Intervention de Maud Faipoux

Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Maud Faipoux, directrice générale de l'alimentation (DGAL) au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

La direction générale de l'alimentation est au cœur de larges missions de protection de la santé, qu'il s'agisse de la protection animale, de la santé des consommateurs via la sécurité sanitaire des aliments, ou de la santé végétale et de l'environnement.

C'est dans le cadre de la santé végétale et de la protection des cultures que la DGAL travaille sur le sujet des produits phytopharmaceutiques, pour élaborer et mettre en œuvre la réglementation, pour mettre en place des contrôles et des politiques incitatives, dans l'objectif, partagé par l'ensemble du Gouvernement, de réduire l'usage de ces produits phytopharmaceutiques et leurs impacts.

La DGAL est pilote de tout ce qui a trait à la politique de réduction des usages et des impacts. À ce titre, le premier plan Écophyto issu du Grenelle de l'environnement, en 2008, a été confié à la DGAL. Il fixait comme objectif une réduction des usages de – 50 % à l'horizon 2018. Ce premier plan Écophyto a donné lieu à d'autres plans. Le plan Écophyto II a, en 2015, reporté cet objectif au regard de la dynamique de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques. Au même moment, la gouvernance du plan a été élargie au ministère en charge de l'écologie. En 2018, le plan Écophyto II+ plus comportait des reports d'objectifs mais aussi de nouvelles impulsions, en accordant une priorité aux actions de recherche. Il ciblait en particulier la recherche de solutions, grâce à des programmes prioritaires ou à des fonds financiers. Il s'agit là d'un axe d'efforts majeur pour faire avancer l'ensemble de cette politique. Le plan de sortie du glyphosate constitue quant à lui une extension des plans Écophyto. Il prévoyait notamment la révision des autorisations de mise sur le marché.

Cet enchaînement de plans et ces nouvelles impulsions au fil des quinze dernières années s'expliquent par des résultats en termes de réduction des usages de produits phytosanitaires qui sont inférieurs aux attentes. Il y a eu des résultats mais ils peinent parfois à diffuser et des impasses subsistent.

Pour autant, on note, depuis quelques mois voire quelques années, une inflexion de la dynamique d'utilisation des produits phytopharmaceutiques. La dernière moyenne triennale calculée sur les ventes de produits est la plus faible enregistrée depuis le début des plans. Si les premiers plans Écophyto avaient donné peu de résultats visibles, nous sommes désormais sous les moyennes observées en 2009-2011. La baisse est donc bien amorcée.

Je relève également de bons résultats avec l'augmentation des produits utilisables en biocontrôle et en agriculture biologique, de l'ordre de 15 % en 2022 par rapport à 2020. Nous constatons par ailleurs un signal très fort sur les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), avec une baisse de 96% pour les produits dits « CMR1 » par rapport à la moyenne 2015-2017, et supérieure à – 20 % pour les « CMR 2 ». Concernant plus spécifiquement le glyphosate, nous avons constaté une baisse des ventes de 27 % entre 2021 et 2022, en conséquence des actions qui ont été mises en place. Ces résultats traduisent un vrai mouvement positif qui n'est cependant pas à la hauteur des objectifs que s'étaient initialement fixés les plans.

Je pense néanmoins qu'il faut regarder sans rougir ce qui a été fait ces quinze dernières années. Des enseignements positifs sont ainsi à tirer des plans successifs. Tout d'abord, la France est le premier pays qui se soit assigné un objectif ambitieux de réduction. Ensuite, tous les travaux menés au cours de ces quinze années ont permis une sensibilisation très forte de l'ensemble des acteurs sur les impacts de ces produits sur la santé et sur l'environnement. Ces impacts sont désormais admis et cela engage l'ensemble des acteurs vers la réduction des usages.

La mise en place d'indicateurs objectifs pour mesurer les usages et les impacts des produits phytosanitaires est un autre enseignement positif. Ainsi par exemple, la mise au point du nombre de doses unités (Nodu) permet une mesure objective et fiable de l'évolution du recours aux produits phytosanitaires, même s'il a l'inconvénient d'être franco-français.

Sur le plan de la recherche, la temporalité est toujours assez longue, et nous n'avons probablement pas pu bénéficier encore de tous ses apports, mais ils sont désormais devant nous. Les plans Écophyto ont permis d'améliorer nos connaissances des phénomènes. Ils ont également permis la mise en place de groupes – les fermes Dephy – qui ont prouvé qu'il était possible de produire avec moins de produits phytosanitaires. Nous sommes maintenant à une étape où il faut diffuser l'ensemble de ces connaissances, ce sera tout l'effort de ces prochains mois.

Sur le fond, les enseignements de ces plans sont positifs. Un cap doit néanmoins être passé, pour basculer de la preuve de concept à une massification auprès de l'ensemble des agriculteurs.

Sur la forme, la gouvernance s'est étoffée au cours des années pour embarquer l'ensemble des composantes – agriculture, environnement, santé – mais elle a pu paraître un peu complexe et un peu lourde à gérer au fil du temps. Par ailleurs, les plans Écophyto étaient très focalisés sur les actions finançables par la maquette Écophyto et n'avaient peut-être pas une vision assez large sur l'ensemble des politiques, que ce soit sur les axes réglementaires ou sur les autres financements possibles.

Forts de ces constats, il convient de s'interroger sur la suite d'Écophyto II+ qui arrive à échéance début 2020. La Première ministre a annoncé en février, lors du salon de l'agriculture, le lancement de travaux dont le paradigme change par rapport aux plans actuels. Ce ne seront d'ailleurs plus des plans mais une stratégie, la stratégie Écophyto 2030.

Avec cette stratégie, il s'agira de passer un cap et de mettre en relation l'ensemble des politiques – financière, réglementaire, incitative – pour aller plus loin et sortir d'une logique de substitution d'un produit par un autre. Cette logique a ses limites et nous sommes maintenant à l'ère du changement de système. Il ne s'agit plus de substituer mais de s'affranchir, autant que faire se peut, du chimique, en démontrant que c'est viable techniquement et économiquement.

L'objectif est de trouver le meilleur équilibre entre la protection des cultures – nécessaire à la production et à notre souveraineté alimentaire – et la protection de la santé des opérateurs, de l'environnement et des riverains. Il faut reconcevoir les systèmes pour prendre en compte l'ensemble de ces enjeux. Ce sera un point fort de la stratégie Écophyto 2030 telle que nous la concevons : nous devons collectivement préparer l'ensemble des filières à faire émerger et à développer des solutions alternatives pour certains usages.

Dans ce contexte, le ministre de l'agriculture a lancé, au mois de mai dernier, un plan d'anticipation du retrait de certaines substances phytopharmaceutiques. Le mot « anticipation » ayant soulevé des interrogations, nous parlons maintenant de planification ou de préparation au retrait de certaines substances. L'objectif est de réunir tous les acteurs pour chercher des alternatives aux différents usages et les déployer. C'est en montrant que c'est techniquement possible et en apportant les moyens financiers correspondants – le ministre a annoncé que son budget augmenterait de 250 millions d'euros à cet effet – que nous nous donnerons les moyens d'atteindre les objectifs fixés.

Mais pour embarquer l'ensemble des acteurs dans cette dynamique, il faudra parvenir à redynamiser la gouvernance de cette nouvelle stratégie et à mettre en place des mesures de réciprocité vis-à-vis des autres pays, afin de répondre aussi à l'enjeu de compétitivité.

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