Nous voudrions réagir à votre propos sur la distinction juridique entre la situation de 2019 et la situation actuelle, monsieur le président. Nous voulions souligner, comme d'autres interlocuteurs l'ont fait auprès de vous, le fait que des assurances avaient été données en 2019. J'étais administrateur de la SNCF à l'époque. Des assurances avaient été apportées devant le conseil de surveillance de la SNCF sur le fait que la solution proposée, bien qu'elle ne corresponde pas à une discontinuité sur le plan juridique, donnait suffisamment de garanties du point de vue de la Commission pour qu'on arrête la procédure de sanction engagée, les plaintes ayant été abandonnées par les opérateurs concurrents de Fret SNCF.
Nous ne contestons pas que le scénario de discontinuité a des conséquences juridiques totalement différentes et se veut peut-être plus protecteur, puisqu'on ne serait pas tributaire des actions des sociétés précédant celles qui seraient créées dans ce scénario de discontinuité. Néanmoins, vous comprenez qu'il existe une défiance, y compris des salariés, face à des garanties qui pourraient être données sur un scénario de discontinuité dans lequel la France serait proactive. En fait, on n'a aucune assurance formelle de la Commission européenne que ce scénario de discontinuité lui suffirait. Du point de vue des salariés, les engagements passés ont laissé des traces, indépendamment de la différence de situation juridique que vous mentionnez.
Ce sentiment de défiance est accentué justement par la réalité de ce que veut dire un scénario de discontinuité. N'étant pas tributaire de ce qu'était l'EPIC SNCF Mobilités avant 2019, on ne pourra appliquer l'article de loi devenu dans le code des transports le L. 2101-1 et le L. 2101-2, aux termes desquels toute filiale créée par le groupe public dans le périmètre existant au 31 décembre 2019 emporte un certain nombre de continuités de droit pour les salariés. Ce que vous dites, c'est que le scénario de discontinuité, dans la mesure où nous ne sommes pas héritiers de ce qui s'est passé auparavant, ne permettrait pas d'appliquer la continuité du cadre social tel qu'il a été prévu par la loi.
Le développement du fret ferroviaire, ou en tout cas le maintien des trafics, ne se fera pas sans les salariés. La transition écologique se fonde en partie, dans le domaine des transports, sur le report modal. En ce qui concerne le transport de marchandises, les projections du secrétariat à la planification écologique envisagent 4 millions de tonnes de CO2 sur les 19 millions de réduction que l'on doit viser en 2030. Je parle du report modal. Cela suppose que les salariés restent, voire que l'entreprise en recrute. Or, aujourd'hui, le scénario risque de faire partir les salariés de l'activité fret.
C'est particulièrement néfaste compte tenu de la situation actuelle de la SAS Fret SNCF, mais cela s'inscrit dans une tendance beaucoup plus lourde, le déficit d'attractivité des métiers du transport, notamment du transport public, dans le fret comme dans le transport collectif de voyageurs. S'agissant du fret, on est en train, avec cette démarche proactive de la France qui ne donne aucune assurance, de décourager les salariés, alors même qu'existe ce déficit d'attractivité. Comment voulez-vous, même s'il y a une envie de train, que l'on parvienne à développer le fret ferroviaire ou même à le maintenir, alors que les salariés seront démotivés et démobilisés ?