La CGT considère que la procédure européenne est hypocrite, injuste et contreproductive. Hypocrite, parce que c'est un secret de polichinelle. J'ai eu des discussions avec le président Pepy en 2018 sur le sujet et il m'assurait du soutien du Gouvernement et du fait que, de toute façon, nous n'aurions pas à rendre de comptes sur le modèle choisi. Des échos de couloir – je vais utiliser ces termes puisque vous comprendrez que nous ne souhaitons pas énumérer les noms de nos syndiqués – nous ont alertés sur les discussions autour de la discontinuité depuis environ deux ans.
Aujourd'hui, nous considérons que le processus lancé est un faux processus. L'histoire du compromis signifie que la procédure d'instruction n'a aucune valeur dès lors que les conclusions sont déjà écrites à l'avance. Il s'agit donc d'une procédure hypocrite, injuste parce que les aides sont la conséquence de la restructuration de Fret SNCF. Là, je m'adresse à ceux qui ne connaissent pas forcément le système ferroviaire. Avant 2003, le transport ferroviaire de marchandises était totalement intégré, voire même fusionné, à la production de la SNCF. Il était centralisé, planifié, monopoliste. Il s'autocontrôlait, notamment en termes de règles de sécurité et de formation du personnel, et n'avait même pas de bilan financier propre. Considérer que l'on puisse passer de cette situation fusionnelle à une entité autonome concurrentielle en quatre ans, avec un milliard et demi de recapitalisation, est une vaste plaisanterie. À titre de comparaison, même si c'est difficilement comparable, l'Allemagne consacrait au secteur 66 milliards de deutsche marks en 1993, 16 milliards en 1996, 17 milliards en 2000 et prévoyait un plan sur dix ans pour transformer son marché.
À cela s'ajoute pour nous le mensonge originel. Tout est appelé à se développer alors que nous savons très bien que l'une des activités du transport ferroviaire, à savoir le wagon isolé, est une activité de service public et qu'il faudra la « purger » puisqu'elle ne répondra pas aux caractéristiques de la concurrence. Le principe du wagon isolé est qu'il doit être assemblé et qu'on ne peut pas isoler les marchés les uns des autres. Dès lors que vous soumettez tout à la concurrence, le transport d'un wagon isolé n'est absolument pas rentable et ne peut pas l'être dans ce système.
À partir de 2003, donc, se mettent en place des plans successifs qui visent à purger le marché et à liquider, d'une certaine manière, le wagon isolé tel qu'il existait. Les concurrents se sont d'ailleurs tous construits sur les trains entiers et sur les transports combinés. Évidemment, ils n'allaient déployer ni l'infrastructure ni les moyens humains nécessaires au développement du wagon isolé ! Il fallait liquider la moitié du trafic de la SNCF de l'époque, soit 10 000 emplois, la desserte de 5 000 PME. Une telle démarche ne se fait pas en l'annonçant de manière publique à la population. Se met en place le système totalement mensonger de l'époque, qui consiste à avancer par petites touches, à lancer des plans de relance qui sont en fait des plans de transformation de l'appareil productif ayant un objectif ultime, celui de se conformer au marché, et donc de purger le marché.
La CGT a dénoncé la casse, mais le Gouvernement n'a pas voulu assumer cette finalité et a maquillé la liquidation par étage. Ce faisant, il a fait valider sa première étape de réorganisation par l'Union européenne, alors qu'il aurait dû présenter l'ensemble des étapes de son plan. Pour cela, il fallait assumer la liquidation de la moitié du trafic. Je note au passage qu'un rapport sénatorial de 2009 explicitait le fait que 50 % des trafics de la SNCF n'étaient pas rentables et qu'avec le système d'augmentation des péages, 20 % supplémentaires allaient passer sous la barre. On savait très bien que le système de service public antérieur devait être adapté « dans le sang », conduisant à la purge du marché.
Nous pensons que le premier plan de restructuration validé par l'Union européenne est notoirement sous-évalué, ce qui a conduit à considérer qu'il y a eu des aides abusives par la suite, puisqu'effectivement ce premier plan prévoit qu'il n'y ait plus d'aide pendant dix ans. En fait, il faut considérer que les quinze ans de restructuration ne sont qu'un seul et même plan. À ce titre, celui-ci était éligible aux règles de validation par l'Union européenne – encore eût-il fallu le développer de cette manière ! Nous estimons, encore aujourd'hui, que l'État français peut parfaitement développer l'argumentation de cette manière.
Quelques arguments supplémentaires sur ce caractère injuste. D'abord, il faudrait vraiment réaliser un travail économique sur la situation de Fret SNCF. On lui a attribué des déficits d'exploitation, mais pas les produits des cessions d'actifs, par exemple. Lorsqu'on n'attribue que les déficits, un souci se pose. Les actifs intégraient notamment les locomotives et les wagons. Je crois que vous avez déjà eu l'occasion de parler des cessions d'Ermewa et d'Akiem, mais il faut également mentionner les très nombreux terrains. La SNCF est un énorme propriétaire foncier et le fret de la SNCF était un énorme pourvoyeur d'hectares libérés et vendus. Pour ce qui concerne ma région, par exemple, tous les nouveaux quartiers de Lyon correspondent à l'ancien triage de Lyon-Perrache Marchandises. Je pense que le produit de sa cession n'a jamais été attribué à Fret SNCF.
Enfin, ce plan est contre-productif, parce que l'abandon de 20 à 30 % des trafics risque de ne pas être repris. Pour le Perpignan-Rungis, l'appel à manifestation d'intérêt, malgré son contenu qui précisait que l'État donnerait autant d'aides que nécessaire, n'a fait l'objet que de deux candidatures, dont l'une a été considérée comme non viable en raison de la taille trop modeste de l'entreprise. L'autre candidature était celle de la SNCF. Nous pouvons considérer qu'il y a peu de chances que d'autres se positionnent, sauf évidemment à augmenter encore le niveau d'aide publique. L'aspect paradoxal pour les libéraux est qu'à la fin, ils donnent plus d'argent que nous n'aurions pu le faire nous-mêmes.
La ministre que vous entendiez avant nous expliquait que seuls les trains complets seraient abandonnés. Justement, ce sont les trains les plus rentables, parce qu'ils nécessitent le moins d'activités humaines et le moins d'investissements et de coûts d'infrastructures. C'est quand même problématique !
La privatisation est l'objectif réel de ce projet et nous tenons à dire qu'il n'y a rien de discontinu : c'est totalement dans la continuité des plans successifs de ces dernières années. La vraie discontinuité serait de changer de stratégie.
Nous ne voyons aucune relance et aucun élément d'aucune sorte qui nous permette de dire que l'objectif, selon les époques, de 25 % d'augmentation ou de doublement de la part modale en 2030 sera approché.