Intervention de Éric Coquerel

Réunion du lundi 26 septembre 2022 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président :

Lors de la discussion sur le programme de stabilité, nous avions été quelques-uns à évoquer le caractère optimiste de certaines prévisions du Gouvernement ; Bruno Le Maire avait alors déclaré que nous étions dans le pic inflationniste et que celui-ci allait encore durer quelques semaines, voire quelques mois. Force est de constater, et le Gouvernement l'admet, que ses prévisions, de croissance comme d'inflation, étaient bel et bien optimistes.

Vous avez eu l'honnêteté de dire que la situation économique est très instable et incertaine. Mais votre prévision de croissance de 1 % pour 2023, au lieu de 1,4 % précédemment, est optimiste par rapport à celle de la Banque de France, qui varie entre 0,8 % et une croissance négative de 0,5 %, c'est-à-dire une récession. De même, votre prévision d'inflation pour 2023 est réévaluée à 4,2 % – au lieu de 3,2 % dans le programme de stabilité –, alors que, selon la Banque de France, elle sera de 4,7 % au minimum et pourra monter jusqu'à 6,9 %. Au total, et au regard de l'objectif des 5 % de déficit, vos prévisions sont tout aussi optimistes que celles de juillet dernier. Je ne dis pas cela pour le plaisir, mais au vu de la conjoncture internationale et de ses conséquences possibles.

Vous aviez annoncé une augmentation des dépenses publiques de 0,6 %, alors que la croissance tendancielle des dépenses publiques, c'est-à-dire le niveau de dépenses publiques correspondant aux besoins de la population compte tenu de son augmentation, est estimée par Bercy à 1,35 %. Nous avions alors dit que cela équivalait à une cure d'austérité inédite sous la Ve République. Vous parlez ce matin de 21,7 milliards d'euros de hausse ; j'aimerais d'ailleurs en connaître le détail, car, d'après le tableau retraçant les dépenses de l'État, j'aboutis à 14,5. Avec une inflation à 5,2 %, cela porterait la croissance de la dépense publique à 1 %, c'est-à-dire moins que la croissance tendancielle, mais plus que 0,6 %. En revanche, si on tient compte de la prévision d'inflation de la Banque de France, la hausse tombe à 0,5 %, ce qui complique encore plus la situation.

Si vous ne réduisez pas autant les dépenses publiques que vous l'annonciez cet été – mais c'est à confirmer –, vous continuez de revendiquer la maîtrise de ces dépenses. Or je ne suis pas d'accord – je l'ai dit à plusieurs reprises à Bruno Le Maire – pour considérer que le « quoi qu'il en coûte » est derrière nous. Tout dépend peut-être de la définition que l'on en donne : à mes yeux, il change de nature, pour nous permettre de faire face non plus au covid, mais aux détériorations dues au réchauffement climatique et que nous avons vues cet été – incendies, sécheresse, changements météorologiques – ou aux conséquences de la guerre en Ukraine. Autrement dit, votre budget ne tient pas assez compte des besoins de la population ni de l'intérêt général, du point de vue écologique et social. Parce que vous avez d'autres visées – la maîtrise des dépenses, la baisse des impôts –, vous laissez des urgences de côté.

Ainsi, vos mesures ne sont pas suffisantes pour maintenir, surtout au profit des plus défavorisés, un pouvoir d'achat qui, l'an prochain, diminuera de 1 % selon Rexecode et stagnera d'après la Banque de France. Pourtant, ce serait une façon de préserver la consommation populaire, qui est profitable pour l'économie. De même, en matière d'écologie, ce n'est pas avec MaPrimeRénov', qui permet une rénovation partielle, que l'on sera à la hauteur du nombre annuel de rénovations complètes requis par la nécessaire bifurcation. Lors des dialogues de Bercy, vous en avez convenu, Bruno Le Maire, face à Eva Sas.

S'il y a urgence, il faut des recettes supplémentaires. Or vous avez dit en substance qu'il n'y aurait pas de dépenses en plus sans recettes correspondantes, à l'euro près. Cela ouvre le débat sur les baisses de recettes prévues dans le PLF.

D'abord, la suppression de 4 milliards d'euros de CVAE. Vous voyez dans celle-ci un boulet pour les entreprises. En fait, la CVAE aggrave les inégalités affectant la fiscalité des entreprises, puisque, aux deux tiers, elle bénéficie aux 10 000 plus grosses entreprises françaises. Ainsi, une entreprise qui a 2 millions de chiffre d'affaires et 550 000 euros de valeur ajoutée ne paie que 825 euros de CVAE chaque année. Mais, pour les collectivités, elle est remplacée par des impôts plus injustes : la TVA, impôt non proportionnel, mais aussi les taxes foncières, à taux unique.

Ensuite, la suppression de la taxe d'habitation pour les 20 % de ménages les plus favorisés : était-elle urgente alors que nous avons besoin de recettes ?

En revanche, j'avais cru comprendre des dialogues de Bercy qu'il s'agissait de toucher à des niches fiscales dépourvues de rentabilité. Pourtant, au vu des quelques-unes qu'il tend à supprimer, le PLF n'est pas à la hauteur des enjeux. On aurait pu, par exemple, réviser le crédit d'impôt recherche (CIR).

Vous avez évoqué le débat qui s'engagera sur la taxation des superprofits ; je l'ai noté. Vous critiquez la rente, comme – je m'en réjouis – lors des dialogues de Bercy. Mais pourquoi n'appliquer ce raisonnement qu'aux énergéticiens ? D'autres entreprises constituent une rente, reversée en dividendes ; nous le soulignons, avec d'autres groupes, dans notre proposition de référendum d'initiative partagée. Voilà qui devrait nous fournir une piste de travail, d'autant qu'il sera difficile de s'attaquer à un seul secteur : cela pourrait être jugé anticonstitutionnel.

En ce qui concerne les retraites, nous verrons cette semaine ce qu'il en est. J'espère que le Gouvernement n'aura pas l'idée d'introduire la réforme des retraites dans un amendement au PLFSS ; je lui conseillerais d'y surseoir, que ce soit pour des questions de majorité à l'Assemblée ou en raison du risque de mouvement social. Mais c'est sous un autre angle que j'aborderai le sujet. Gabriel Attal a expliqué dans Le Journal du dimanche que la réforme était une manière de réduire les déficits et de pouvoir envisager des dépenses, par exemple au profit des enseignants. Je m'étonne que l'on puise pour cela dans le budget de la sécurité sociale, en l'occurrence celui des retraites, dans lequel les cotisations devraient permettre de s'assurer que les Français bénéficient d'une retraite. Il est de plus en plus fréquent que l'on fasse ainsi jouer aux comptes sociaux un autre rôle que le leur. Or, si on peut débattre de la manière de trouver l'argent permettant aux gens de partir à la retraite à un âge décent, je ne vois pas en quoi c'est aux retraites de compenser les déficits de l'État.

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