Nous avons des échanges avec nos camarades allemands, et plus généralement avec tous les syndicats membres d'ETF – European Transport Workers' Federation -. Les syndicats allemands nous répondent, un peu gênés, qu'ils ne feront pas grand-chose d'autre que des déclarations parce que leur gouvernement se défendra mieux que le nôtre. Ils ne souhaitent pas spécialement être embourbés dans les positionnements français, alors qu'en général, l'Allemagne sait bien défendre ses intérêts. Ce ne sont évidemment que des appréciations.
Nous avons été alertés par les militants sur la discontinuité, mais à aucun moment nous n'avons été associés par le Gouvernement aux décisions qui étaient déjà prises. J'ai moi-même rencontré le directeur de cabinet d'Élisabeth Borne à la suite d'une intervention de Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, auprès de la Première ministre. Le sujet était déjà clos. C'était au mois d'août, si je ne me trompe pas. Et on a plutôt défendu la position déjà établie que présenté les différentes options. Ces différentes options, nous les avons eues par Radio Ballast : la liquidation, l'abandon de la procédure et la discontinuité. Le fait que cette discontinuité devait concerner entre 20 et 50 % des marchés et un changement de nature de l'entreprise, etc., tout cela, nous l'avons appris par nos ressources militantes.
Nous n'avons été associés à rien, ce qui nous étonne énormément. Nous aurions aimé débattre. Pourquoi l'intégralité du plan de réorganisation du fret sur les quinze dernières années n'a-t-elle pas été défendue par le Gouvernement ? D'ailleurs, nous avons eu des échanges avec la commissaire européenne, qui nous a fait part de deux choses. D'abord, de son étonnement devant la précipitation du gouvernement français : elle disait qu'on avait le temps, qu'il fallait examiner les choses. Ensuite, elle a exprimé son étonnement sur nos argumentations. Nous aurions aimé vraiment pouvoir débattre avec la SNCF, la direction de l'entreprise et le Gouvernement. Est-il possible, par exemple, de tracer les flux financiers de Fret SNCF sur les quinze dernières années ? Pas simplement ses déficits, ses résultats nets directs, mais aussi ce qu'il a généré comme produits de cessions et tout ce que nous avons pu soulever.
La commissaire européenne nous a dit que si le gouvernement français avait fait à chaque nouveau plan une note d'information sur le fait que c'était dans la continuité du premier, il n'aurait pas été impossible de le considérer comme respectant les règles de l'Union européenne sur la restructuration des secteurs publics. Nous sommes donc très dubitatifs.
Il est difficile de peser sur la situation puisque les courriers de désengagement de l'entreprise ont été envoyés et les contrats ont été dénoncés. Il est toujours possible de revenir en arrière, mais cela suppose quelques actions. Quand nous avons su que les courriers étaient en phase de préparation, nous avons immédiatement interpellé le Gouvernement pour qu'il interrompe la procédure, au moins le temps que l'on s'assure que les trafics puissent être repris, notamment l'emblématique Perpignan-Rungis. Nous constatons que nos alertes n'ont pas été écoutées. Aujourd'hui, la proposition consiste à dire que Fret SNCF pourrait continuer à sous-traiter pour on ne sait pas qui. Nous nous demandons si nous n'allons pas monter notre propre entreprise ferroviaire. Ces situations sont caricaturales ! S'agissant du Perpignan-Rungis, la proposition du nouvel appel à manifestation d'intérêt prévoit 12 millions d'euros de subventions par an. Nous avions évalué en 2020 qu'il fallait 1 000 équivalents Perpignan-Rungis pour atteindre 25 % de part modale, soit 12 milliards d'euros de financements publics. Ensuite, on vient nous faire la leçon sur le fait que nos solutions sont coûteuses et que l'argent public est rare ! Nous avons vraiment l'impression qu'il faut tout faire pour sauver le plan et la réforme de 2018, quoi qu'il en coûte.
Un petit point également sur la situation du secteur en général, parce que je ne voudrais pas que votre commission pense que seul Fret SNCF est en difficulté. La compagnie ECR – DB Cargo –, filiale de la Deutsche Bahn et principal concurrent de Fret SNCF en France, n'a pratiquement pas eu, et je crois même pas eu du tout, un seul exercice excédentaire depuis sa création. Une recapitalisation est intervenue il y a quelques années pour 150 millions d'euros. Les derniers exercices, c'est moins 15 millions en 2018, moins 3 millions en 2019, moins 15 millions en 2020, moins 1,8 million en 2021, pour un chiffre d'affaires de 150 millions. Donc on est à 10 % de perte la plupart des années. La situation du fret n'est absolument pas réglée par le système.
Le plan de relance vanté par Mme Élisabeth Borne tout à l'heure a permis de faire surnager les principales entreprises. S'il n'avait pas été mis en place à ce moment-là, non seulement Fret se retrouvait en difficulté, mais toutes les entreprises concurrentes étaient en voie de très grande précarité, à l'exception des marchés de niche comme la fourniture de fret aux travaux, la plupart du temps aux travaux de la SNCF. Les compagnies qui font les travaux sont rentables. Nous pourrions d'ailleurs nous interroger sur les conditions d'attribution des marchés dans le domaine.
Les chargeurs sont globalement satisfaits de la SNCF, mais deux problématiques se posent. Ce sont d'abord les trains qui ne sont pas assurés aux horaires prévus, donc les sillons horaires qui ne sont pas respectés. Le Groupement national du transport combiné estime la proportion de sillons non respectés à 30 %, liés exclusivement à la logique des travaux de nuit. Il a été prévu 210 millions d'euros de budget pour améliorer cette situation, mais sur un budget de réseau de 4 milliards, je pense qu'on ne va pas améliorer grand-chose. Et surtout, fondamentalement, nous voyons que la production de l'Infra rentre en confrontation avec la production des exploitants. La confrontation des intérêts, c'est quelque chose que nous avons beaucoup dénoncé. Or plus on avance, plus les intérêts divergent.
Le deuxième sujet est le coût de l'énergie et je me dois quand même d'y faire référence. En 2021, le mégawattheure coûtait 56 euros ; nous en sommes à 475 euros. Les chargeurs demandent une régulation du marché et une limitation du prix à 180 euros du mégawattheure. La régulation, finalement, est une chose positive.