Dans la droite ligne du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures, l'avis sur les crédits relatifs aux transports terrestres rappelle l'impérieuse nécessité de réinvestir dans le ferroviaire. Avec un réseau dont l'âge moyen dépasse vingt-huit ans – contre vingt-et-un ans en Allemagne –, la France est le mauvais élève de l'Europe. Le maintien du niveau actuel d'investissements conduirait à la perte d'un quart du trafic en 2042, malgré des surcoûts d'entretien d'environ 20 %.
Le Gouvernement avait annoncé un plan séduisant de 100 milliards d'euros supplémentaires pour le rail d'ici à 2040. Votre rapport nous apprend malheureusement qu'il ne bénéficiera d'aucun financement nouveau. Vous le dites vous-même, les modalités de financement de ces investissements restent méconnues et même absentes du PLF pour 2024 : la trajectoire budgétaire continuera de reposer exclusivement sur les fonds de SNCF Réseau, à savoir les recettes des péages ferroviaires, sans concours public supplémentaire dédié. Pire, les 300 premiers millions d'euros promis pour la modernisation et la régénération du réseau en 2024 viendront d'un abondement supplémentaire du fonds de concours du groupe SNCF : ce n'est donc pas l'État, mais des ressources internes à la SNCF qui financeront le plan du Gouvernement. Nous vous rejoignons lorsque vous affirmez courageusement qu'il faudra mobiliser des concours publics supplémentaires pour respecter la trajectoire d'investissement en faveur du réseau ferré annoncée par la Première ministre. Il est d'ailleurs déplorable que cette relance hésitante du ferroviaire entraîne un gel des crédits destinés aux infrastructures routières, alors que le plan Vélo bénéficiera d'une enveloppe de 2 milliards d'euros d'ici à la fin du quinquennat.
Alors que la plupart des recettes de l'Afit France proviennent de la route, à travers les taxes sur les carburants et sur les autoroutes, elles ne profitent que très peu à ce mode de transport qui est pourtant le plus utilisé par les Français. En divisant par deux les crédits prévus au titre des futurs CPER, en n'augmentant plus les dépenses ou en les limitant à un entretien de plus en plus catastrophique, le Gouvernement assume pleinement l'abandon du réseau national. Certes, nous voulons encourager le ferroviaire, mais celui-ci ne remplacera jamais la route, malgré les milliards investis. C'est par la route que continueront de se faire 80 % des déplacements des Français, et pour longtemps encore. Ne la sacrifions pas !
Le soutien aux modes de mobilité décarbonés serait sain s'il ne se faisait pas au détriment de moyens de déplacement tout aussi utiles, comme peut-être l'avion. Comme vous, madame Masson, nous considérons que le secteur aérien est injustement décrié au regard de son poids réel dans les émissions de CO2 et de ses atouts, tant pour notre économie que pour les usagers. Même The Shift Project, que pilote le grand pourfendeur de l'aérien Jean-Marc Jancovici, reconnaît que l'offre ferroviaire n'est pas toujours suffisante pour proposer un autre choix que l'avion vers certaines destinations. Interdire ou limiter l'aviation reviendrait à priver des territoires entiers de tout espoir de désenclavement et de développement économique.
Au-delà des incertitudes juridiques qui pèsent sur elle, la nouvelle taxe sur les infrastructures de transport de longue distance sera forcément répercutée sur les clients. Elle obérera la capacité du secteur à investir pour sa décarbonation. Pire : elle créera une distorsion de concurrence au détriment des acteurs français et au profit d'opérateurs low cost étrangers privilégiant les plateformes secondaires. En voulant punir l'aérien, on déplacera les émissions hors du pays au lieu de les éradiquer. Arrêtons de taxer le secteur aérien en suivant la seule logique du rendement ; privilégions une fiscalité plus incitative fondée sur le principe pollueur-payeur, qui récompenserait les compagnies qui renouvellent leur flotte et utilisent des carburants durables, sources d'innovation et de maintien de compétitivité pour ce secteur économique essentiel.
S'il continue d'alourdir la fiscalité pour tenter de relever le pari perdu d'avance de doubler la part modale du rail et des transports collectifs d'ici à 2030, le Gouvernement risque malheureusement de nous faire rater à la fois le train, la route et l'avion. Sur la route, dans les airs ou en mer, il manque des moyens de mobilité qui inciteraient vraiment à la décarbonation. Nous nous félicitons de l'inscription de crédits visant à préserver la compétitivité du pavillon français assailli par le dumping déloyal des compagnies étrangères, mais les carburants verts susceptibles de remplacer le fioul lourd sont-ils produits en quantité suffisante ? L'investissement dans la recherche de solutions industrielles est-il utile en l'absence de soutien public pour l'amorcer ? Dans les secteurs maritime et aérien, c'est l'existence de solutions technologiques approuvées, à des coûts abordables, ainsi que l'adoption d'une fiscalité incitative ne dégradant pas la compétitivité de nos filières qui conditionneront la réussite de la transition.