Quand une personne devient ministre, elle a, j'en suis sûr, bon espoir d'imprimer sa marque sur les chantiers en cours. Après votre nomination, le 20 juillet, messieurs Rousseau et Cazenave, intervenue en même temps que celle d'Aurore Bergé, le PLFSS vous fournissait à tous les trois une occasion d'inscrire vos priorités dans la loi. Hélas, trois fois hélas pour vous !, votre premier PLFSS a fait l'objet d'un rejet en commission des affaires sociales. C'est sans précédent et c'est ce qui restera.
Je vous le dis tout de suite, l'absence de majorité, la majorité ou la minorité relative, vous l'appellerez comme vous le voudrez, n'explique pas tout. Ce rejet signe aussi l'échec de votre méthode, mais également l'épuisement de votre vision de la sécurité sociale. Dans votre intervention liminaire, monsieur le ministre de la santé, vous vous êtes plu à évoquer les origines de la sécurité sociale : citer Ambroise Croizat et Pierre Laroque, c'est bien, rester fidèle à leurs exigences, c'est mieux. Rappelons le principe sur lequel elle repose : chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Répondre aux besoins des assurés sociaux, des patients, des ayants droit, voilà ce qui manque singulièrement dans votre PLFSS.
Ce rejet nous indique aussi – si nous pouvons avoir ici cette réflexion – que l'objet PLFSS n'est plus du tout adapté aux enjeux des décisions que nous devons prendre.
Attaché à la grandeur du débat parlementaire, je le dis avec une gravité désabusée et avec la tristesse du désœuvrement : une fois encore, une épée de Damoclès surplombe nos débats d'aujourd'hui, les rendant stériles, inutiles et vains, je veux parler du 49.3, qui apparaît désormais comme une fatalité. Avec lui, tout est joué d'avance. Dans quelques minutes ou dans quelques heures, la Première ministre montera à cette tribune et entamera la psalmodie qui commence à être familière aux Français : « Aussi, sur le fondement de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, j'engage la responsabilité de mon gouvernement… ».
Votre projet de loi pour le budget de la sécurité sociale a beau avoir été rejeté en commission des affaires sociales, vous n'en tirez aucune conséquence. Pire, vous prétendez chercher des sujets de consensus, mais vous ne faites jamais de concessions, exercice pour le moins étonnant, admettez-le. Vous manifestez ainsi votre refus d'une démocratie parlementaire vivante et consistante.
Je ne reviens pas sur les épisodes qui ont émaillé l'année 2023. On nous avait dit : vous allez voir ce que vous allez voir avec le Conseil national de la refondation (CNR) et ses volets consacrés à la santé et au « bien vieillir ». Mais comment cela s'est-il traduit concrètement dans ce PLFSS ?
Je ne reviens pas non plus sur l'« initiative politique d'ampleur » que le Président de la République avait souhaité lancer à la rentrée. Cela n'aura eu aucun effet dans la séquence budgétaire que nous traversons. À coups d'opérations de communication, vous plongez plutôt la France dans une initiative politique d'ampleur improvisée en continu.
Vous n'arrêtez pas de répéter que vous voulez trouver des compromis et des majorités de projet mais, dans les faits, vous faites exactement le contraire. L'année dernière, vous vous étiez, avec la minorité présidentielle de cette assemblée, astreints à organiser des groupes transpartisans au niveau de la commission des affaires sociales. Les débouchés avaient été limités, mais ce format avait eu au moins le mérite d'exister. Cette année, c'est fini. Vous ne faites même plus semblant.
Et que dire de la promesse de votre prédécesseur de travailler sur le PLFSS très en amont ? Vous l'avez réitérée, cher Aurélien Rousseau. Eh bien, nous verrons ce que cela signifie. N'aurons-nous que deux à trois semaines pour nous y consacrer ? Ferez-vous comme avec vos comptes de Ségur qui n'ont servi, en quelque sorte, qu'à nous présenter des arbitrages déjà rendus ? Ce n'est pas ainsi que vous allez créer des majorités de projet !
Même lorsque nous tentons de jouer le jeu de la coconstruction, vous rejetez en bloc nos propositions.
Cela me permet de revenir sur une petite entourloupe, monsieur le ministre Cazenave : vous indiquez que, sur la base du rapport d'information de Marc Ferracci et de moi-même relatif au contrôle de l'efficacité des exonérations de cotisations sociales, vous accepterez des amendements visant à geler les seuils de calcul pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic. Mais ce n'était pas la conclusion à laquelle nous étions arrivés ! Ce que nous écrivions, c'est qu'il convient de réfléchir aux exonérations de cotisations sociales et qu'entre 2,5 et 3,5 Smic, il est certain qu'elles n'ont aucun impact sur l'emploi et la compétitivité. C'est pourquoi nous proposions de les supprimer, purement et simplement. D'ailleurs, cette idée était tellement partagée que j'avais déposé un amendement en ce sens avec Sacha Houlié, président de la commission des lois et membre de la majorité. Pourtant, il n'a pas été retenu : le consensus coproduit par des parlementaires ne retient pas votre attention.
Je pourrais également citer le travail réalisé par notre collègue Guillaume Garot sur les déserts médicaux, dans le cadre du groupe transpartisan, ou évoquer la volonté affichée sur tous les bancs de muscler le travail effectué sur la loi de programmation sur le grand âge. Au contraire, chaque initiative est bridée, muselée et cadenassée.
Au bout du compte, nous savons que les amendements que nous avons réussi à faire adopter en commission se joueront à la roulette du 49.3 et que vous irez piocher, on ne sait comment, tel ou tel amendement. Je ne sais pas si vous retiendrez, par exemple, celui que j'ai contribué à faire adopter visant à sanctionner plus efficacement les professionnels de santé reconnus coupables de faits à caractère frauduleux, en les obligeant à rembourser systématiquement et en totalité les exonérations de cotisations sociales dont ils ont bénéficié.
Pourtant, je le reconnais avec beaucoup de franchise : ce projet comporte des avancées, que nous saluons – encore heureux, suis-je tenté de dire ! Le souci, c'est qu'elles s'arrêtent systématiquement au milieu du gué : la gratuité des préservatifs et des protections menstruelles pour les moins de 26 ans est évidemment une très bonne mesure. Mais, bigre, pourquoi s'arrêter à 26 ans ?
Je pense aussi au lancement de la campagne nationale de vaccination contre les papillomavirus humains (HPV) dès la classe de cinquième : un tiers des jeunes hommes de plus de 15 ans sont porteurs d'un papillomavirus et environ 20 % sont atteints d'un type de HPV susceptible d'engendrer un cancer. Il y a donc urgence et vous avez pris le dossier à sa juste mesure. Toutefois, pourquoi une minorité des collèges privés freinent-ils des quatre fers pour la déployer ? Je sais que cet angle mort vous préoccupe, monsieur le ministre Rousseau. Pourquoi ne pas envisager une campagne hors les murs de l'école, dans les clubs sportifs ou les maisons des jeunes et de la culture (MJC) par exemple ? J'espère que vous retiendrez cette proposition.
Nous saluons également l'amorce d'un début de commencement de la fusion des sections tarifaires soins et dépendance en Ehpad, mesure réclamée par tous les acteurs et qui figurait parmi les recommandations du rapport de Dominique Libault. Toutefois, en faisant le choix d'une adhésion volontaire de la part des conseils départementaux, vous faites courir le risque d'une réforme minimale et d'un financement des Ehpad à deux vitesses, ce qui complexifiera la vie des opérateurs, en particulier ceux qui agissent au niveau national.
Vous avancez également sur la fameuse réforme de la tarification à l'activité (T2A) des hôpitaux, pour ce qui concerne les activités de médecine, de chirurgie et d'obstétrique. Enfin ! Emmanuel Macron, lors de ses vœux aux personnels de santé dans le département de l'Essonne, avait reconnu s'être trompé lorsqu'il annonçait que la sortie de la tarification à l'activité se ferait de manière progressive ; il avait alors affirmé, de manière péremptoire, qu'on allait voir ce qu'on allait voir : dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, les choses changeraient radicalement ! Mais votre réforme est inaboutie : la part de la T2A n'y est plafonnée nulle part et ce PLFSS n'indique même pas de taux cible à atteindre pour financer l'hôpital autrement.
Contrairement à ce que vous nous raconterez, ce 49.3 n'était pas inévitable. Vous auriez pu voir, écouter et coconstruire. Mais, comme d'habitude, vous n'en avez rien fait. Vous nous dites clairement et, à travers nous, aux soignants et aux patients : « Circulez, il n'y a rien à voir ! »
Parce qu'il ne répond pas aux urgences sociales et sanitaires qui frappent les Français – c'est son drame originel –, parce que la seule boussole qui vous guide est la rigueur budgétaire – à défaut de parler d'austérité –, ce PLFSS ne permet pas de construire une politique de santé ni une politique du grand âge consistante. Comme l'année dernière, vous avez écouté, mais vous n'avez pas entendu ; vous avez vu, mais vous n'avez pas regardé.
Lors du débat sur le PLFSS pour l'année 2023, nous vous avions en effet alertés, à l'instar des fédérations et de l'ensemble des acteurs du secteur, sur le fait que l'Ondam proposé n'était pas à la hauteur d'une inflation que nous savions déjà massive, et qu'il laisserait les professionnels de santé dans le flou toute l'année. D'ailleurs, au gré des rectifications, vous avez corrigé significativement l'Ondam hospitalier : de 100,7 milliards d'euros en loi de financement pour 2023, il est passé à 101,3 milliards en avril dernier, pour atteindre désormais 102,5 milliards. C'était précisément le sens des amendements que nous vous proposions lorsque nous vous demandions d'engager, dès le départ, l'argent nécessaire, afin d'offrir de la visibilité aux acteurs et de ne pas les placer dans des situations périlleuses. Vous êtes sur une trajectoire budgétaire en perdition et cela pose problème. Nous l'affirmons de nouveau avec solennité : avec un Ondam inférieur à l'inflation – parce que celle-ci ne sera pas celle que vous escomptez – vous continuerez à fragiliser considérablement les établissements et les services de santé.
Permettez-moi de citer de nouveau la FHF, qui est un lieu d'expertise – je vois que Frédéric Valletoux est présent : elle estime qu'il faudrait ajouter au moins 2,8 milliards d'euros pour faire face à la crise que nous traversons, qu'il manque 1,9 milliard d'euros pour l'Ondam hospitalier et 500 millions pour l'Ondam médico-social. Nous allons donc au-devant de grandes difficultés.
S'agissant du grand âge, vous avez annoncé en 2022 votre volonté de créer 50 000 postes dans les Ehpad – il s'agissait d'une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Où en sommes-nous ? Vous en avez budgété 3 000 en 2023 et 6 000 pour 2024. En deux ans, vous en aurez créé 9 000 sur les 50 000 annoncés. Et vous nous préparez d'ores et déjà en précisant qu'ils seront créés à l'horizon de 2030 et non plus de 2027. Cela représente à peine 1,2 équivalent temps plein (ETP) dans chacun des 7 000 Ehpad de France : cela ne changera donc ni l'attractivité des métiers, ni les conditions de travail de l'ensemble des salariés, ni les conditions d'accueil des personnes âgées.