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Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du lundi 26 septembre 2022 à 15h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Je suis très heureux de vous retrouver, avec Gabriel Attal, pour vous présenter le premier budget de ce nouveau quinquennat et le sixième consécutif pour notre majorité et votre serviteur. Ce n'est pas un budget de rigueur, ni de facilité, mais un budget responsable et protecteur, dans des temps de grande incertitude, et un budget qui veut atteindre un juste équilibre entre la protection nécessaire de nos compatriotes et le rétablissement indispensable des finances publiques. Par ailleurs, c'est un budget qui tient la ligne économique qui a toujours été la nôtre depuis 2017 : le travail, sa juste rémunération, la croissance et l'investissement.

Ce budget, je l'ai dit, a été défini dans une période de très fortes incertitudes économiques. Je n'en citerai que quelques-unes : la poursuite de la guerre en Ukraine, dont l'issue est incertaine et qui a un impact majeur sur les prix de l'énergie, les difficultés économiques de beaucoup de partenaires, comme les États-Unis, la Chine, du fait de sa stratégie contre le covid, et l'Allemagne, mais je pense aussi aux mouvements politiques en Europe et à leur incidence éventuelle sur la zone euro.

Dans ce contexte, je tiens à rappeler la résistance de l'économie française. Il a été dit que l'objectif de 2,3 % de croissance en 2022 ne pourrait pas être atteint, mais notre perspective de croissance est actuellement de 2,7 % pour cette année. La consommation des ménages a rebondi et l'emploi tient, de même que les investissements. Pour toutes ces raisons, malgré les incertitudes que j'ai rappelées, nous maintenons une prévision de croissance positive, de 1 %, en 2023.

Notre priorité absolue, dont vous parlent nos compatriotes dans vos circonscriptions et dont ils me parlent aussi lors de mes déplacements, c'est l'inflation. Elle est une menace directe pour les ménages les plus fragiles, pour les classes moyennes, pour les retraités qui ne peuvent pas augmenter leurs revenus, et c'est un facteur de désorganisation des chaînes de valeur, qui peut obliger certaines entreprises industrielles à réduire leur production, tout simplement parce que leur facture d'énergie est trop élevée, voire à délocaliser. Nous avons eu l'occasion vendredi dernier, en Haute-Savoie, avec certains d'entre vous, de vérifier à quel point l'augmentation des prix de l'énergie a un impact significatif sur les PME et notre tissu industriel.

Notre priorité absolue est de faire reculer l'inflation, qui restera à un niveau élevé dans les mois qui viennent, de l'ordre de 6 %, avant de revenir autour de 4 % dans le courant de l'année 2023. Nous comptons nous y employer, d'abord, en maintenant un bouclier énergétique qui constitue la singularité de la politique économique française. Nous sommes le seul pays de la zone euro à avoir adopté dès l'automne 2021, sur la proposition du Président de la République, un bouclier énergétique qui a maintenu les prix de l'électricité et du gaz à des niveaux raisonnables. En conséquence, nous avons le taux d'inflation le plus faible de la zone euro : nous n'atteignons pas les 8 % à 12 % que connaissent certains États membres. Nous avons pris la décision de maintenir ce bouclier énergétique. Les prix du gaz et de l'électricité augmenteront, c'est vrai, mais de seulement 15 % au début de l'année 2023, alors qu'ils auraient dû augmenter de plus de 100 %.

Nous maintenons cette protection, à la fois juste pour les ménages et efficace pour notre économie. Le coût net est de 16 milliards d'euros, 11 milliards pour le gaz et 5 milliards pour l'électricité. Ce coût serait plus de trois fois plus élevé si nous n'avions pas déjà un mécanisme de redistribution des rentes des énergéticiens. Nous ne voulons pas de nouveaux impôts, mais nous refusons catégoriquement les rentes. Des énergéticiens qui touchent des revenus exceptionnels, non parce qu'ils ont investi mais uniquement parce que les prix flambent, doivent reverser de tels bénéfices à la collectivité, et ils le font déjà. C'est ce qui nous permet de financer le bouclier énergétique. Je ne veux laisser aucun doute : nous ne sommes pas pour le laisser-faire ou le laisser-aller, ni pour des impôts supplémentaires, mais nous sommes contre les rentes et nous récupérons leur produit, notamment en ce qui concerne les énergéticiens, pour financer le bouclier énergétique. Je me réjouis que la Commission européenne ait repris à son compte ce mécanisme. C'est la preuve de sa justice et de son efficacité.

Protéger nos compatriotes contre l'inflation, c'est également protéger tous ceux qui travaillent et tous ceux qui paient des impôts. Nous avons pris la décision d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur le niveau de l'inflation, hors tabac, c'est-à-dire 5,4 %. Nous aurions pu indexer le barème sur les salaires, mais nous avons fait un autre choix et nous le revendiquons : nous évitons ainsi à tous ceux qui sont soumis à l'impôt sur le revenu de payer davantage. C'est le sens de ce choix stratégique. Très concrètement, le revenu disponible après impôt restera le même pour tous les ménages, même si les salaires augmentent. Ceux qui travaillent en seront donc récompensés, au lieu de subir une privation à cause de l'inflation.

Nous voulons également protéger les entreprises, conformément à la stratégie que nous avons toujours suivie. Nous avons refusé que la crise du covid et la récession brutale qui a suivi emportent des pans entiers de l'économie française et conduisent à des dizaines de milliers de faillites. Nous ne voulons pas que ce qui n'est pas arrivé pendant cette crise se produise en raison de l'inflation. Il faut protéger notre tissu industriel contre les ravages de la flambée des prix de l'électricité et du gaz. Les plus petites entreprises, qui ont un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros et emploient moins de 10 salariés, sont protégées par les tarifs régulés de vente, dont la hausse sera limitée à 15 %. Pour toutes les autres entreprises, nous mettrons en place un guichet simplifié, pour des aides allant jusqu'à 2 millions d'euros, qui sera opérationnel le 3 octobre. Le précédent dispositif n'ayant pas fonctionné, nous l'avons corrigé et simplifié. Nous avons notamment retenu comme critère le fait d'avoir des bénéfices en baisse sur un mois, au lieu de trois précédemment, et nous avons aussi simplifié le critère portant sur le chiffre d'affaires.

Reste la question des entreprises exposées à la concurrence internationale et dont les factures d'énergie sont particulièrement élevées. Je reprends l'exemple des décolleteurs de la vallée de l'Arve, qui produisent notamment des pièces de moteurs automobiles : s'ils cherchent à faire passer des hausses de prix de 5, 10, 15 ou 20 % à cause de l'évolution du coût de l'électricité, les marchés chinois ou américains ne verront pas pourquoi ils devraient payer plus cher puisqu'ils ne connaissent pas d'augmentation du prix de l'énergie. Il faut protéger – c'est une priorité absolue – ces entreprises qui consomment beaucoup d'énergie et qui ne peuvent répercuter la hausse de son coût sur les prix, parce qu'elles sont exposées à la concurrence internationale. J'ai fait des propositions à la Commission européenne pour modifier le dispositif existant, car il est insuffisant et trop complexe.

J'ai ainsi demandé que le critère de la part de l'énergie dans le chiffre d'affaires, qui est actuellement de 3 %, soit revu à la baisse et que le calcul porte non pas sur l'année précédente mais sur l'année en cours. En effet, des entreprises pour lesquelles la part de l'énergie dans le chiffre d'affaires était de 1 % ou 2 % en 2021 ne seront pas concernées par le dispositif alors que cette part représentera 5 % ou 6 % en 2022. J'ai également demandé que le critère de baisse de l'EBITDA – le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement – sur trois mois soit supprimé. Cela n'a aucun sens, dans une entreprise industrielle, d'attendre que l'EBITDA soit négatif sur trois mois. Au bout d'un mois, en général, une entreprise industrielle est déjà en très grande difficulté. Enfin, j'ai demandé que le plafond des aides soit doublé, jusqu'à 100 millions d'euros, de façon à apporter les sommes nécessaires aux entreprises qui en ont le plus besoin et dont les factures d'énergie sont les plus importantes.

Nous connaîtrons les réponses de la Commission dans les prochains jours, mais je peux déjà vous dire que les modifications de ces règles relatives aux aides d'État, qui devaient intervenir le 1er janvier 2023, auront lieu en octobre de cette année, grâce à l'intervention de la France. C'est pourquoi nous avons recommandé à toutes les entreprises concernées, avec le Président de la République, de ne pas signer leurs contrats énergétiques pour l'année 2023, mais d'attendre que les nouvelles règles soient établies.

S'agissant des collectivités locales, je rappelle qu'un fonds de 430 millions d'euros a été mis en place grâce à la loi de finances rectificative pour 2022 (LFR 2022) et que 30 000 communes bénéficient du tarif réglementé et sont donc protégées par le bouclier tarifaire.

Dans ce budget, nous poursuivons aussi la transformation de notre économie pour atteindre les objectifs stratégiques que nous nous sommes fixés, avec le Président de la République et la Première ministre : le plein emploi en 2027 et le passage sous le seuil de 3 % du déficit public. Pour cela, notre stratégie reste la même : le soutien à la croissance, la réduction des dépenses et les réformes de structure.

Le soutien à la croissance se voit dans la baisse des impôts de production que nous poursuivons. C'est la traduction d'une politique de l'offre qui vise tout simplement à permettre à notre tissu économique, notamment industriel, de se développer. Nous sommes la seule majorité depuis vingt-cinq ans à avoir engagé une baisse des impôts de production. Je considère que c'est indispensable pour accélérer la reconquête industrielle de la nation française. On ne peut pas y arriver quand les industries sont lestées d'un tel boulet. Nous avons réduit ces impôts de 10 milliards d'euros et nous les réduirons encore de 8 milliards, en deux fois, d'abord en 2023 puis en 2024, pour tenir compte de la situation des finances publiques. Nous vous proposons, pour garantir que la parole est tenue, d'inscrire cette trajectoire sur deux ans dans le PLF pour 2023.

Afin de soutenir la croissance, nous nous appuierons aussi sur l'innovation, notamment dans le cadre de France 2030. Nous avons ainsi inscrit 6 milliards d'euros d'engagements dans le budget pour 2023. Nous veillons à ce que cet environnement plus favorable et le financement de l'innovation se traduisent bien, concrètement, par des décisions de relocalisation de productions industrielles, de sites industriels et de chaînes de valeur dans notre pays. C'est ce que nous avons fait avec GlobalFoundries pour les semi-conducteurs à Crolles, avec STMicroelectronics, et c'est aussi ce que nous voulons obtenir de l'industrie automobile et d'autres secteurs industriels.

Le deuxième volet de notre stratégie de rétablissement des finances publiques est la réduction des dépenses. Le « quoi qu'il en coûte » était la bonne réponse face à l'effondrement de notre économie. Cela nous a évité des dizaines de milliers de faillites et une explosion du chômage, et a été, au bout du compte, moins coûteux que les dépenses qui auraient été nécessaires pour réparer les dégâts d'une crise économique majeure. Mais le « quoi qu'il en coûte » serait une faute économique en période d'inflation. Nous y avons donc mis fin, et nous ne le rétablirons pas, je ne veux laisser aucune ambiguïté sur ce point. Rétablir le « quoi qu'il en coûte » reviendrait tout simplement à alimenter l'incendie inflationniste. Il faut, au contraire, mettre en place des aides ciblées sur les secteurs, les personnes, les industries, les entreprises qui en ont le plus besoin. Nous avons donc mis fin aux crédits de relance et aux dispositifs d'urgence. Même si certains demandent parfois de rétablir des dispositifs globaux de ce type, nous ne le ferons pas : ce serait une faute économique. Par ailleurs, et Gabriel Attal aura l'occasion d'y revenir, la progression des dépenses publiques restera inférieure au rythme de l'inflation, preuve de notre détermination à contenir l'augmentation de la dépense publique.

Enfin, je veux là aussi être très clair, nous ne pourrons pas rétablir nos finances publiques, baisser la dette et réduire les déficits si, en plus de la croissance et de la réduction des dépenses, nous n'engageons pas des transformations structurelles, qui sont au cœur de ce que notre majorité a promis au peuple français. Nous poursuivrons donc la réforme de l'assurance chômage, à un moment où près de 400 000 emplois ne sont pas pourvus, et nous engagerons une réforme des retraites. Nous ne le ferons pas pour le plaisir de réformer les retraites, mais d'abord parce que cette réforme a été promise par le Président de la République lors de sa campagne présidentielle et qu'elle fait donc partie du mandat confié, à lui et à cette majorité, par le peuple français.

J'ai toujours été convaincu qu'il valait mieux, en matière de politique, tenir ses promesses. Nous ne pouvons pas dire, six mois après les élections, que nous pourrions abandonner une promesse de campagne centrale, sur laquelle un débat a eu lieu. Malgré des controverses ou des critiques, parfois, ce débat a été tranché par le peuple souverain, qui s'est prononcé en faveur d'un candidat proposant une réforme des retraites, laquelle comportait une modification de l'âge légal de départ à la retraite et des critères de calcul. J'ai la conviction qu'il vaut mieux tenir parole.

Deux voies s'ouvrent à nous si nous voulons financer notre modèle de solidarité. Ce modèle, auquel nous sommes tous attachés, est généreux et efficace, mais il est coûteux et il faut bien le payer. Il y a deux manières de le faire : soit on augmente les impôts, ce qui n'a jamais été la voie choisie par la majorité, soit on s'appuie sur plus de recettes, plus de prospérité et plus de travail. C'est notre voie, et c'est ce qui nous amène à la réforme des retraites. Par ailleurs, je suis convaincu que l'on peut faire une réforme juste, responsable, dans des délais raisonnables, tout en arrivant à obtenir l'adhésion de nos compatriotes.

Enfin, ce budget reste fidèle à notre détermination à accélérer la transition écologique et énergétique. Je serai, comme toujours, honnête avec vous : nous pourrions certainement faire mieux, et il est évident que le budget est un peu déporté, dans un sens qui n'est pas celui que nous aurions souhaité, par les aides et les subventions destinées à nos compatriotes s'agissant du gaz et, en 2022, des carburants – c'était une nécessité face à la crise de l'inflation. Je voudrais souligner certaines décisions qui figurent dans ce budget et qui sont importantes pour accélérer le verdissement, même si je pense que nous devrons faire plus et mieux dans les mois qui viennent.

Le budget de MaPrimeRénov' passera de 2 milliards d'euros à 2,5 milliards en 2023, ce qui constitue une augmentation très significative. Comme l'ont montré les dialogues de Bercy, lancés par le ministre des comptes publics, nous devrons travailler ensemble à une amélioration de l'efficacité de ce dispositif en passant de rénovations par gestes individuels à des rénovations globales. C'est un des débats intéressants que nous pouvons avoir dans le cadre de ce PLF. Nous prévoyons aussi 1,3 milliard d'euros pour le verdissement du parc automobile, dont la transformation sera ainsi accélérée, et nous déploierons un fonds vert pour les collectivités territoriales, créé à la demande de la Première ministre et doté de 1,5 milliard d'euros. Enfin, nous amorçons un virage radical en matière de garanties à l'export. Pour la première fois de son histoire, la France n'accordera plus aucune garantie en matière d'export à aucune énergie fossile, depuis l'exploration jusqu'au raffinage et en passant par le transport.

S'agissant des finances publiques, je rappelle que nous voulons tenir l'objectif de 5 % de déficit public et ramener la dette à un peu plus de 111 % du PIB à la fin de l'année 2023. Tout cela demandera de la fermeté, de la constance, mais aussi de l'imagination. Je remercie Daniel Labaronne et les parlementaires qui ont travaillé avec lui sur des propositions pour réduire la dépense publique. Toutes les propositions qui nous permettront de respecter nos engagements nationaux et européens seront les bienvenues.

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