Intervention de Alexandra Masson

Réunion du mardi 17 octobre 2023 à 21h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Masson, rapporteure pour avis (Transports aériens ; Contrôle et exploitation aériens) :

Le trafic aérien a connu ces dernières années la plus grosse crise de son histoire. La pandémie de covid-19 et les restrictions qui l'ont accompagnée ont durablement endommagé la situation économique de l'écosystème du secteur aérien, qui ne devrait retrouver son niveau d'avant-crise qu'en 2024.

Le projet de budget annexe Contrôle et exploitation aériens s'inscrit dans ce contexte. Les recettes pour 2024, qui dépendent largement du niveau de trafic, devraient progresser de 8 % par rapport à 2023, pour atteindre 2,4 milliards d'euros, hors emprunt.

La trajectoire de désendettement du budget annexe a été amorcée en 2023, et le niveau d'emprunt devrait continuer de se réduire. La dette restera toutefois élevée, puisqu'elle devrait atteindre 2,4 milliards d'euros à la fin de l'année 2024.

L'action de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) est marquée par trois priorités pour 2024 : le maintien de la trajectoire de désendettement amorcée en 2023 et qui doit se poursuivre jusqu'en 2027, voire au-delà ; une hausse des dépenses d'investissement afin de soutenir la modernisation de la navigation aérienne et de respecter les standards européens en matière d'environnement et de qualité du service rendu ; le financement du protocole social pour les années 2023 à 2027, afin d'accompagner la reprise du transport aérien dans les meilleures conditions de sécurité, de sûreté et d'environnement.

Les transports aériens sont abordés sous l'angle de la critique, voire de la culpabilisation des voyageurs. L'aviation ne représente qu'environ 2,5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Il est néanmoins nécessaire de réfléchir à la meilleure façon de réduire l'empreinte carbone de ce secteur et de l'aider à réaliser sa transition énergétique.

Il faut toutefois prendre aussi en compte le poids économique du secteur, les emplois qu'il représente et les liens qu'il tisse sur notre territoire. La France est une nation phare de l'aviation, dont l'excellence est reconnue dans le monde entier.

L'aviation civile, construction aéronautique incluse, contribue ainsi pour 4,3 % au PIB national. Avec une balance commerciale excédentaire de 22,8 milliards d'euros en 2022, l'aéronautique est toujours le premier contributeur positif à la balance commerciale française. Le groupe Airbus nous a indiqué qu'à la fin du mois d'août 2023, son carnet de commandes comprenait plus de 8 000 avions.

Cette filière représente plus de 320 000 emplois directs en France : son poids économique est majeur. Le groupe Air France-KLM est le premier employeur privé de la région Île-de-France. C'est un secteur qui recrute massivement, et demeurera un vivier d'emplois dans les années à venir.

Par ailleurs, l'avion est également un outil majeur pour relier les territoires à des prix abordables pour les usagers, alors que les prix des billets de train sont souvent excessifs. La desserte de certains territoires enclavés ou insulaires – les outre-mer, la Corse ou certaines destinations métropolitaines comme Aurillac, Carcassonne, Perpignan ou Pau – repose largement sur l'avion.

Le secteur des transports aériens représente donc un actif stratégique pour la souveraineté française : il faut le préserver et l'accompagner vers la transition énergétique. Les acteurs du secteur sont déjà très engagés dans le processus de décarbonation.

Beaucoup de compagnies aériennes investissent ainsi des sommes importantes dans le renouvellement de leurs flottes. Le groupe Air France-KLM nous a indiqué investir 1 milliard d'euros par an dans le renouvellement de sa flotte, et 500 millions d'euros par an dans celle de Transavia. L'investissement va aussi à la recherche et développement, dans le but de construire un avion totalement décarboné : Airbus a ainsi investi plus de 3 milliards d'euros en 2022 dans la recherche sur la décarbonation de ses aéronefs, et le montant sera encore supérieur en 2023.

Sur le plan des carburants d'aviation durables (SAF), les compagnies aériennes sont aussi très engagées. Air France va au-delà du mandat d'incorporation obligatoire de SAF de 6 % fixé par le règlement européen, et intégrera dès 2030 10 % de SAF dans les réservoirs de ses avions. Cela représente un surcoût conséquent, estimé à 1,4 milliard d'euros.

Les trajectoires de vol sont de plus en plus souvent optimisées pour réduire les émissions. La DGAC modernise en ce sens ses systèmes de navigation aérienne. La décarbonation des opérations au sol est aussi un levier important : le groupe Aéroports de la Côte d'Azur nous a par exemple expliqué avoir électrifié toutes ses opérations au sol.

Il paraît donc indispensable de développer une vraie filière française de SAF, inexistante aujourd'hui : les compagnies aériennes vont se fournir à l'étranger. L'investissement actuel dans le développement de la filière est largement insuffisant, y compris en prenant en compte l'enveloppe de 200 millions d'euros récemment annoncée. Le levier des SAF étant le plus prometteur à court terme pour décarboner l'aviation, il est nécessaire de réduire le coût de ces carburants, aujourd'hui trois à cinq fois supérieur à celui du kérosène, et de simplifier les procédures administratives pour mettre en place les infrastructures nécessaires au ravitaillement en SAF dans les aéroports. Enfin, les carburants durables étant convoités par de nombreux secteurs économiques, nous devons nous assurer que l'aviation se verra garantir une quantité suffisante pour réaliser sa transition énergétique.

Le renouvellement des flottes aériennes est également une piste à encourager, qui doit être soutenue financièrement par l'État. D'une génération à l'autre d'appareils, les gains en carburant et donc en émission de CO2 peuvent être de 15 % à 25 %, et jusqu'à 30 % pour la prochaine génération. Or, seulement 25 % de la flotte mondiale actuellement en service est de dernière génération : le renouvellement des flottes coûte très cher.

Enfin, il me semble indispensable de ne pas pénaliser le secteur avec davantage de taxes ou d'obligations et d'harmoniser la législation en vigueur à l'échelle internationale. Les taxes qui pèsent directement ou indirectement sur les compagnies aériennes diminuent leur trésorerie, rendant difficile l'achat de nouveaux appareils plus propres. Toute nouvelle taxe ou tout surcoût pour les acteurs du transport aérien revient en réalité à réduire leur capacité d'investissement dans la décarbonation.

De plus, le transport aérien est, par définition, une industrie mondiale, et le prix est déterminant dans le choix des clients. Les taxes étant le plus souvent répercutées sur le prix des billets d'avion, elles nuisent à la compétitivité du secteur aérien français, en introduisant une distorsion de concurrence vis-à-vis des acteurs étrangers.

Ainsi, l'obligation d'incorporer un certain pourcentage de SAF dans les réservoirs des avions ne s'applique qu'aux vols au départ ou à l'arrivée de l'Union européenne. Cela induit un surcoût sur les billets d'avion concernés, ce qui conduira inévitablement les passagers à choisir des vols passant par des aéroports situés en dehors de l'Union européenne, comme Istanbul ou Dubaï.

Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit l'instauration d'une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance. Les acteurs du secteur sont unanimes pour estimer que ce coût supplémentaire sera répercuté sur les tarifs proposés par les aéroports aux compagnies aériennes, et donc sur le prix des billets. Les compagnies privilégieront l'ouverture de lignes desservant des aéroports étrangers, qui proposent des tarifs moins élevés, au détriment des aéroports français. Ainsi, l'aéroport de Milan-Linate pourrait être privilégié par rapport à celui de Nice-Côte d'Azur, première destination française après les aéroports de Paris. Cette situation est dommageable tant sur le plan économique qu'environnemental, puisqu'elle ne permet pas de réduire les émissions de CO2 de l'aviation, mais pousse seulement à les déplacer. Il est donc nécessaire de s'assurer à tout le moins que tous les acteurs du secteur jouent selon les mêmes règles et de ne pas désavantager les entreprises françaises, ce qui pourrait leur faire perdre leur position de leader technologique et stratégique.

Il semble important de ne pas tenir un discours incohérent qui d'une part, pousserait les acteurs du transport aérien à se décarboner et d'autre part, les pénaliserait économiquement, à la fois en introduisant des distorsions de concurrence vis-à-vis de leurs concurrents étrangers et en réduisant leur capacité d'investissement.

Taxer le secteur aérien pourrait être contre-productif et pousser les voyageurs à se reporter vers des plateformes de correspondance situées à l'étranger, voire vers leur voiture, faute de billets de train abordables.

Il est plus que jamais nécessaire de travailler avec le secteur aérien et non pas contre lui.

Un dernier mot, car je viens tout juste d'apprendre une nouvelle choquante. Lorsque nous avons auditionné Air France, le 3 octobre, nous avons longuement évoqué la ligne Paris-Orly-Nice, l'une de celles qui ne sont pas concurrencées par le train – une heure dix de vol contre cinq heures trois quarts en train, quand il n'y a pas de retard, ce qui est de plus en plus rare. Or, la présidente d'Air France-KLM, Mme Anne-Marie Couderc, vient d'annoncer la fermeture de cette ligne, alors qu'il n'en a été question à aucun moment lors de l'audition. Je suis stupéfaite de ce manque de transparence.

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