Lorsque j'ai pris la tête de l'AFD, il y a six ans, son action ne suscitait pas les mêmes discussions. La question du visage de la France à l'international avait disparu du débat, faute de moyens et d'attention. C'est une bonne chose qu'on en débatte à nouveau et il est normal que des désaccords s'expriment.
L'aide publique au développement est une politique publique, dont l'AFD n'est que l'opérateur. Je n'ai aucune difficulté à affirmer que l'AFD est l'instrument du Gouvernement – sous le contrôle du Parlement, évidemment – et qu'elle est un « pilier de la politique étrangère de la France », comme le précise l'article 1er de la loi du 4 août 2021. C'est une façon de répondre, notamment, à M. Dupont-Aignan. J'entends parfois que l'AFD serait autonome : il n'en est rien. L'AFD est un établissement public, qui a certes son mouvement propre et sa vie sociale, mais qui suit les directives fixées par le pouvoir politique. Celles-ci sont répercutées chaque mois au sein de son conseil d'administration. Toutes les administrations de tutelle de l'AFD y sont présentes, ainsi que huit parlementaires – quatre députés et quatre sénateurs – qui participent à la prise de décision. Tous les projets de l'AFD sont approuvés dans ce cadre, où sont également représentés la société civile, le monde de la recherche et les autres parties prenantes de la politique de développement.
J'ai indiqué dans mon propos liminaire la très grande importance que nous accordons à l'outre-mer. Je tiens beaucoup à ce que les collègues de l'AFD, au cours de leur parcours professionnel, apprennent à connaître la France. J'avais même poussé en 2016 à un rapprochement de l'AFD avec la Caisse des dépôts et consignations. Je l'ai fait pour des raisons stratégiques, afin de redonner de la force et de la légitimité à l'Agence, mais aussi parce que de plus en plus de parcours professionnels passent par la CDC, par BPI France ou par d'autres institutions françaises ; c'est une manière d'apporter, au sein de l'Agence, une connaissance des institutions, et donc des attentes et des besoins de nos compatriotes.
La politique publique que l'AFD a pour mission de mettre en œuvre relève de l'influence, du partenariat ou de ce que, pour ma part, j'ai coutume d'appeler l'amitié – même si je ne ferme pas les yeux sur les tensions géopolitiques. Nous sommes le visage de la France, notre mission consiste à nouer des liens avec un très grand nombre d'acteurs désireux de coopérer avec la France – pas seulement les gouvernants mais aussi les entreprises, la société civile, les collectivités locales. Nous prêtons donc une grande attention aux attentes exprimées par tous ces acteurs vis-à-vis de la France. C'est ce que j'ai appelé la « diplomatie du vivant » dans le livre que j'ai écrit avec le philosophe Achille Mbembe, et c'est ce qui guide notre action depuis six ans.
J'en viens à la question de la transparence. Il est évident que les moyens publics que vous votez chaque année nous obligent à être toujours plus transparents et redevables et à nous soumettre à des évaluations beaucoup plus régulières et publiques.
Nous avons fait beaucoup de progrès en la matière. Nous avons gagné des places et sommes passés dans une catégorie supérieure (« good ») dans l' Aid Transparency Index publié cet été par l'ONG Publish What You Fund, qui note toutes les agences de développement dans le monde. Nous sommes parmi les meilleures institutions bilatérales. Le haut du classement est surtout occupé par des institutions multilatérales, qui ne sont pas soumises au même cadre juridique. La Banque mondiale ou la Banque africaine de développement, pour ne citer qu'elles, ne sont pas soumises au secret des affaires, une obligation légale votée par le Parlement qui s'applique aux institutions françaises.
Nous faisons tout pour renforcer cette transparence : plus de 80 % des projets de l'AFD sont connus et nous mettons en ligne toutes les évaluations dont nous faisons l'objet. Nous versons également toutes nos données sur la nouvelle plateforme que le Gouvernement a créée pour garantir la transparence de l'aide publique au développement.
En matière de redevabilité, je m'engage, pour chaque euro alloué à l'AFD, à certifier l'impact et la qualité des financements qu'il a permis. Toute une procédure est prévue à cet effet au sein de l'Agence.
Dernière pièce du dispositif, l'évaluation. Je me réjouis de la création de la commission d'évaluation de la politique de développement en faveur de laquelle je m'étais prononcé, ainsi que de la parution du décret du 6 mai 2022 qui en précise la composition et les compétences. J'attends désormais son installation.
La politique d'évaluation de l'AFD, que nous avons considérablement renforcée, fait actuellement l'objet d'un contrôle de la Cour des comptes. Je peux d'ores et déjà vous assurer que les conclusions de la 4e chambre sont positives, qu'il s'agisse de la qualité ou de la maîtrise des coûts de nos évaluations. Néanmoins, une critique, que je partage, concerne leur faible visibilité. La commission sera utile pour fixer la doctrine, programmer les évaluations, définir des standards de qualité et mettre dans le débat public des informations de manière bien plus importante qu'aujourd'hui. Jusqu'à présent, les données que nous fournissons sont rarement exploitées.
Les travaux de la commission permettront de discuter vraiment des résultats ainsi que de l'impact de la politique de développement et, ainsi, de sortir des débats manichéens, souvent décevants – pour certains, l'aide publique au développement est formidable en toutes circonstances quand d'autres n'y voient que de la corruption et de l'inefficacité. De très nombreuses études scientifiques reconnaissent les effets positifs de l'action en matière de développement. La présence d'Esther Duflo, prix Nobel d'économie, à la présidence du Fonds d'innovation pour le développement qu'accueille l'AFD, aidera aussi à crédibiliser notre politique d'évaluation puisque l'expertise de cette dernière dans ce domaine n'est plus à démontrer.
Nous avons beaucoup progressé en matière de transparence, mais nous pouvons aller encore plus loin, monsieur Herbillon, j'en conviens.
Nombre d'entre vous ont évoqué le dialogue social. L'AFD a vécu une très grande transformation depuis 2016. Ce n'est pas rien pour une entreprise de doubler sa taille. J'ai signé 3 000 contrats de travail depuis cette date. D'institution comptant 1 000 salariés qui se connaissaient tous et y faisaient toute leur carrière – je respecte le travail accompli par les anciens –, l'AFD est devenue une agence considérablement rajeunie, diversifiée et féminisée où les mouvements sont plus fréquents. Elle ne pouvait donc plus être gérée selon les règles qui avaient été fixées plusieurs décennies auparavant.
Dès 2018, j'ai engagé la révision du statut du personnel. Une concertation a été lancée qui a donné lieu à une trentaine de réunions avec les cinq organisations syndicales représentatives de l'AFD. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord, je ne le conteste pas. Toutefois, nous n'en avions pas l'obligation juridique puisque le statut relève d'un arrêté ministériel et non d'un accord collectif.
L'arrêté permet de soustraire à la compétence du directeur général une série de sujets pour les placer sous la protection de l'État. Je comprends que les salariés de l'AFD y soient très attachés. Il appartient aux autorités politiques de décider des sujets qui continuent à relever de la vie sociale de l'entreprise.
L'arrêté portant approbation du statut du personnel de l'AFD, qui se substitue à celui datant de 1996, a été signé le 30 mai dernier. En 1996, le budget de l'AFD n'atteignait pas 1 milliard d'euros alors qu'il s'élève aujourd'hui à 14 milliards. Expertise France ne faisait alors pas partie de l'Agence, ni les centaines d'agents de droit local dans tous les pays du monde où nous sommes présents.
L'ancien statut comportait plusieurs dispositions illégales et laissait perdurer des inégalités au sein de l'Agence, que la direction des ressources humaines n'avait pas les moyens de corriger : inégalités entre les femmes et les hommes – malgré des progrès en la matière, il reste des écarts à réduire – ; inégalités liées à la charge des postes – aucun outil ne permettait de reconnaître la charge de travail et les responsabilités de certains postes en dehors de l'augmentation annuelle générale des salaires liée à la hausse du point d'indice. Les outils de gestion des ressources humaines étaient plus frustes que ceux dont dispose l'État. La révision a permis de remettre à niveau le statut, elle ne l'a pas supprimé : le droit à la mobilité qui est exorbitant du droit du travail demeure ; il est toujours écrit que les rémunérations doivent être comprises dans un multiple de 1 à 8 – dans les faits, c'est 1 à 4. Cela crée une égalité au sein de l'Agence, à laquelle nous sommes tous attachés.
La réforme du statut a cristallisé des oppositions, je ne le conteste pas. Il ne faut pas pour autant en conclure que le dialogue social à l'AFD est bloqué. Il est, au contraire, très intense : sur les trois dernières années, nous avons tenu 150 instances formelles de dialogue avec les organisations syndicales ; les échanges informels sont permanents ; 81 points ont été examinés par le CSE et 70 d'entre eux ont reçu un vote favorable ; 11 accords collectifs ont été signés sur le télétravail, la qualité de vie au travail, l'égalité entre les femmes et les hommes ou encore sur la reconnaissance de la diversité.
J'ai souhaité créer au sein de l'Agence une structure qui, à ma connaissance, n'existe nulle part ailleurs, le comité des représentants des États étrangers, afin de donner une voix dans le dialogue social aux salariés de droit local, qui sont de plus en plus nombreux dans l'entreprise. Des élections sont organisées dans tous les pays et chaque direction régionale élit un représentant. Le comité se réunit plusieurs fois par an à Paris.
Les mots « colonialisme » et « Françafrique » ont été prononcés. Ne faites pas ce reproche à la maison qu'a fondée André Postel-Vinay, à la Caisse centrale de la France libre, ni à la Caisse centrale de coopération économique. S'il est une institution à l'opposé de la relation que la France a entretenue pendant un temps avec l'Afrique, c'est l'AFD. Je ne crois pas que vous puissiez trouver dans mes propos la moindre trace d'irrespect ou de refus de transformation de la relation. Sans compter la manipulation et la désinformation à laquelle se livrent nombre de puissances étrangères, les évolutions suscitent toujours des débats et font resurgir des choses qui étaient enterrées. Il faut répondre et valoriser ce que la France fait dans les pays d'Afrique. Ne restons pas dans les débats du passé et agissons.
Monsieur Fuchs, s'il y a une chose que la Russie n'a pas et n'aura jamais en Afrique, c'est l'AFD et une politique de développement.
Je suis favorable à ce que nous mettions davantage en avant nos résultats, qui sont bons. Nous n'abandonnons jamais les pays dans lesquels nous intervenons, même lorsque les choses vont mal. On nous donne crédit de notre fidélité et de nos actions concrètes. J'en suis très fier tout en étant de la plus grande modestie possible – 12 milliards d'euros de financement par an, c'est évidemment une somme importante mais aussi dérisoire face aux enjeux du dérèglement climatique et de la démographie africaine. Nous devons donc travailler avec d'autres. Nous devons aussi permettre aux pays concernés de faire eux-mêmes : le financement et le soutien que nous apportons doivent aider à déclencher les bonnes politiques publiques et les bonnes dynamiques locales. Cela peut exiger un dialogue un peu plus ferme. Je n'ai pas de difficulté à dire que l'AFD est un élément de la relation bilatérale entre la France et les pays d'Afrique. Il appartient au Gouvernement de définir cette relation selon les moyens d'action dont il dispose.
Je reviens un instant au personnel : afin de tenir compte de l'inflation, je proposerai au conseil d'administration, jeudi prochain, de suivre la décision prise pour la fonction publique d'augmenter de 3,5 % les rémunérations, sans préjuger des discussions salariales annuelles, liées pour certaines à l'application du nouveau statut, qui prévoit certains compléments de rémunération.
J'espère que ces éléments sont de nature à vous rassurer. Je ne dis pas que la vie de l'Agence est un long fleuve tranquille. Dès lors que le statut a été revu, mon travail pour les trois prochaines années, si vous me faites confiance, consiste à ce que vous n'en entendiez pas parler et que le dialogue social se poursuive sereinement.
S'agissant des sujets géopolitiques, pour moi, la politique de développement a à voir avec la politique migratoire dès lors qu'elle est reconnue comme une politique. Les professionnels de l'aide au développement n'aiment pas entendre qu'ils sont un outil de la politique migratoire. En revanche, ils admettent parfaitement que la politique de développement doit s'articuler avec les décisions gouvernementales en matière de politique migratoire. L'AFD doit aider les pays d'origine et les pays de premier choix – je n'aime pas l'expression de transit –, dont la population ne souhaite souvent pas partir, à offrir un avenir aux migrants et à leur famille. Il existe une stratégie gouvernementale dans ce domaine. Je tiens à votre disposition les programmes et les actions que nous menons en ce sens. Au Nigeria et en Éthiopie, nous finançons le déploiement de l'identité numérique afin d'aider ces pays à connaître leur population et à gérer les importants mouvements, en particulier vers l'Afrique australe, auxquels nous assistons et qui ont vocation à se développer. Vous le savez, les migrations sont très majoritairement africaines. Les grands excédents démographiques se trouvent en Afrique de l'Est – Éthiopie, Kenya, Ouganda – et de l'Ouest. D'autres régions – l'Afrique australe, l'Afrique du Nord et l'Afrique centrale – ont engagé, voire achevé, leur transition démographique. Nous pouvons agir sur les mouvements entre régions d'Afrique – c'est du développement –, et pas seulement dans les domaines habituels qui sont à l'origine des migrations – la santé, l'éducation, la croissance économique –, mais aussi en intervenant à la demande des gouvernements de manière plus précise.
Le sujet n'est pas simple. Je suis à votre disposition pour entrer dans le détail de ce que l'AFD pourrait faire, à charge pour vous ensuite de décider de l'allocation des moyens dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens.
En ce qui concerne la Chine, autre sujet délicat, l'AFD n'y intervient pas de son propre chef. C'est une décision politique qui a été prise en 2004 et qui est rediscutée périodiquement au sein du conseil d'administration – la dernière fois en juin 2020. Pour tous les grands pays émergents, nous devons présenter au conseil une stratégie, qui fait l'objet d'un vote. Je ne cherche pas à me dédouaner en vous précisant que le mandat donne lieu à des discussions et évolue au fur et à mesure que la relation entre la France, l'Europe, le reste du monde et la Chine change. Je ne suis pas naïf et je note, depuis quelques années, que cette relation est beaucoup plus complexe et tendue.
Une fois encore, l'AFD n'est qu'un élément, au demeurant mineur, de la relation bilatérale mais, j'en conviens, son rôle peut poser question. Il appartient aux autorités – le Président de la République a rappelé le cadre lors de la conférence des ambassadrices et ambassadeurs – de choisir le dosage entre rivalité stratégique et coopération.
Je suis gêné d'entendre que nous aidons la Chine. L'aide publique au développement ne suffira pas à lutter contre le changement climatique, les dons non plus. L'action de l'AFD en Chine ne fait appel à aucun argent public. Depuis que nous avons interrompu notre projet sur le vieillissement mené avec des entreprises françaises et cofinancé par la Banque mondiale, il nous reste une seule activité de nature bancaire dans le domaine du climat et de la biodiversité. Une récente évaluation montre que les projets sont bons. Or, en Chine, si votre projet est réussi, le lendemain il est déployé dans toutes les provinces, donc l'impact est fort. Je le répète, ce n'est pas de l'aide, il n'y a pas un euro d'argent public et l'AFD se soumet à la décision politique.
L'AFD a distribué 12 milliards de subventions. C'est bien plus que par le passé et je m'en félicite car nous avons pu revenir au Sahel et dans le secteur social. Sachez que toutes les subventions que vous votez ou que je peux récupérer auprès de Bruxelles, du Fonds vert pour le climat ou du Partenariat mondial pour l'éducation, je les prends et je les utilise. Plus nous avons de dons, plus nous sommes contents car ils nous permettent de financer les projets les plus difficiles et ayant le plus d'impact.
Pour autant, je ne jetterai pas le discrédit sur les prêts. Que je sache, les prêts de BPI France ou de la Caisse des dépôts ne posent pas un problème à la représentation nationale. L'aide que nous avons proposée par le biais de PROPARCO aux entrepreneurs français à l'international, à l'instar du prêt garanti par l'État (PGE) de BPI France, était un prêt et elle a été utile. Il s'agit toujours de prêts concessionnels, qui ne se trouvent pas sur le marché.
Quant aux contrats de désendettement et de développement, on ne parle dans les négociations sur le climat que de mécanismes permettant d'annuler de la dette pour orienter les dépenses vers des investissements en faveur du climat. C'est ce que nous faisons depuis vingt ans avec les C2D. Il s'agit d'un instrument critiquable à certains égards, je l'admets, mais intéressant pour le climat.
L'AFD n'est pas une banque commerciale mais une banque publique de développement. Sans dépendre de la Caisse des dépôts, elle fait partie du grand pôle financier public. Elle dispose de multiples instruments parmi lesquels les dons. Depuis six ans, je réunis les 550 caisses des dépôts qui représentent 15 % de l'investissement mondial. C'est la seule manière que j'ai trouvée pour que vos orientations trouvent une traduction concrète de la part des institutions publiques. Pour faire ce que personne ne veut faire, il faut assurément des dons mais il y a plein d'autres leviers à utiliser.
Je ne peux malheureusement pas répondre plus avant à chacune et chacun d'entre vous. Je conclurai néanmoins en soulignant que le système alimentaire est le grand sujet devant nous. Nous pouvons être très inquiets pour 2023. Au Niger, les personnes vendent leur bétail, donc leurs actifs, pour pouvoir se nourrir.