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Intervention de Jean-Paul Bordes

Réunion du mardi 10 octobre 2023 à 14h15
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Jean-Paul Bordes, directeur général de l'association de coordination technique agricole (Acta) :

L'Acta est la tête de réseau des instituts techniques agricoles. Ces instituts sont au nombre de dix-neuf. Ils sont qualifiés par les pouvoirs publics et travaillent sur la recherche appliquée agricole dans différents domaines, comme la production végétale ou animale. Nous avons aussi deux instituts outre-mer, qui travaillent sur les questions agricoles dans un environnement tropical. L'Acta anime ce réseau et représente les instituts techniques. Elle anime aussi la concertation entre les instituts sur des sujets d'intérêt transversaux et collectifs. Il y en a beaucoup, que ce soit l'eau, le changement climatique, le carbone, etc. Elle travaille en partenariat étroit avec l'amont de la recherche – l'Inrae, le Cirad, l'Inserm – et avec l'aval, c'est-à-dire les chambres d'agriculture, les coopératives, les négoces, les groupes d'agriculteurs.

Notre mission principale est de produire des références techniques et économiques pour aider les agriculteurs à rester compétitifs dans leur activité, les aider à se transformer aussi. Nous travaillons de plus en plus avec des institutions internationales, surtout au niveau européen.

Nous avons aussi des contacts avec les agriculteurs, mais ce n'est pas notre cœur de cible, c'est plutôt celui des chambres d'agriculture, des conseillers, etc. Nous les touchons cependant à travers les moyens numériques : on compte environ douze millions de connexions sur nos sites Internet, ce qui montre que les agriculteurs viennent directement regarder les références que produisent les instituts techniques.

J'ai préparé une petite note que je vous laisserai, préparée en concertation avec notre présidente et d'autres instituts techniques, qui apporte des éléments de réponse à la question que vous posiez en introduction. Pour nous, les raisons de l'échec sont multifactorielles. J'ai recensé quelques points clés, certains de nature technique et économique, d'autres en lien avec la gouvernance et les politiques prônées.

Le premier point, qui est le plus important, est la carence d'alternatives opérationnelles. On sait faire des choses, on sait proposer des alternatives aux agriculteurs. Il faut savoir que les instituts végétaux consacrent à peu près 30 % de leurs moyens à la recherche de nouveaux systèmes de production, en lien avec la protection intégrée des cultures. C'est assez considérable. Mais on n'a pas assez d'alternatives techniques crédibles sur le plan économique. Les agriculteurs veulent des solutions qui soient efficaces, mais qui, aussi, tiennent la route sur le plan économique. Et l'on n'a pas toujours les leviers qui sont à la hauteur de leurs attentes.

Des initiatives intéressantes vont dans ce sens, mais elles ne sont sans doute pas assez soutenues. Je pense notamment au contrat de solution qui a été porté par la profession puis repris par une quarantaine de partenaires. Il propose des mesures concrètes, opérationnelles, testées et utilisables directement par les agriculteurs. Il y a à peu près 120 fiches. C'est quelque chose que l'on a nourri, avec d'autres organismes.

Il y a aussi le dispositif des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP), un peu de la même nature, qui propose également des mesures concrètes et opérationnelles, et qui est original parce qu'il met les pourvoyeurs de conseil dans l'obligation de diffuser un certain nombre de bonnes pratiques. Cependant, le dispositif est complexe et difficile à mettre en œuvre. Par exemple, avec la séparation de la vente et du conseil, des distributeurs n'ont plus le droit de faire du conseil, mais ils doivent quand même, dans le cadre des CEPP, donner des conseils sur la façon de réduire les produits phytosanitaires. La frontière est souvent floue et je sais que c'est un sujet de préoccupation pour eux.

Nous pensons que les indicateurs de suivi du plan ont été très centrés sur le résultat, au travers de l'indicateur du Nodu en particulier, pas assez centrés sur la capacité à innover. C'est peut-être un point sur lequel il faut réfléchir parce que, même si l'on constate que le Nodu stagne, on voit des innovations, même si elles ne passent pas directement dans la pratique. Je pense qu'avoir un indicateur qui s'intéresse à la capacité de porter des initiatives, des alternatives et des innovations auprès des agriculteurs, serait peut-être plus encourageant. En effet, la focalisation sur le Nodu, qui n'a pas trop évolué pendant dix ans, a fini par démoraliser tout le monde.

Parmi les causes de nature politique, il y a le choix initial de partir sur un objectif de réduction de l'utilisation des pesticides dès l'adoption de la directive européenne de 2009. Celle-ci a pour objectif premier de réduire les impacts sur la santé et l'environnement, et nous ne sommes que deux pays, avec le Luxembourg, à avoir fait le choix d'un objectif de réduction. Cela a créé un malaise chez nos agriculteurs qui ne comprenaient pas pourquoi, dans les pays voisins, l'on pouvait encore faire des choses que nous-mêmes nous interdisions.

Autre cause politique, le sujet de la planification. Quand on planifie une politique publique avec des objectifs, on fait le pari qu'on aura suffisamment de solutions en poche pour pouvoir accompagner le mouvement et donc atteindre ces objectifs. En l'espèce, les objectifs étaient vraisemblablement trop ambitieux par rapport à notre capacité à accompagner. On se retrouve dans une situation de report de l'objectif alors que le panier des solutions avance, mais pas tout à fait avec le même pas de temps. Il faut une dizaine d'années pour créer une nouvelle variété et pour tester une innovation dans le domaine du biocontrôle. Je pense qu'on a aussi un peu pêché de ce côté.

On aurait pu mieux structurer l'effort de recherche. En l'état, les financements sont un peu épars. J'y reviendrai si vous le souhaitez. On aurait gagné en lisibilité en faisant autrement.

Et pour terminer, la gouvernance multiple complexifie les choses. Quatre ministères sont impliqués, peut-être bientôt cinq. C'est aussi une comitologie complexe dans laquelle nous, les instituts techniques, avons du mal à exister. Par exemple, au comité scientifique d'orientation recherche et innovation (Csori) du plan Ecophyto, on n'a que deux collègues d'instituts présents, ce qui est quand même un peu dommage.

Enfin, nous avons peut-être manqué un rendez-vous au moment du bilan à mi-parcours. Je pense que nous aurions pu nous inspirer des premiers retours pour avoir une autre trajectoire et combiner la trajectoire de la réduction d'utilisation avec la trajectoire de réduction de l'impact.

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