Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous nous recevez aujourd'hui dans le cadre de l'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir. Cette commission d'enquête a été créée à la suite de l'annonce par le Gouvernement du projet de restructuration de Fret SNCF, en lien avec la décision de la Commission européenne d'engager une procédure d'examen sur les conditions de financement de l'activité de fret sur la période 2007-2019.
Cette procédure d'examen a suscité de vives préoccupations chez les cheminots et les industriels de la filière quant aux conséquences négatives qui pourraient en découler sur l'activité historique de la SNCF. Vous l'avez rappelé dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution visant à créer cette commission d'enquête, Fret SNCF joue encore un rôle essentiel dans le développement du fret ferroviaire en France. Or les conclusions de l'enquête de la Commission européenne pourraient avoir des répercussions significatives sur l'entreprise.
Tout d'abord, si l'État est reconnu coupable d'avoir accordé des aides illégales, cela pourrait entraîner des sanctions financières importantes pour Fret SNCF, affaiblir davantage sa situation financière déjà précaire et restreindre ses capacités à investir dans le développement de ses infrastructures et de ses services. Cette enquête va également affecter la réputation de Fret SNCF. Être impliqué dans une affaire d'aides illégales va tenir ternir son image de marque et réduire la confiance des clients et des partenaires commerciaux présents et futurs. Cela entraînera de facto une diminution du volume d'affaires et une perte de contrats, compromettant sa capacité à rester compétitive sur le marché. Avouez que si l'on voulait tuer l'activité fret de la SNCF, on ne se serait pas pris autrement !
Du côté de l'UNSA Ferroviaire, nous tâchons désormais de jouer notre rôle d'amortisseur social vis-à-vis des agents qui vont perdre leur emploi, leur lieu d'affectation, leurs équipes, leurs collègues, leur métier, leur espoir en un avenir meilleur pour l'activité à laquelle ils ont voué toute leur carrière, au prix parfois de sacrifices dans leur vie personnelle et familiale. Quand on voit les difficultés quotidiennes dans l'exercice du dialogue social, c'est animé d'une colère froide que nous assistons à des réunions d'instances formatées dans lesquelles nous n'apprenons rien et sur lesquelles nous ne pouvons pas agir.
L'ouverture du marché à la concurrence en 2006 a entraîné une fragmentation du secteur avec l'arrivée de plusieurs opérateurs privés. Cela a conduit à une concurrence accrue et à une baisse des tarifs, ce qui a pu sembler avantageux pour certains, mais a également entraîné une diminution de la rentabilité de l'entreprise historique.
La libéralisation a également entraîné une réorganisation du mode de gestion de la SNCF en activités toutes différentes comptablement parlant, entraînant la fin de la péréquation économique et une hausse évidente des coûts matériels et humains, ce qui en engendrera également très vite une baisse de la qualité de service dans le fret ferroviaire et dans le ferroviaire tout entier.
Exemple : si les locomotives et leurs agents de conduite sont dédiés aux activités, ils ne peuvent plus mutualiser leurs moyens en cas de défaillance matérielle et humaine. Les opérateurs privés ont souvent des ressources plus limitées en engins et en personnels. Ils ont régulièrement des difficultés à assurer un service fiable et régulier. Cela affecte le transport de marchandises ferroviaire, car les entreprises se tournent vers le routier pour plus de régularité, au détriment d'une logique de développement durable.
Avec l'arrivée de la concurrence, l'entreprise historique a été confrontée à une baisse logique de ses parts de marché et de la rentabilité de celles qui ont subsisté. Cela a entraîné une réduction massive des investissements de RFF et SNCF Infra dans les infrastructures ferroviaires depuis 2005 : suppression de faisceaux de triage, de voies de service dans de multiple gares, d'embranchements particuliers, de modernisation des installations terminales embranchées, des attelages automatiques, etc. Cela a produit un effet domino sur la capacité et l'efficacité du réseau. Les sillons sont peu fiables.
La libéralisation a également accru le risque de disparition des petites lignes ferroviaires, qui sont parfois la seule voie de passage pour du fret ferroviaire. Elles étaient moins rentables pour les opérateurs privés, avec au final des conséquences négatives sur l'accessibilité des régions les plus isolées.
Les bénéfices attendus d'une libéralisation ne sont pas arrivés, alors que la mise en concurrence devait permettre plus d'offre, plus de services, plus d'innovation. Cela n'a pas fonctionné. Le constat est clair : tous les opérateurs ferroviaires sont en difficulté. Pourquoi cet échec ? Parce que libéraliser un marché en décroissance est une aberration si cela n'est pas accompagné. Les prétendues vertus de la concurrence ne sont effectives que dans un marché en développement. Ainsi, les offres pourraient se diversifier et répondre aux besoins des clients.
L'échec d'une ouverture du marché dans une période de décroissance était prévisible, car seuls les tarifs étaient en jeu. L'ensemble des opérateurs en ont subi les conséquences. Libéraliser ? L'UNSA Ferroviaire a toujours été contre, mais sans accompagnement, c'est de toute façon l'échec assuré. Il aura fallu, et il faudra, au-delà des promesses et objectifs futurs, s'assurer de la croissance du marché par des décisions politiques fortes en faveur du transport ferroviaire de marchandises.