Intervention de Thomas Uthayakumar

Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Thomas Uthayakumar, directeur Programmes & Plaidoyer de la FNH :

Les pesticides sont un des piliers du système agricole depuis la deuxième moitié du XXe siècle, en lien avec la modernisation agricole, l'amélioration variétale, les engrais et la mécanisation. Tous ces phénomènes ont conduit à un raccourcissement des rotations et à une absence de diversification des cultures.

Aujourd'hui, il est urgent de réduire l'usage des phytosanitaires de synthèse. A cette fin, nous avons assisté à la mise en œuvre de plans successifs. Le premier plan Écophyto avait pour objectif de réduire de moitié la quantité des pesticides utilisés en dix ans, avec 40 millions d'euros de budget. La moitié de ce budget était financée par les distributeurs de produits phytosanitaires, via la redevance pour pollutions diffuses (RPD). Il a été suivi du plan Écophyto II qui partageait les mêmes objectifs sur dix ans. Il y a eu ensuite le plan Écophyto II+, qui était un plan Écophyto II avec une sortie du glyphosate.

Malheureusement, ces plans ont échoué. Les rapports intermédiaires – dont celui produit par M. Dominique Potier – ont montré que les objectifs n'étaient pas atteints, que les quantités de produits phytosanitaires vendues aux échéances fixées par les différents plans n'avaient pas été réduites de moitié. Je rappelle que le rapport publié six ans après le début du premier plan Écophyto signalait une augmentation de près de 15 000 tonnes des produits utilisés.

Je retiens néanmoins, dans ces différents plan, la promotion des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP). Ce sont des certificats attribués aux distributeurs de produits phytosanitaires, lorsqu'ils promeuvent des produits de biocontrôle, des outils pour réduire les quantités de produits utilisés et des variétés résistantes. Il s'agissait de l'une des mesures phares – et contraignantes – du plan Écophyto. Malheureusement, la sanction financière adossée à cette mesure a été supprimée par une ordonnance de 2019.

Les controverses sont nombreuses sur la question de l'évolution de la quantité des produits phytosanitaires utilisés. Ce qui est intéressant, c'est de regarder le temps long. Il y a eu par exemple une controverse en raison d'une augmentation très importante des quantités vendues en 2018. L'augmentation annoncée de la redevance a en effet conduit les agriculteurs à acheter plus de produits phytosanitaires, à constituer des stocks. Or, si l'on prend 2018 comme point de référence, il est facile de mettre en évidence une diminution ultérieure de l'utilisation des produits phytosanitaires. Mais cette diminution n'est que conjoncturelle. Pour être pertinente, la diminution de l'usage des produits phytosanitaires doit plutôt s'apprécier depuis le premier plan Écophyto, après le Grenelle de l'environnement. Ce temps long permet de dégager une tendance. J'ajoute que le Nodu n'est pas un indicateur optimal puisqu'il est impacté par les phénomènes de stockage.

Au-delà des plans Ecophyto, il me semble intéressant de se pencher sur les différents plans de promotion de l'agriculture biologique, ou plans « Ambition Bio », les actions entreprises, leur financement, les objectifs obtenus. La stratégie européenne actuelle – dite « Farm to fork » – nous fait tendre vers un objectif de 25 % de la surface agricole utile (SAU) en bio d'ici 2030, avec un objectif intermédiaire de 18 % en 2027. La loi Grenelle I avait pour objectif d'atteindre 20 % de la surface agricole utile en bio en 2020. Mais cet objectif a été révisé à la baisse au fil des plans.

Cela résulte en partie d'un certain désinvestissement de l'État vis-à-vis du secteur de l'agriculture biologique, même si des plans d'urgence ont été récemment annoncés. Il est nécessaire de structurer ces filières biologiques, d'investir et de discuter ensemble de ce qui est possible ou non, pour véritablement promouvoir l'agriculture biologique et atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous sommes actuellement autour de 11 % de la SAU en bio. Il faudra des efforts importants pour atteindre l'objectif de 18 % en 2027.

Les questions de formation agricole devront également être évoquées. J'avais déjà eu l'occasion de m'entretenir avec M. Dominique Potier sur la séparation de la vente et du conseil. Aujourd'hui, il faut que les conseillers soient en mesure de donner aux agriculteurs les clés pour savoir comment faire évoluer leurs pratiques. Il faut investir dans la formation agricole, le brevet professionnel responsable d'entreprise agricole (BPREA), les écoles d'agronomie, les écoles de techniciens agricole. Plusieurs leviers sont disponibles pour dégager les financements nécessaires, comme l'augmentation de la RPD ou la réactivation de la sanction financière sur les CEPP.

Il ne faut pas penser que les produits phytosanitaires interdits seront remplacés par une autre substance chimique ou par du biocontrôle. L'enjeu des phytosanitaires est celui d'une refonte profonde des systèmes agricoles et du passage à l'agroécologie. L'agroécologie consiste à caractériser les exploitations et leur environnement et à créer des systèmes différents et diversifiés qui utilisent le moins d'intrants possible. Il s'agit de sortir du modèle des cultures dominantes et de réintroduire des cultures minoritaires.

Les enjeux de distorsion de concurrence méritent aussi d'être évoqués. À la FNH, nous promouvons notamment la mise en place de mesures miroirs, dans le but d'interdire l'importation de produits qui n'ont pas été produits dans le respect des normes sociales et environnementales françaises et européennes.

Beaucoup d'études ont été publiées sur les moyens de sortir des pesticides de synthèse. Il apparaît qu'au-delà de la discussion purement technique, il existe aussi une discussion économique puisque les pesticides sont pour beaucoup dans la compétitivité économique de notre agriculture. Il est clair et évident que l'utilisation d'alternatives aux pesticides est coûteuse ; elle représente une charge supplémentaire pour les agriculteurs. Il faut donc envisager de les accompagner sur le temps long.

Enfin, nous avons aussi un enjeu de communication auprès des consommateurs. Les labels sont nombreux, au-delà des seuls signes officiels de la qualité et de l'origine (Siqo). Il faut apporter de la clarté dans cette jungle des labels. Pour promouvoir des produits durables, il sera aussi nécessaire d'agir sur les acteurs de l'aval : les industries agroalimentaires, les distributeurs mais aussi les filières et leur structure. La structuration de filières différentes, biologiques notamment, impose en effet de penser aux débouchés.

Pour conclure, j'insisterai sur le fait que la construction de systèmes alimentaires avec des exploitations beaucoup plus diversifiées est une des clés de la refonte des systèmes agricoles en France.

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