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Intervention de Jérôme Graefe

Réunion du mercredi 27 septembre 2023 à 16h05
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Jérôme Graefe, Ligue des droits de l'homme :

Je voudrais également faire part de nos constats, en tant qu'observateurs, concernant les blessés. J'ai participé à beaucoup de manifestations. Celle-ci m'a beaucoup choqué. J'ai vu une personne l'œil totalement éclaté, des chairs ouvertes…

Je voudrais revenir sur un moment précis de la manifestation, entre treize heures quarante et une et quatorze heures trois : celui du gazage des blessés. Je vous renvoie à notre rapport si vous souhaitez connaître le déroulement précis des faits. À ce moment-là, une chaîne d'élus et de manifestants calmes s'est formée pour protéger les blessés qui attendaient les secours sur une route, un peu à l'écart de la bassine. On comptait parmi eux deux blessés graves. Deux équipes d'observation, présentes sur les lieux, ont vu le peloton motorisé d'interception et d'interpellation tirer des grenades de manière indiscriminée sur toute la zone, en visant les blessés ainsi que les élus et les manifestants qui les protégeaient. Une équipe d'observation, placée un peu en retrait et parfaitement identifiable, ainsi qu'une journaliste située à côté d'eux, ont également été visées par les tirs. Je rappelle que le fait de tirer sur une personne blessée constitue, pour la Cour européenne des droits de l'homme, un traitement inhumain et dégradant.

La préfète n'a pas répondu ; elle semblait confondre plusieurs événements. Elle a fait mention d'une agression des gendarmes par les manifestants, de l'emploi d'engins incendiaires. Les équipes présentes sur place à ce moment-là n'ont pourtant constaté l'utilisation d'aucun engin incendiaire. Le rapport de la préfecture des Deux-Sèvres du 27 mars ne fait pas mention de ces événements. Le rapport de la gendarmerie, publié le même jour, ne fait pas même apparaître la chronologie de l'intervention du peloton motorisé d'interception et d'interpellation entre treize heures quarante et une et quatorze heures trois. Pourtant, toutes ses autres interventions, bien plus brèves, sont notées.

J'en viens à l'entrave aux secours, qui se produit durant la phase dite de trêve, entre quatorze heures huit et quinze heures huit, qui est documentée dans notre rapport. La version officielle est fausse et incohérente. Le rapport de la gendarmerie indique que la trêve commence à quatorze heures vingt ; le rapport de la préfecture, à quatorze heures trente. Cette rectification est essentielle. Elle nous permet d'affirmer, sans doute possible, que la zone était calme durant une heure. Les phases précédentes, notamment l'usage à grande intensité de grenades explosives peu avant la trêve, ont occasionné de très nombreuses blessures, sur au moins 200 personnes. Certaines ont été mutilées et trois étaient en urgence absolue. Parmi elles, Serge D., blessé à treize heures quarante-cinq, était en en situation de détresse vitale. Il a fait l'objet de l'entrave aux secours que nous avons constatée. Dès quatorze heures onze, le Samu, contacté, a indiqué ne pas pouvoir intervenir. Cette situation a demeuré, au fil des appels, durant toute l'heure. Nous avons vérifié directement, sur le terrain et à Melle : le Samu puis les pompiers ont déclaré ne pas pouvoir accéder aux blessés. Il ressort de ces échanges que l'équipe de commandement n'avait pas donné l'autorisation d'intervenir.

Au vu de la gravité de l'état de Serge D. et des premières réactions face à l'entrave aux secours, les autorités ont cherché avec constance à tromper le public, tant le ministre de l'intérieur, la préfète des Deux-Sèvres, le commandement de la gendarmerie que la direction du Samu de Niort. Les autorités ont d'abord invoqué des heurts dans la zone où se trouvait le blessé. Or, pendant la période de trêve, elle était entièrement calme. Elle se trouvait à 200 mètres au nord-ouest du dispositif de gendarmerie entourant la bassine et à 400 mètres de l'ensemble des manifestants rassemblés pour une sorte de pique-nique. Nous, qui étions observateurs présents sur le terrain, n'avons, à ce moment-là, constaté aucun obstacle à l'intervention des secours de la part des manifestants, en très petit nombre au côté du blessé.

Les autorités ont ensuite affirmé que des médecins militaires avaient été dépêchés auprès de Serge D. Le rapport de gendarmerie fait état d'une prise en charge à quatorze heures trente-sept. Nous, qui étions sur place, avons constaté leur arrivée à quatorze heures cinquante-sept. Ils ont pu accéder sans heurt aux blessés mais, n'ayant pas le matériel adapté, ils ont attendu, avec les soignants bénévoles qui entouraient Serge D., l'arrivée du Samu à quinze heures cinq. Les autorités ont mis en avant un risque d'hostilité à l'égard des secours. À l'inverse, nous avons constaté, par exemple lors de la précédente manifestation à Sainte-Soline, que les personnes convoquées, puis condamnées ont, pour la plupart, été interpellées après avoir été contrôlées en tant que personnes blessées.

Enfin, les autorités ont avancé une localisation incertaine et imprécise des blessés alors qu'un hélicoptère survolait en permanence la manifestation. Elles auraient dû prévoir des solutions adaptées pour assurer aux blessés un accès effectif aux soins, ce qui était possible, y compris après la fin de la trêve et de la levée des barrages de gendarmerie.

Ces arguments, tout comme ceux concernant la zone d'exclusion qui n'a aucune valeur juridique, ne doivent pas faire oublier que les autorités publiques ont choisi de ne pas secourir des personnes blessées en détresse vitale. Cela entre en contradiction avec les obligations positives qui leur incombaient et cela engage, à notre sens, leur responsabilité. Ne pouvant ignorer qu'un déploiement de forces aussi démesuré et l'utilisation de matériels de guerre occasionneraient immanquablement des blessés, les autorités ont entravé les secours au mépris de la vie humaine, en ce qui concerne Serge D.

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