Nous voici de nouveau réunis pour débattre du budget de l'État. L'an dernier, nos discussions s'étaient soldées par un échec, du fait de la prévalence de logiques partisanes et de la volonté de contrôle absolu des débats de la minorité présidentielle. J'espère qu'il en sera autrement cette année, tant l'urgence est palpable. Mais je ne me fais pas d'illusions car les passages en force sont devenus courants dans le fonctionnement de notre assemblée.
Alors que l'année 2023 est en passe d'être la plus chaude jamais enregistrée à l'échelle planétaire, les transports représentent un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre. Nous devons faire mieux, nous pouvons faire mieux. Mais pour cela, il faut commencer par reconnaître nos erreurs et prendre des décisions fortes quant à l'avenir des transports.
Dans un premier temps, il est urgent de revenir sur la libéralisation de Fret SNCF, qui constitue un massacre social et une véritable faute en matière d'environnement et de souveraineté. Depuis l'ouverture à la concurrence, 2 millions de camions supplémentaires circulent chaque année sur nos routes, alors que 25 % des émissions liées aux transports sont directement imputables à ces véhicules. Le saccage d'une telle entreprise publique et le transfert des tronçons les plus rentables, comme Rungis-Perpignan, à ses concurrents privés témoignent d'une absence de vision de long terme.
Aucun système ferroviaire de transport de marchandises au monde n'est rentable car le rail est en concurrence directe avec la route sans qu'aucune externalité ne soit prise en compte. Les 40 000 morts par an imputables au mode routier, le manque de visibilité économique, la congestion et l'entretien du réseau routier sont pourtant bien des charges publiques.
Il est donc urgent de subventionner massivement le transport ferroviaire. Surtout, il faut faire fléchir Bruxelles à ce sujet. L'Allemagne subventionne bien sa branche de fret privé par le biais de son pôle public ferroviaire… Jamais il ne lui serait venu à l'idée de céder gratuitement son outil de production ! Cela lui réussit bien : la part modale du fret ferroviaire est de 18 % pour le transport de marchandises. Ce n'est donc vraiment pas le moment de couper les vivres à Fret SNCF.
De même, il faut en finir avec la politique du tout-routier. Pour nombre de nos concitoyens vivant dans des territoires ruraux enclavés, la voiture est certes le seul moyen de déplacement possible, mais ce n'est pas la construction d'autoroutes payantes et d'axes nouveaux à tout va qui améliorera leur mobilité. En effet, les prix de l'énergie augmentent : ceux du diesel et du sans-plomb ont subi depuis 2020 une hausse de 40 %, aux deux tiers imputable aux superprofits des distributeurs. Ainsi, 13,3 millions de Français sont en « précarité mobilité » ; au vu de l'inflation, combien seront-ils demain ? Verra-t-on de jolies routes désertes, construites selon un modèle économique qui ne tient pas, et des Français sans solution de mobilité ? C'est toute l'économie qui en pâtira.
Les transports en commun et le réseau ferroviaire ne sont pas à la hauteur de ce que l'on pourrait attendre de la France, le pays des chemins de fer. En témoigne le niveau d'acceptation des zones à faibles émissions (ZFE), qui suscitent un tollé dans l'ensemble du territoire. Seuls 14 % des Français y sont favorables – mais 67 % de nos concitoyens disposant d'un moyen de mobilité efficace autre que la voiture individuelle soutiennent cette mesure. Vous mettez encore une fois la charrue avant les bœufs : d'abord des ZFE et des amendes de 68 euros pour ceux qui n'ont pas de véhicule récent, ensuite – dans dix ans peut-être – des RER métropolitains. Il faut donc interrompre le déploiement des ZFE et donner la priorité, par des investissements majeurs, au développement des réseaux ferrés dans toutes les métropoles et, surtout, vers les zones périurbaines. Il faut également remettre en état les petites lignes ferroviaires abandonnées et garantir un service public de la mobilité pour tous les habitants des territoires ruraux et périurbains.
J'aimerais enfin dire quelques mots au sujet des 12 millions de Français en situation de handicap. L'accessibilité reste le maillon faible de toutes les politiques de mobilité, tous moyens de transport confondus. Moins de 10 % des gares sont accessibles, le mobilier urbain comme les trottoirs ne permettent pas de se déplacer convenablement, et les Serm ne visent pas l'efficacité d'accès mais uniquement une meilleure accessibilité – mieux que 10 %, donc… Quel progrès !
Pour des raisons tant sociales qu'environnementales et de souveraineté, il est donc urgent de mener une politique des transports ambitieuse. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une hausse de 12 % du budget alloué. Il nous faut penser réellement les mobilités de demain, pour toutes et pour tous.