Nul n'ignore le contexte global de cette audition : tensions hospitalières, difficultés d'accès aux soins pour nos concitoyens, hétérogénéité de cet accès selon les territoires de la République, auxquels s'ajoutera la mobilisation de la médecine libérale ce vendredi. Des éléments sont plus positifs : les campagnes de recrutement à l'hôpital, les plus satisfaisantes depuis dix ans, et la reprise de l'activité hospitalière. Le contexte est donc contrasté, mais reste tendu et difficile. L'audition va nous permettre d'évoquer une partie des sujets les plus importants pour notre protection sociale et pour la santé.
Je salue les membres des différents groupes qui ont bien voulu participer aux entretiens organisés dans les bâtiments des ministères sociaux. Ils ont été utiles et ces espaces de discussion sont précieux, même si ce n'est qu'entre les murs de l'Assemblée que la loi est adoptée et que les débats les plus politiques peuvent avoir lieu et avoir une portée. Au-delà de l'exercice budgétaire, l'examen des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) est en effet l'un de nos rendez-vous politiques les plus essentiels, même s'il n'est pas le plus lisible pour nos compatriotes. Il permet à la fois de mesurer le chemin parcouru, y compris à très court terme – la mise en œuvre de la LFSS 2023 –, mais aussi de présenter le cap que le Gouvernement propose au Parlement.
Les derniers exercices ont apporté des moyens inédits pour protéger notre pays, nos concitoyens et notre système de santé tout au long de la crise du covid, mais aussi pour procéder aux revalorisations indispensables des personnels soignants et préserver leur pouvoir d'achat des effets de l'inflation.
Celle-ci reste élevée et la trajectoire financière de la sécurité sociale est dégradée, les deux branches maladie et vieillesse étant particulièrement déficitaires. Le déficit de la branche maladie s'est certes résorbé en partie, passant de 21 milliards d'euros en 2022 à 9,5 milliards en 2023, mais nous mesurons le chemin qui reste à parcourir pour revenir à l'équilibre.
Ce dernier n'est pas une fin en soi, mais la soutenabilité est la condition de la pérennité du système assurantiel public, protecteur et universel qu'il nous incombe de protéger pour le transmettre aux générations à venir. C'est donc un cap incontournable. Toutefois, nous ne pouvons risquer d'amoindrir nos efforts de soutien aux publics que nous devons accompagner ou de repousser des mesures d'investissement absolument nécessaires à la consolidation et à la modernisation de notre système de santé.
Le PLFSS vise donc, d'une part, à poursuivre l'investissement dans le système de santé et sa transformation en donnant la priorité à l'accès aux soins et aux produits de santé, à la valorisation de l'engagement des soignants et au virage de la prévention, et, d'autre part, à renforcer la pertinence des dépenses et la responsabilité de tous les acteurs face à la croissance des dépenses de santé, grâce à des mesures d'économies et de recettes permettant également d'améliorer l'efficience du système. Je parle d'économies, mais le budget de la sécurité sociale augmente par rapport aux années précédentes : les économies que nous envisageons portent sur le tendanciel de dépenses.
Pour concrétiser ce double engagement, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) progressera de 3,2 %, hors dépenses liées à la crise sanitaire, soit une augmentation supérieure à l'inflation prévisionnelle, laquelle est de 2,5 % hors tabac. Outre qu'il faudra faire des efforts de maîtrise de la croissance de la dépense s'agissant du tendanciel, il y a un enjeu démocratique dans le fait de présenter au Parlement un budget qui pourra certes être révisé, mais pas dans les proportions observées pendant la période du covid ou pendant celle de l'inflation maximale : il ne s'agit pas de voter un objectif de dépenses qui ne serait pas conforme à notre ligne et auquel nous saurions pouvoir déroger.
Cette évolution globale s'applique à un niveau d'Ondam pour 2023 lui-même revu à la hausse de 2,8 milliards d'euros, pour intégrer les revalorisations salariales et la dynamique des soins de ville.
Le virage de la prévention est une formule que l'on entend depuis longtemps, mais j'entends conduire en la matière une véritable politique, adossée à une bataille culturelle qui doit concerner chacun dès le plus jeune âge. C'est d'elle que relève le financement de plusieurs mesures et campagnes de santé publique, dont la grande campagne de vaccination contre les infections liées au papillomavirus, prise en charge à 100 % dans tous les collèges pour les élèves de cinquième – les premières injections ont déjà débuté –, la gratuité des préservatifs pour les moins de 26 ans ou la prise en charge des protections menstruelles réutilisables pour les jeunes femmes et les plus précaires. Ces deux derniers dispositifs ont pu être considérés comme des gadgets, mais le recours massif dont ils font l'objet montre qu'ils n'ont rien d'accessoire.
La prévention est également un enjeu majeur dans d'autres chantiers : santé des femmes, santé mentale, lutte contre les addictions et le tabac – le programme national de lutte contre le tabac sera présenté prochainement.
Par ailleurs, l'investissement dans la prévention n'est pas seulement de moyen ou de long terme. On le verra dans le cadre du PLFSS, mais aussi avec la mobilisation de crédits de France 2030. Je pense notamment à la mise à disposition d'un traitement d'immunisation contre la bronchiolite, qui, au-delà de son intérêt pour la santé des plus jeunes, permettra de réaliser des économies sur les hospitalisations.
Dans la lignée des avancées en faveur d'un meilleur partage des compétences et d'un accès plus direct aux professionnels dans un système de santé au fonctionnement modernisé, notamment grâce à la proposition de loi de Stéphanie Rist, le PLFSS permet d'étendre les compétences des pharmaciens en matière de prescription d'antibiotiques après la réalisation d'un test rapide d'orientation diagnostique (Trod) pour les angines – 6 millions de consultations médicales par an – et les cystites – 3 millions. Cette mesure va dans le même sens que le travail déjà réalisé en matière d'élargissement des compétences vaccinales, notamment concernant les pharmaciens, pour améliorer l'accès aux soins grâce à ces professionnels de proximité, qui représentent bien souvent une porte d'entrée dans le système de santé. C'était toute la philosophie de la même proposition de loi.
Moderniser notre système de santé pour améliorer l'accès aux soins, c'est aussi s'appuyer sur les expérimentations et initiatives développées localement.
Ainsi, le PLFSS prévoit la création d'un forfait pluriacteurs permettant de financer des équipes de soins dans une logique de généralisation de certaines expérimentations issues du dispositif dit de l'article 51. En clair, de nombreuses maisons de santé pluriprofessionnelles sont prêtes à s'engager dans un dispositif de financement global et populationnel, ce qui est une bonne chose pour la santé publique. Cette mesure permet l'entrée dans le droit commun de dispositifs reposant sur une logique de parcours de coopération entre la ville, l'hôpital et le médico-social, et d'un financement innovant qui permet aussi la prise en charge de nouvelles prestations dans le cadre de forfaits, telles que l'activité physique adaptée.
Une mesure majeure du PLFSS est la réforme du financement des établissements de santé. Près de vingt ans après l'entrée en vigueur de la tarification à l'activité (T2A), ses effets positifs comme ses limites, largement documentés, ont conduit depuis 2017 à une stratégie de diversification des sources de financement. Nous proposons dans le PLFSS une réforme globale et de long terme mettant fin au caractère central de la T2A au profit d'une part structurante de la rémunération fondée sur des objectifs de santé publique négociés à l'échelle d'un territoire et permettant une rémunération effective des missions réalisées par chacun.
L'accès aux soins implique une attention toujours plus grande aux plus précaires et à la justice sociale. Le texte prévoit donc une meilleure articulation de la complémentaire santé solidaire (C2S) avec certains minima sociaux, dont l'allocation aux adultes handicapés, pour permettre à nos concitoyens les plus fragiles de bénéficier plus facilement d'une assurance maladie complémentaire.
L'accès aux médicaments et aux produits de santé préoccupe tous nos concitoyens. Le PLFSS permet de compléter les outils de gestion des tensions d'approvisionnement et des situations de pénurie que nous connaissons malheureusement depuis plusieurs années, en France comme dans la plupart des pays européens. Je songe notamment à la dispensation à l'unité ou encore à la limitation des prescriptions par téléconsultation en situation de tension et de pénurie. C'est d'ailleurs aussi une forme de prévention, en raison des conséquences sur l'antibiorésistance.
Enfin, le PLFSS prévoit des efforts d'amélioration de l'accès aux médicaments et actes de diagnostic innovants, sans que cela se fasse au détriment de l'accès aux produits plus matures, essentiels pour soigner les Français au quotidien.
Le second grand axe du texte consiste à garantir la soutenabilité de notre modèle social par la maîtrise des dépenses et la poursuite de l'investissement dans le système de santé.
Il faut maîtriser la hausse des dépenses de santé et assumer certaines mesures d'économie et d'efficience nouvelles pour permettre les investissements nécessaires au maintien de notre modèle social protecteur. Ces mesures d'économies sont de deux types : des efforts pour renforcer l'efficience et la pertinence des soins, d'une part ; d'autre part, des actions liées aux dynamiques les plus rapides observées, par exemple en matière d'arrêts de travail ou d'achats de médicaments, qui connaissent une progression de plus de 7 % cette année.
Les économies prévues par le texte par rapport au tendanciel de progression des dépenses sont de 3,5 milliards d'euros. Il s'agit d'assurer la soutenabilité du système, mais aussi de financer des instruments d'attractivité. Des mesures de transferts de dépenses et de responsabilisation des assurés sont également programmées, dont la plus grande participation des organismes complémentaires ou l'évolution des tarifs journaliers de soins hospitaliers. S'y ajoutent des économies classiques sur les produits de santé par la baisse du prix des médicaments et la maîtrise des volumes. Nous souhaitons également veiller à la pertinence des dépenses d'arrêts maladie, compte tenu de la très forte dynamique des dépenses d'indemnités journalières observée ces dernières années – 16 milliards d'euros en 2022 contre 11 milliards en 2010 –, qui n'est que partiellement liée à l'amélioration du marché de l'emploi. Il s'agit de responsabiliser chacun sans stigmatiser personne : sont concernés les professionnels comme les assurés ou les employeurs. Comme l'a rappelé la Première ministre, nous y travaillerons dans le cadre de la conférence sociale. Ce sera sans doute également un sujet important du dialogue conventionnel avec les médecins libéraux, que je souhaite, je l'ai dit, reprendre rapidement.
Ces mesures sont en lien avec l'effort massif en faveur de celles et ceux qui s'engagent dans les établissements de santé et médico-sociaux. Sans attendre l'échéance du PLFSS, nous avons déjà déployé de très importants moyens pour les agents, pour les soignants : les mesures dites Guerini pour soutenir les agents face à l'inflation et la hausse du point d'indice de 3,5 % ; la pérennisation et le renforcement des mesures d'attractivité en faveur du travail de nuit et des week-ends et de la permanence des soins ; le tout à partir du socle de rémunération déjà significativement rehaussé grâce au Ségur. Mentionnons également les revalorisations conventionnelles conclues avec plusieurs professions libérales de santé et matérialisées par des engagements importants, trop peu soulignés, pour l'exercice de nouvelles missions dans le cadre d'un exercice coordonné et au service des plus fragiles.