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Intervention de Maureen Jorand

Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Maureen Jorand, coordinatrice du Collectif Nourrir :

Le Collectif Nourrir réunit cinquante organisations de la société civile. Il s'est associé à la version française de l'atlas des pesticides qui montre que les pesticides emportent de nombreux enjeux environnementaux et sanitaires. Et – c'est peut-être moins visible dans le débat public – ils ont également une dimension géopolitique et économique.

Dans un premier temps, il paraît important de considérer les coûts sociétaux générés par l'usage des pesticides. Le secteur met en avant son poids socio-économique. Or l'estimation du coût sociétal des pesticides réalisée par le bureau d'études Le Basic aboutit à des bénéfices directs de 211 millions d'euros pour la France et environ 900 millions d'euros au niveau européen, pour des coûts sociétaux d'au minimum 1,9 milliard d'euros en Europe et 371 millions d'euros en France. Ces coûts sociétaux intègrent la dépollution, les coûts sanitaires liés aux maladies, les réductions de TVA. En revanche, les coûts indirects ne sont pas pris en compte.

Cette étude soulève le besoin que nous avons de conduire des recherches approfondies sur les coûts sociétaux générés par l'usage des pesticides, pour éclairer au mieux cette question et identifier le coût pour chaque citoyen de l'usage de ces pesticides.

J'en viens à la problématique de la souveraineté alimentaire. Sommes-nous réellement souverains face au secteur des pesticides ? La concentration du secteur s'est renforcée au fil des différentes fusions et acquisitions. Actuellement, quatre entreprises – Corteva, Bayer, BASF, Syngenta/ChemChina – détiennent près de trois quarts du marché. Hormis l'une d'elles, détenue par l'État chinois, elles appartiennent aux mêmes cinq fonds d'investissement américains. Ces fonds détiennent par ailleurs une partie importante du capital des leaders mondiaux de l'agroalimentaire. Ces acteurs mettent en avant des investissements de plus en plus importants dans les nouvelles technologies. Pour nous, cette approche ne fait qu'accentuer la dépendance des agriculteurs. Elle ne permet pas d'améliorer leur résilience, leur autonomie et leur capacité d'adaptation.

Par ailleurs, la profitabilité du secteur s'appuie encore sur la vente dans les pays hors Union européenne – pays en développement et pays émergents – de pesticides interdits chez nous. Ainsi, la France continue d'exporter des pesticides dangereux et interdits. Entre janvier et septembre 2022, les autorités françaises ont approuvé 155 demandes d'exportation pour des pesticides interdits. Si cette exportation est directement dommageable pour les pays concernés, elle peut aussi nous conduire à retrouver ces pesticides dans nos assiettes, via des aliments produits à l'étranger et importés.

J'ajoute que les dispositions de la loi Egalim présentent plusieurs limites. La loi interdit d'exporter des produits interdits en France, mais pas les substances actives en elles-mêmes. Les fabricants sont ainsi libres d'exporter les substances et de reformuler leurs produits à l'extérieur de nos frontières. En outre, le décret d'application de cette loi indique que seules les substances interdites en France sont concernées ; cela signifie que les substances qui n'ont pas fait l'objet d'une décision formelle ne le sont pas.

S'il faut reconnaître une baisse des volumes exportés de pesticides interdits, de l'ordre de 75 % depuis 2021, on observe la mise en place de stratégies de contournement par les acteurs du secteur. Ainsi, certaines productions ont été délocalisées et l'exportation de substances s'est substituée à celle de produits.

Il semble donc nécessaire de renforcer ce dispositif en englobant les substances, comme la Belgique l'a fait à travers une loi votée en 2013. Il faudrait également porter cette interdiction d'export à l'échelle européenne, pour qu'elle ait un réel impact.

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