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Intervention de Élisabeth Borne

Réunion du mardi 19 septembre 2023 à 15h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Élisabeth Borne, Première ministre :

Vous avez souhaité m'auditionner au titre de mes anciennes fonctions de ministre des transports de mai 2017 à juillet 2019. C'est donc en cette qualité que je répondrai à vos interrogations, le ministre délégué aux transports ayant pu détailler avec précision lors de son audition les décisions de mon gouvernement et leurs implications. Je me réjouis par ailleurs de constater que vous avez reçu un grand nombre de mes prédécesseurs et successeurs, ainsi que l'ensemble des personnes directement chargées du dossier de Fret SNCF.

Je souhaiterais, avant de répondre à vos questions, revenir sur notre politique en matière de fret ferroviaire et sur le contexte ayant présidé à la création de Fret SNCF. Le fret ferroviaire est un atout pour notre économie et notre planification écologique, car il est bien moins émetteur en CO2 que le camion. Il a pourtant connu un lourd déclin au cours des dernières années, passant entre 2000 et 2017 de 52 à 35 milliards de tonnes-kilomètre et voyant sa part modale chuter sur la même période de 20 à 10 %.

Les raisons de cette baisse sont nombreuses. Le fret ferroviaire est tout d'abord victime de la concurrence du mode routier, qui est plus agile et plus compétitif, dans la mesure où il ne contribue que marginalement au financement de l'infrastructure routière. Ensuite, le fret a pâti de la désindustrialisation qui a frappé notre pays au cours des dernières décennies. Enfin, il a perdu en intérêt du fait d'un sous-investissement dans le réseau ferré, dont l'âge moyen est d'environ trente ans, soit presque le double de celui observé dans les pays voisins. Sur les petites lignes, la moyenne d'âge atteint même soixante-dix ans.

En 2017, le fret ferroviaire était dans une situation critique. Le Gouvernement a décidé d'agir pour qu'il redevienne une filière d'avenir, grâce à deux lois que j'ai portées comme ministre et qui ont contribué à la relance de la filière : la loi d'orientation des mobilités et le nouveau pacte ferroviaire, que vous avez évoqué. Ces deux textes ont été conçus avec une double exigence : une exigence environnementale, puisque le ferroviaire est notre meilleur atout pour décarboner les transports, et une exigence d'efficacité, car le succès d'une telle politique suppose l'existence d'une filière compétitive.

La réforme de 2018 a permis de réaffirmer le statut public de la SNCF tout en dotant l'établissement d'une structure moderne, au sein de laquelle le rôle de chaque entité a été clarifié. Nous avons également agi pour assainir les finances de l'entreprise : 35 milliards d'euros de dette ont ainsi été repris par l'État et des cibles de redressement ont été fixées à la SNCF afin d'éviter que la situation de surendettement ne se reproduise.

Grâce à cette réforme et aux efforts de l'État, les finances du groupe ont été assainies : malgré la crise covid et la guerre en Ukraine, la SNCF a dégagé en 2022 des flux de trésorerie positifs et le groupe a résorbé sa dette. Cette réussite est la clé des succès futurs du fret ferroviaire public : elle lui permettra d'investir dans son réseau et ses activités stratégiques.

S'agissant spécifiquement de Fret SNCF, l'entreprise a été créée le 1er janvier 2020 dans sa forme actuelle, après avoir fait partie de l'établissement public SNCF Mobilités. Là encore, la réforme ferroviaire a porté ses fruits. En créant cette société, nous avons modernisé son fonctionnement, ce qui était nécessaire pour lui permettre de gagner des parts de marché dans un environnement devenu concurrentiel dès 2007. Les choix effectués visaient essentiellement à garantir la viabilité de Fret SNCF et à lui permettre de revenir à l'équilibre financier. Cet objectif a été atteint dès 2021, l'entreprise dégageant alors une marge opérationnelle positive pour la première fois depuis dix ans. Cette transformation est donc une réussite pour le groupe SNCF, pour sa filiale de fret et, plus largement, pour la bonne utilisation des deniers publics.

Dans le prolongement de la loi d'orientation des mobilités, l'État s'est doté dès 2021 d'une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. Là encore, nous avons poursuivi un objectif simple : réaliser les investissements nécessaires pour enrayer le déclin de la filière et doubler la part modale du ferroviaire, de 9 % à 18 %. Cet objectif a été réaffirmé dans la loi « climat et résilience ». Nous avons ainsi déployé des moyens financiers importants pour moderniser le réseau et soutenir les segments de marché en concurrence avec la route, jusqu'alors structurellement déficitaires. Nous avons également pris des mesures pour donner une meilleure place au fret et faire en sorte qu'il ne soit plus perçu comme la variable d'ajustement du secteur lors de la réalisation de travaux sur les lignes ou de l'attribution des sillons. Aucun gouvernement n'avait mené ce travail, qui a permis de redresser la situation : le réseau a été modernisé et la part modale du fret a non seulement cessé de décroître, mais a même, malgré la crise du covid, commencé à augmenter à nouveau, passant au-dessus des 10 %.

Nous avons amorcé le renouveau du fret ferroviaire, mais ce travail est loin d'être achevé et nous poursuivons la modernisation du réseau ferré dans le cadre du plan d'avenir pour les transports, issu des travaux du Conseil d'orientation des infrastructures. Ce plan prévoit 100 milliards d'investissements pour le ferroviaire d'ici à 2040, avec une importante composante de modernisation et de régénération du réseau. Dans ce cadre, 4 milliards seront consacrés au fret ferroviaire durant la décennie à venir, portés pour moitié par l'État. Nous réinvestissons pleinement dans la filière, avec une volonté politique claire, des moyens financiers ambitieux et une visibilité sur plusieurs années, afin d'atteindre notre objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire. Ces efforts seraient toutefois vains si Fret SNCF, premier opérateur de fret ferroviaire, venait à disparaître. C'est la raison pour laquelle nous avons anticipé afin de sécuriser l'avenir économique de l'entreprise.

Étant entendue au titre de mes anciennes fonctions ministérielles, je ne reviendrai pas sur le détail de la discontinuité, ni sur les négociations menées avec la Commission européenne, qui vous ont déjà été exposées par le ministre délégué. Je souhaite seulement réaffirmer ici les principes qui ont guidé l'action de mon gouvernement. Nous n'acceptons pas de jouer l'avenir de Fret SNCF à la roulette russe. Je ne prétends pas que ce plan est indolore, mais cette transformation, importante pour Fret SNCF comme pour ses salariés, permettra de préserver une cohérence d'activité, la pleine intégration au sein du groupe SNCF et l'identité publique de la nouvelle entité. Loin de revenir sur nos objectifs d'augmentation de la part modale du fret ferroviaire, nous travaillons à pérenniser et à développer le fret en France. Il s'agit assurément d'une solution équilibrée et raisonnable. Elle évitera le remboursement d'une aide d'État qui signerait l'arrêt de mort de Fret SNCF, tout en garantissant la préservation intégrale du cœur de métier de l'entreprise.

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