Intervention de Frédéric Delorme

Réunion du lundi 18 septembre 2023 à 10h30
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe :

Concernant les politiques publiques, je tiens à votre disposition une courbe montrant la corrélation assez surprenante entre les aides publiques d'État et les parts de marché des différents pays européens. Le tableau des ratios place la France et l'Espagne en dernier, l'Autriche et la Suisse en haut de la liste, et l'Italie et l'Allemagne au milieu – sachant que le fret ferroviaire représente en Allemagne 18 % des parts de marché. Il serait cependant un peu simpliste d'affirmer que les aides publiques sont le seul facteur. Le fret ferroviaire doit encore faire des progrès pour se moderniser, car pendant des années il n'a pas suffisamment investi.

Effectivement, la stratégie doit porter sur les deux volets : pollueur-payeur ou non-pollueur aidé. Les deux questions doivent être posées. Mme Anne-Marie Idrac a affirmé qu'il était difficile d'envisager la taxation de la route mais certains pays le font malgré tout. En tant qu'entrepreneur, j'applique la stratégie telle qu'elle est définie par les politiques publiques. Je ne gère pas la politique publique de report modal, je ne crée pas les taxes, qui sont juste une donnée pour nous. Le fait est qu'il n'y a pas eu d'écotaxe. En France, aujourd'hui, le principe pollueur-payeur n'est pas mis en avant. Par conséquent, il faut aider les secteurs vertueux. Depuis 2020, le plan de relance est tout à fait à la hauteur et comparable à d'autres pays où ma part modale est de 18 %. Pour autant, des mesures complémentaires peuvent encore être prises.

Sur la reprise de la dette, la Commission européenne reproche à l'État français – et indirectement à la SNCF – que les aides publiques dites « illégales » aient été au bénéfice unique de Fret SNCF et non pas du secteur. Il existe aujourd'hui des aides publiques légales, adressées à tout un secteur, et des règles pour les obtenir. Ces aides pourraient être déplafonnées. Il est possible également d'obtenir un soutien de la demande. Fait nouveau, l'État français a commencé à aider les chargeurs à travers les certificats d'économies d'énergie. Jusqu'à présent seuls les entreprises ferroviaires ou les opérateurs de combiné étaient aidés. Or les chargeurs peuvent aussi être aidés à faire du report modal.

Pour augmenter le fret ferroviaire, il faut davantage de sillons. Or dans le modèle économique de SNCF Réseau et du TGV, les voyageurs sont plus contributifs que les péages. Le fret ferroviaire ne représente pas des recettes très importantes. Pour autant, les péages en France sont plus élevés que la moyenne européenne.

Il est possible d'apprécier l'utilité publique du fret ferroviaire en termes de bénéfices sociaux, économiques, environnementaux, climatiques, énergétiques. Il s'agit aussi de rendre notre économie plus compétitive, car les chargeurs ont besoin de décarboner dans le cadre du « scope 3 », qui englobe la logistique et le transport.

Pour dénouer le vrai nœud gordien, il faudra multiplier le fret par deux, répondre à la demande de développement de l'activité voyageurs et réaliser les nombreux travaux nécessaires. Comment désaturer le réseau ? Et comment faire en sorte que le modèle économique soit supportable si l'on dégage des sillons de qualité pour le fret, notamment la nuit ? Il faudra en effet réaliser des travaux sans doute plus onéreux, et le contrat de performance de SNCF Réseau devra intégrer cette dimension.

Sur l'absence de stratégie européenne, notamment au niveau du groupe, ce qu'a indiqué M. Francis Rol-Tanguy était vrai à l'époque. J'ai pris mes fonctions en 2020. Fret SNCF réalise 50 % de son activité à l'international, en partenariat avec d'autres entreprises historiques. Nous sommes par ailleurs présents à travers d'autres filiales puisque nous sommes deuxièmes en Espagne, en Italie et en Belgique, troisièmes en Allemagne. Mes prédécesseurs ont réalisé de nombreuses acquisitions qui placent aujourd'hui Rail Logistics Europe au rang de numéro deux européen, avec une présence physique dans tous les pays. Et nous connectons les filiales – y compris Fret SNCF – entre elles pour développer des activités en commun.

Effectivement, nous savions que la Commission européenne allait instruire le sujet. Nous nous sommes battus pour qu'elle n'ouvre pas la procédure formelle. Nous savions qu'à un moment, des confrontations auraient lieu avec la Commission européenne, un débat juridique autour de ces « aides d'État illégales ». Le choc est que la Commission européenne ait vraiment ouvert la procédure, et ce en l'espace de six mois, alors que l'instruction avait commencé depuis 2016. Je pense que la conviction de la Commission était déjà faite. Le risque qui pèse sur Fret SNCF est considérable, puisque la voie normale est le remboursement de 5 milliards d'euros. Nous nous sommes battus jusqu'au bout, avec des arguments juridiques que la Commission européenne a éliminés un à un.

Je précise que je n'ai pas pris part aux débats qui ont eu lieu au moment de la réforme car je suis arrivé le 1er mars 2020. J'ai cependant repris tous les écrits des groupes de travail de Fret SNCF, avec les administrateurs salariés, ainsi que les procès-verbaux des diverses instances – comité central du groupe public ferroviaire, conseil de surveillance, conseil d'administration de SNCF Mobilités. Il apparaissait clairement qu'une décision de la Commission européenne serait prise à un moment donné. Les plaignants ont considéré qu'à partir du moment où l'on filialisait, on se comportait normalement sur le marché. Or il n'était pas possible de filialiser le fret sans placer cette dette analytique au niveau de SNCF SA, de manière transitoire, le temps que la Commission européenne prenne position définitivement et officiellement sur le dossier de Fret SNCF.

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