En ce qui concerne nos prévisions, monsieur le président, personne n'a la prétention de détenir la vérité révélée dans cette période de grande incertitude, et certainement pas moi. Je ne mésestime pas le risque que la situation en Ukraine et le contexte géopolitique se dégradent encore et que l'effet sur les prix de l'énergie en soit encore plus fort. Mais notre scénario central est une situation géopolitique stable et où le stockage à près de 100 % de nos réserves de gaz, la diversification des approvisionnements à laquelle nous travaillons depuis plusieurs mois, le début de la sobriété énergétique et la réduction de la consommation devraient améliorer les choses sur le front de l'énergie.
Dans les prévisions de la Banque de France, le scénario central est une croissance à 0,5 % et il existe un autre scénario, à 0,8 %, se rapprochant du nôtre. Quant au scénario très négatif, il correspond à des conditions géopolitiques très dégradées, qui ne sont pas totalement improbables mais dont nous ne faisons pas, je le répète, notre scénario central. Voilà pourquoi je maintiens notre chiffre de croissance positif pour 2023.
Même chose pour l'inflation. J'avais dit qu'elle durerait quelques mois : oui, elle dure quelques mois à un niveau élevé. Pour la Banque de France, le référentiel est l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) européen ; si on retraduit ses chiffres selon l'indice des prix à la consommation (IPC) de l'INSEE, qui fait référence pour le PLF pour 2023, on retombe bien sur les 4,2 % retenus par le Gouvernement.
En ce qui concerne le « quoi qu'il en coûte », j'assume nos divergences sur le fond. Nous ciblons de plus en plus les dispositifs. La remise sur le carburant, qui concernait tous nos compatriotes, se termine à la fin de 2022 : les 30 centimes d'euro de réduction à la pompe dont nous bénéficions tous dans les stations-service françaises ont vocation à disparaître. Nous nous réservons la possibilité, si jamais les prix du pétrole devaient flamber à nouveau, de recourir à des dispositifs – ils sont prêts – qui cibleront uniquement les personnes qui travaillent.
De même, les prix du gaz et de l'électricité avaient été respectivement gelés et plafonnés à une augmentation de 4 % ; cette fois, nous laissons passer une hausse, afin d'anticiper leur évolution. Car si l'inflation reflue progressivement en 2023, nous voulons éviter un effet de second tour qui ferait que la France serait rattrapée par la patrouille parce qu'elle n'aurait pas ajusté ses dispositifs. C'est très important, même si c'est compliqué à expliquer.
En revanche, oui, il faut plus d'investissement dans la transition écologique, et je suis tout à fait prêt à ce que l'on réfléchisse à des rénovations globales dans le cadre de MaPrimeRénov'. Mais c'est justement en réduisant la voilure des dispositifs de protection, pour cibler ceux qui en ont le plus besoin, que nous contribuerons à dégager des marges de manœuvre.
S'agissant des baisses de recettes, je veux être très précis à propos de nos choix, qui sont responsables. Nous avons décidé, en écoutant les avis du Haut Conseil, de procéder en deux fois pour mettre fin à la CVAE ; je l'ai moi-même proposé au Président de la République et à la Première ministre, pour tenir compte de la situation des finances publiques. C'est plus responsable. La suppression de la CVAE sera utile à l'industrie, bénéficiera à 75 % à des PME et soulagera tout le tissu productif français. En revanche, nous avons accepté de décaler d'un an les mesures relatives à la fiscalité des transmissions, car cet engagement présidentiel, qui sera tenu, n'est pas la priorité absolue en une période où nous voulons d'abord relancer l'activité économique et défendre notre tissu industriel.
Concernant enfin les niches fiscales, nous sommes d'accord, et je suis prêt à en reparler. Nous pouvons faire plus et mieux. Voilà près de six ans que nous essayons, et cela vaut le coup de continuer à tenter, car il existe des marges de manœuvre en la matière – même si je ne citerais pas en premier le CIR, bien que ce soit la plus grosse niche, car il est important pour l'innovation – pour faire des économies sans affecter notre croissance ni pénaliser les entreprises.
À propos de la taxation, nous ne voulons pas demander des impôts supplémentaires à des entreprises qui créent des emplois, redistribuent des salaires et paient des impôts à l'étranger – l'audition du dirigeant de Total était éclairante de ce point de vue. Nous voulons simplement prélever des rentes que nous trouvons indues afin de financer le bouclier énergétique.
Enfin, concernant les retraites, vous abordez un débat politique majeur. C'est un autre point d'accord que j'ai avec vous et avec Philippe Martinez – une fois n'est pas coutume : les personnes de plus de 55 ans, que je n'appellerai pas des seniors car je ne vois pas très bien ce qu'elles ont de senior, qui ont de l'expérience, des qualifications, un savoir-faire à transmettre, doivent pouvoir travailler plus longtemps. Or, quand on décale l'âge légal de départ, cela amène mécaniquement ces personnes à continuer de travailler. Le taux d'emploi des « seniors » est de plus de 70 % en Allemagne et dans d'autres pays européens, contre un peu moins de 54 % en France : il y a quelque chose qui cloche. Nous nous privons de compétences et de savoir-faire utiles au pays. C'est un débat de société qui mérite d'être ouvert.
Enfin, j'indiquerai simplement à M. Cazeneuve que la réforme des retraites, dont le corollaire serait l'augmentation du taux d'activité et des richesses supplémentaires, pourrait se traduire par un gain de 0,2 point de croissance.
Notre stratégie pour maîtriser les finances publiques repose sur la croissance, les réformes structurelles et la réduction des dépenses publiques. Enfin, 1,5 milliard d'euros de crédits seront reportés de 2022 à 2023 pour financer les dépenses des entreprises les plus exposées à la concurrence et dont les factures énergétiques sont les plus élevées.