite, le foncier enfin.

L'agriculture doit se renouveler et se rajeunir tout en affrontant de multiples mutations. Or, les auditions ont fait apparaître le foncier comme un frein à la transmission. En effet, on observe, depuis une vingtaine d'années, une forte augmentation des prix du foncier, territoire par territoire, malgré des disparités. Par ailleurs, une décorrélation très nette se dessine également entre les prix du foncier et la rentabilité des exploitations. Quant à la fiscalité sur les transmissions, elle est particulièrement dissuasive. Ainsi, nous avons le deuxième taux marginal le plus élevé d'Europe s'agissant des droits de mutation à titre gratuit et le quatrième plus élevé pour ce qui est des droits de mutation à titre onéreux.

En outre, les services de l'administration fiscale recourent au principe de la valeur de comparaison, qui intègre les acquisitions réalisées par des investisseurs extérieurs, dont les motivations sont parfois éloignées de la valeur de rendement. L'exploitant doit alors acquitter des droits de mutation très supérieurs à la moyenne pondérée observée, territoire par territoire. Cela l'oblige à vendre une partie de son patrimoine pour les acquitter, ce qui alimente la spéculation sur le foncier agricole.

Dès lors, la fiscalité est identifiée comme un élément significatif du coût de la transmission, un élément incitatif pour développer des outils de portage du foncier et comme un moyen de concrétiser les objectifs de renouvellement des générations et de conserver le foncier.

Il faut favoriser l'anticipation de la transmission : je soutiens la création d'un guichet unique pour l'installation et la transmission ainsi que la création d'un crédit d'impôt transmission, pour inciter les cédants à s'engager dans le processus. Il faut également harmoniser tout ou partie de notre fiscalité, notamment celle du bail rural à long terme avec celle du pacte Dutreil. J'ai d'ailleurs déposé en ce sens un amendement au projet de loi de finances (PLF) en cours. Il s'agirait d'un investissement fiscal pour l'avenir. Enfin, il faut faciliter le portage du foncier, en créant notamment un nouveau dispositif groupement foncier agricole ou viticole d'investissement. J'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi à ce sujet. Ce point fera sans doute partie du socle de la future loi d'orientation agricole.

Il y a urgence à agir si nous voulons pérenniser notre modèle agricole et ses exploitations familiales afin de préserver notre souveraineté alimentaire et notre indépendance stratégique.

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