Vous êtes nombreux à être revenus sur la part européenne de nos exportations et sur notre retard en la matière. Ne nous racontons pas d'histoires, l'Europe a grandement négligé ses budgets de défense pendant des années, avec des acquisitions assez linéaires. Il y a naturellement un avant et un après la guerre en Ukraine, qui a causé un énorme choc d'achat, sans parler de l'objectif de 2 % du produit intérieur brut (PIB) affiché par l'OTAN. Nombre de pays achètent sur étagère pour montrer très rapidement qu'il y a des choses à livrer.
Cela nous renvoie aux problématiques d'économie de guerre. Je ne vais pas commencer à accabler une entreprise française en particulier, mais on rate aussi parfois des marchés parce qu'on livre moins vite que les Américains. Quand, dans certains cas, on est plus cher, en particulier sur le maintien en condition opérationnelle (MCO), on a beau être les plus forts parce qu'on est français, on finit par ne pas avoir le marché. Ce n'est pas faute de le répéter depuis un an et demi : les questions de délai nous ont mis dans la panade avec des clients européens. Ainsi, la Pologne, dont on connaît le degré d'intimité avec les États-Unis, a même préféré se tourner vers la Corée du Sud parce que les Coréens livraient plus vite que les Américains.
De plus, le marché européen est concurrentiel et agressif, car on y trouve d'autres compétiteurs qu'européens. Israël, par exemple, n'investit pas tous les marchés dans le monde mais l'Europe est un terrain intéressant pour ce pays. Les États-Unis, quant à eux, ont des stratégies d'approche d'un certain nombre de partenaires de l'OTAN. Je ne les condamne pas mais j'en tire la conclusion que nous devons en faire autant. Nous sommes, par exemple, nation-cadre en Roumanie ; nous y avons déployé des troupes. Il serait ridicule de prétendre que ce pays a le devoir d'acheter des armes françaises en retour mais, au regard de notre partenariat opérationnel sur le terrain, il est de bon aloi que les entreprises françaises puissent donner le meilleur d'elles-mêmes dans la conquête des marchés. Nous sommes en train de rattraper notre retard.
Avant la guerre en Ukraine, il y avait un grand froid avec la Pologne ; depuis, qu'elle a commencé, nos exportations reprennent, avec notamment un marché de satellites qui a pu être signé entre le ministre de la défense polonais et Airbus Defence and Space, fin 2022.
J'ai rappelé également que nous n'avions pas de mission de défense dans certains pays européens, sous prétexte que ce n'était pas loin de Paris. Il faut assumer : nous n'avons pas toujours été bons, parce qu'il y avait aussi, chez les industriels comme au sein du ministère, un goût exotique des marchés lointains, qui a conduit à faire le deuil du marché européen. Il faut le reconquérir, et c'est ce que nous allons nous employer à faire.
Nous disposons, pour ce faire – et cela me permet de répondre aussi à M. Batut –, depuis la présidence française de l'Union européenne, d'outils importants : le programme européen d'investissement dans le domaine de la défense (EDIP), l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA) et l'action de soutien à la production de munitions (ASAP). Ces mécanismes, pour leur première grande utilisation, vont bénéficier à la France, puisqu'avec Chypre, la Hongrie, la Belgique et l'Estonie, nous faisons l'acquisition de 1 000 missiles Mistral.
Au moment de l'examen de la LPM, nous avons eu un beau débat sur la place de la France dans l'OTAN : voilà aussi un agenda de puissance qu'il nous faut reconquérir et sur lequel nous nous sommes trop laissés satelliser ces quinze ou vingt dernières années.
Monsieur Jacobelli, l'Allemagne n'est pas engagée dans un projet visant à concurrencer le MGCS : c'est une fake news. En réalité, la Commission européenne a lancé un appel à projets pour un montant de 30 millions d'euros, afin de produire des briques technologiques qui seront à la disposition de chaque État membre. On a pu lire dans la presse que c'était un projet concurrent du MGCS, mais vous savez bien que l'on n'a pas un char pour 30 millions… Les entreprises allemandes ont répondu à cet appel à projets et je crois que les entreprises françaises vont y répondre aussi.
Je suis fondamentalement patriote, mais force est de constater que le char Léopard a eu un succès à l'export que le char Leclerc n'a pas eu. On ne va pas faire le procès de l'ex-Giat Industries, ni de l'armée de terre ou de ceux qui ont dirigé notre pays depuis quarante ans, mais il se trouve que certains produits n'ont pas entièrement fonctionné à l'export : il faut l'assumer. Et nos coopérations ont peut-être vocation à corriger cela. Si nous avions tout fait bien, il y aurait des chars Leclerc aux quatre coins de l'Europe et nous pourrions en donner à l'Ukraine.
Monsieur Saintoul, vous m'avez interrogé sur les licences multipays : le rapport n'explique pas la méthodologie qui a été utilisée, mais les 25 milliards représentent le cumul des licences comportant au moins deux pays destinataires finaux pour traiter les problèmes de doublonnage.
Vous posez aussi la question du prélèvement dans les forces : je me suis engagé devant vous à ce que ce ne soit plus un principe. Cela dit, Florence Parly a eu raison de céder des Rafale à la Grèce et à la Croatie en les prélevant dans nos forces : c'était la condition pour avoir le marché. Le sujet, ce n'est pas le prélèvement mais la carence dans les forces. Parfois, le prélèvement a du bon, puisqu'il permet de sortir des biens qui ont déjà un peu servi et de les remplacer par du matériel neuf. Par ailleurs, on a changé d'échelle, puisqu'il faut désormais quinze mois, au lieu de trente, pour produire un Caesar.
Ce qu'il faut, c'est une économie de guerre et des prélèvements qui restent l'exception. Depuis que je suis ministre des armées, il n'y a pas eu de nouveau prélèvement dans les forces, si l'on excepte ceux en faveur de l'Ukraine, qui font l'objet d'une méthodologie à part.
Madame Thomin, le soutien aux exportations (Soutex) peut venir aussi bien des armées que de la DGA/DI. Il est vrai que plus on exporte – et plus on exporte des objets technologiquement complexes –, plus les besoins en formation augmentent. On l'a bien vu en Ukraine. Pour l'instant, l'idée est de mêler formation et entraînement. Pour prendre un exemple, la formation des marins grecs, après la livraison de frégates par Naval Group, pourra se faire dans le cadre d'opérations communes en Méditerranée. Cela crée une interopérabilité et une intimité stratégique entre les armées, qui est essentielle.
Monsieur Bayou, vous m'interrogez sur les livraisons d'armements à Kiev. J'y serai à la fin de la semaine, avec une vingtaine de chefs d'entreprise de la BITD française car les Ukrainiens organisent, pour la première fois, un salon destiné à mieux connecter les industries de défense à leur armée. C'est essentiel pour la conduite de la guerre mais aussi pour le retour à la paix : je souhaite qu'il ait lieu le plus vite possible mais, même dans la paix, il faudra bien que les Ukrainiens aient les moyens de reconstruire une armée dissuasive et défensive. La France avait peut-être perdu un peu de son influence en Ukraine ces quinze ou vingt dernières années par rapport aux Anglo-Saxons, pour des raisons diverses. À nous de faire nos preuves, sachant que nos armes, elles, ont fait leurs preuves. Le canon Caesar a désormais le label Combat Proven en Ukraine et Nexter a des perspectives d'exportations importantes.
Pour prolonger ma réponse à M. Saintoul, je souhaite que, même pour l'Ukraine, le prélèvement dans les forces armées devienne désormais l'exception. Nos industriels, puisqu'ils sont en économie de guerre, doivent avoir désormais comme client direct un État allié en guerre. Ils seront directement en contact avec le ministère de la défense ukrainien et ce sera aux alliés de l'Ukraine, dont la France, d'aider ces acquisitions. Cela va créer une relation solide dans la durée et introduire une dimension plus contractuelle dans les délais de livraison, le MCO, etc. Cette logique d'achat permettra aussi à l'Ukraine d'avoir la maîtrise de son soutien militaire, ce qui sera plus respectueux de sa souveraineté. Très honnêtement, ce ne sont pas des Mirage et des Rafale que les Ukrainiens demandent prioritairement à la France. Leurs demandes concernent surtout le terrestre, l'artillerie et la défense sol-air, qui va redevenir un sujet clé avec l'arrivée de l'hiver, puisqu'il s'agira de protéger des infrastructures civiles et énergétiques contre les attaques russes.
Monsieur Lecoq, les gaullistes et les communistes ont divorcé sur bien des sujets, notamment sur la question des droits de l'Homme dans les pays communistes…
Monsieur Panifous, les PME sont plus présentes que jamais dans la chaîne logistique du Rafale. La construction d'un Rafale mobilise une grappe de PME et TPE installées aux quatre coins du pays. La bonne nouvelle, c'est que, grâce à un important travail de la DGA, de plus en plus de PME sont directement connectées à un acheteur : l'État français, en premier lieu, mais aussi l'Ukraine, avec les drones Delair, par exemple. Nous allons continuer de travailler en ce sens avec l'Agence de l'innovation de défense (AID).